Emmanuel Macron se rend en Chine du 5 avril au 7 avril. Pour cette visite, il a fait le choix d’être accompagné par Ursula Van der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Affaibli sur la scène nationale, Emmanuel Macron entend renouer les liens diplomatiques avec la Chine et son leader Xi Jinping tout en souhaitant redonner un élan aux entreprises françaises fragilisées par la reprise chinoise.
Seulement, sa visite sera marquée par de nombreuses embuches au regard du nombre de défis qu’il doit résoudre. La crise sanitaire a d’une part souligné les fragilités et les dépendances européennes à l’égard de la Chine mais a d’autre part mis en lumière certaines fragilités structurelles chinoises. En effet, la Chine qui s’était plutôt bien sortie au début de la crise sanitaire en ressort affaibli avec la politique du zéro covid, finalement abandonnée en fin d’année dernière. Ce contexte est également marqué par des tensions autour de la guerre en Ukraine et la rivalité sino-américaine pour le leadership mondial.
Le président de la République française rencontrera donc son homologue chinois, réélu l’année dernière lors du XXème congrès, qui a pour mandat d’apporter des réponses pour concrétiser le “rêve chinois”. En effet, selon les dirigeants chinois, la Chine doit se réveiller et ne plus se contenter d’un deuxième rang dans l’architecture mondiale. Face à un tel leader, Emmanuel Macron joue la crédibilité française et européenne à l’heure où les défis se font de plus en plus nombreux. Initialement plutôt en retrait du conflit ukrainien, la Chine entend user de son capital politique auprès du reste du monde pour résoudre un conflit d’envergure pour le XXIème siècle actant le retour de la guerre à haute intensité en Europe.
Si la Chine avait initialement décidé de se mettre plutôt en retrait du conflit afin de contenter toutes les parties (son allié russe et son partenaire commercial européen), Xi Jinping s’est affiché plus fortement avec Vladimir Poutine. Malgré tout,la Chine souhaite incarner un rôle de gardien de la paix mondiale qui se conjugue avec sa volonté de reconfigurer les rapports entre l’Occident et l’Orient pour faire naître une nouvelle ère des relations internationales.
Dans ce contexte, les relations entre la France et la Chine sont à la croisée des chemins. Emmanuel Macron, qui avait pourtant promis lors de son premier voyage en Chine en 2018 y retourner tous les ans, devra adopter la position adéquate face aux nombreux défis qui l’attendent. Devant ces défis et une menace chinoise de plus en plus présente, il parait plus que probable que l’ordre international sera modifié dans les prochaines années. La Chine, par l’intermédiaire de son président, a affirmé sa volonté de jouer un autre rôle pour accomplir le « rêve chinois » afin de tirer son épingle du jeu pour renouer avec son passé glorieux et sa grandeur perdue.
Xi Jinping a toujours déclaré vouloir démarrer une troisième phase de la Chine Communiste, après la première incarnée par Mao Zedong et la deuxième de Deng Xiaoping marquée par l’ouverture et le rattrapage économique. Son objectif est clair : capitaliser sur les succès obtenus après les deux premières phases pour affirmer la Chine sur la scène internationale. À la différence de Deng, il considère que la domination de la Chine ne passera pas uniquement par le rayonnement économique qui a été amorcée depuis 1978, mais que la domination du modèle politique et l’influence géopolitique chinoise joueront un rôle capital. Ainsi, si l’objectif n’était pas affiché par les dirigeants chinois à partir de Deng Xiaoping, il l’est clairement désormais : faire de la Chine, la première puissance mondiale d’ici 2049 sur tous les plans afin de concurrencer les États-Unis.
