Les élections à Taiwan présagent-t-elles une invasion de l’île par la Chine ?
Lors de la dernière rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden à San Francisco en novembre dernier, la possible ingérence de la Chine sur les élections taiwanaises du 13 janvier prochain a été abordée. En effet, la communauté internationale redoute que ces élections soient l’occasion pour le président chinois de mettre à exécution ses menaces et d’envahir l’île rebelle, profitant du changement politique et de l’attention occidentale détournée de Taiwan. Le Parti Communiste Chinois n’a jamais renoncé à la réunification et au rattachement de l’île vue comme « inévitable ». Les prochaines élections pourraient conduire à la fin de la coexistence pacifique chère à la présidente taiwanaise sortante.
Des élections capitales
Taiwan va connaitre un nouveau président car Tsai Ing-Wen, la présidente sortante, ne pourra pas se représenter et l’élection présidentielle du 13 janvier. Nous avons trois partis qui se disputent la première place car cette élection marquera ainsi la fin du bipartisme à Taiwan qui a rythmée la vie politique de l’île depuis la fin de la loi martiale en 1987. Le parti indépendantiste DPP, celui de la présidente sortante, opposé à tout rapprochement avec Pékin, alors que son principal rival, le Kuomintang (KMT) est favorable à une discussion avec la Chine Populaire, tout comme la troisième force politique le Parti populaire taïwanais (TPP).
L’élection est serrée et aucun candidat n’emportera la majorité absolue. Le successeur de Tsai au sein du DPP, William Lai, n’est pas aussi populaire que cette dernière, et il possède une courte avance dans la majorité des sondages d’opinion réalisés l’année dernière. Le KMT de Hou Yu-ih se porte mieux que prévu et talonne le DPP dans les sondages, pour le plus grand plaisir de Pékin qui veut la victoire du parti historique pour atteindre le rapprochement pacifique. Enfin, le TPP a émergé avec son leader Ko Wen-je crédité de plus de 20% des suffrages.
En parallèle de l’élection présidentielle, les élections législatives auront une grande importance. Les taiwanais doivent élire les 113 députés du Yuan Législatif, une Chambre unique joue un rôle clef. L’émergence du TPP empêchera donc les deux partis principaux d’obtenir une majorité absolue à la chambre, ce qui rendra l’exercice du pouvoir complexe. Cette fragmentation de la vie politique taiwanaise, inédite depuis la réforme constitutionnelle de 2005, signifie que le nouveau président devra discuter avec les autres partis. Ainsi, la vie politique à Taiwan des 4 prochaines années pourrait ne pas se résumer pas à une vision claire des relations avec le Continent, à savoir pour ou contre le rapprochement avec Pékin.
Les tensions entre les deux au plus haut
La République Populaire de Chine voit Taiwan comme une île rebelle, et s’est fixé comme objectif de réunir l’île de Formose avec le Continent pour assurer l’unité du peuple chinois. Les différents dirigeants communistes ont toujours affirmé leur volonté de réunifier l’île avec le Continent, en se montrant plus ou moins virulents, ce qui explique que les relations entre la Chine et Taiwan sont marquées par des hauts et des bas. Mao Zedong par exemple a toujours affirmé qu’il n’existait qu’une Chine, et a été un instigateur des deux premières crises du détroit de Taiwan, en 1954 et en 1958. Les relations entre les deux se sont normalisées jusqu’à la 3ème crise du détroit en 1995, avec d’importants essais de missiles par la République Populaire pour intimider le KMT et tenter d’influencer l’élection de 1996. Faute de résultats probants, la Chine Communiste a changé d’approche, préférant le rattachement pacifique, avec notamment la coopération sous le Président Ma, élu à Taiwan en 2008.
Cette situation a changé avec l’élection de Tsai Ing-wen en 2016 qui a conduit à une montée des tensions entre la Chine et Taiwan. Les relations entre les deux n’ont jamais été aussi tendues depuis près de trois décennies, ce qui fait craindre une crise majeure et un conflit armé. Les exercices militaires chinois et incursions dans l’espace aérien taiwanais sont sans précédent et font penser que la Chine prépare une invasion. Face à cela, Tsai Ing-wen veut maintenir l’autonomie de l’île et refuse tout rapprochement, ce qui explique que les livraisons américaines d’armes n’ont fait que croître ces dernières années. Les États-Unis ont toujours cherché à jouer un rôle de médiateur face à cette relation tendue, sans pour autant renier les fondements de leur politique d’ambiguïté stratégique. Joe Biden a ainsi déclaré à 4 reprises qu’il serait prêt à défendre l’île en cas d’attaque chinoise.
Vers plus de tensions et de coercition ?
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle du 13 janvier 2024, il est certain que la Chine va continuer la coercition et maintenir une forme de pression sur l’île, alors que les hypothèses d’invasion se renforcent. En effet, Xi Jinping a demandé que l’Armée Populaire de Libération soit prête pour une invasion en 2027. Cette année symbolique, marquera les 100ème anniversaire de la création de l’APL mais surtout la dernière année du mandat de Xi à la tête du PCC. Ce dernier doit faire face à une situation intérieure complexe avec une économie en retard par rapport aux objectifs affichés du « rêve chinois » qui doit placer la Chine comme première puissance mondiale. Ainsi, le président chinois peut être tenté d’appeler à l’esprit nationaliste et se concentrer sur la réunification quitte à employer la force. Son discours du nouvel an montre que Taiwan sera une priorité de son 3ème mandat, et ce, qu’importe le nom du nouveau président.
Il reste peu probable que Pékin dépasse la ligne rouge et lance une invasion à court terme. Vraisemblablement, la Chine Communiste va patienter tranquillement afin de bénéficier de la fragmentation de la vie politique taiwanaise. Cette situation va empêcher le nouveau président de se montrer extrême vis-à-vis du Continent, alors qu’il sera forcé à trouver de nombreux compromis. Seule une victoire totale du DPP, qui s’accompagnerait de plus d’animosité, pourrait forcer la République Populaire de Chine à attaquer. Pékin, conscient que le temps joue en sa faveur, va continuer sa coercition militaire. Il s’agit de se préparer pour en faire la nouvelle normalité dans la zone, tout en attendant le moment opportun pour passer à l’acte.
William Thay, président du Millénaire, think-tank indépendant spécialisé en politiques publiques
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.
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Crédit photo : 2015 Ma–Xi Meeting 08, sous license Wikimedia Commons
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