L’idée partagée par de nombreux dirigeants communistes chinois depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale est la même : permettre le retour de la Grande Chine et laver l’affront occidental du siècle perdu. Dans cette optique, Mao a insisté sur la connaissance par les petits chinois du sac du palais d’été pour que jamais cette humiliation ne soit oubliée. Même si tout cela a été passé relativement sous silence sous Deng Xiaoping, Jiang Zemin ou Hu Jintao, ils n’ont jamais voulu remettre en question la spécificité politique chinoise malgré l’ouverture économique. Avec Xi Jinping, nous sommes clairement revenus à une opposition frontale avec l’Occident et l’envie de restaurer la grandeur chinoise.
À la différence de beaucoup de nations émergentes, la Chine peut se raccrocher à la domination qu’elle a pu exercer sur le monde, ce qui renforce sa volonté de vengeance. Le Japon par exemple s’est développé extrêmement rapidement depuis l’avènement de l’Empereur Meiji, mais faute de passé glorieux (à cause des Occidentaux bien souvent) le pays se montre assez docile et n’a jamais cherché à dominer outrageusement le monde. Pour la Chine tout cela est différent. Il faut se rappeler de l’Empire des Song qui s’est démarqué par sa prospérité et son avance technologique, avec par exemple une administration remarquable ou l’invention de l’imprimerie, 4 siècles avant les Européens. Les Song dominaient également le Commerce dans la zone sans aucun véritable concurrent ce qui rend les Chinois nostalgiques.
A l’image des autres nations-empires, la Chine puise dans son imaginaire national avec l’Empire des Qing qui fait rêver les Chinois devant son immensité et sa prospérité. En effet à son apogée celui-ci comprenait l’actuelle Mongolie, des parties de la Fédération de Russie et étendait son influence jusqu’à la péninsule de Corée. Mais c’est l’île de Taiwan, qui a été rattaché à l’Empire chinois durant cette période, qui cristallise les ambitions d’expansion chinoise depuis des décennies. Car c’est le rattachement de cette île à la République Populaire de Chine qui sert comme un des principaux moteurs de l’expansion chinoise actuelle. La rhétorique chinoise à ce propos est questionnable sachant que l’île ne fut contrôlée par la Chine que peu de temps avant l’invasion japonaise (en effet une sorte de protectorat fut établi sur Formose au XVIIème siècle) et la population autochtone n’est pas d’origine chinoise comme annoncé mais bien aborigène d’origine austronésienne. Il n’en reste que la question reste brulante à Pékin et est la meilleure preuve que la Chine bouge et cherche à exercer un nouveau rôle dans le monde, plus conforme à l’histoire et l’idée que les dirigeants ont d’elle.
La visite d’Emmanuel Macron en Chine s’inscrit dans ce cadre désormais structurel posé par le président chinois. De plus, face à ces défis s’ajoutent :
– Les intérêts commerciaux qui sont variables pour appeler sur certains points à poursuivre notre relation commerciale avec la Chine, mais en même temps rompre avec la dépendance et limiter les pratiques de dumping commercial et monétaire de la Chine
– La Guerre en Ukraine pour éviter un axe trop rapproché entre la Russie et la Chine afin de conduire Vladimir Poutine d’entamer un processus de paix ou pour cesser le conflit.
– La rivalité entre la Chine et les États-Unis qui mettent la France et l’Europe face à un choix stratégique : choisir son intérêt économique et commercial avec la Chine, choisir les valeurs et l’allié traditionnel avec les États-Unis ou une indépendance pour dresser son propre chemin
– La position européenne commune qui est fracturée par la guerre en Ukraine entre d’un côté les pays nordiques et de l’est tournée vers les États-Unis et les pays de l’Ouest et du Sud qui sont davantage vers un intérêt commercial et géopolitique d’indépendance comme la France
Par William Thay, Président du Millénaire
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des affaires étrangères et européennes
Contribution : Marion Pariset, Secrétaire générale du Millénaire, spécialiste des affaires étrangères et européennes
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Crédit photo : Emmanuel Macron, via Flickr sous licence CC by 2.0
Xi Jinping, par Officia do Palácio do Planalto, sous licence CC BY 2.0, via Wikimedia Commons
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