Ce dimanche 16 octobre s’est ouvert le 20e Congrès du Parti communiste chinois. Minutieusement préparée et encadrée, cette rencontre ne laisse pratiquement aucune place à la surprise et suscite généralement peu d’intérêt. Pourtant, cette nouvelle session revêt une portée symbolique importante car elle verra la reconduction de Xi Jinping au poste de secrétaire général du Parti pour la troisième fois, une première depuis Mao Zedong. Le Congrès confirme le tournant impulsé par Xi Jinping depuis dix ans qui construit son projet de grandeur chinoise sur le verrouillage du pouvoir. Retour sur les enjeux de ce Congrès avec Marion Pariset et Pierre Clairé, respectivement secrétaire générale et directeur adjoint des études du think-tank Le Millénaire.
Sans surprise, le 20e Congrès du Parti communiste chinois s’avance vers l’octroi d’un troisième mandat à Xi Jinping, une décision rendue possible par la révision de la Constitution de 2018. Xi Jinping est-il devenu de facto président à vie ?
Marion Pariset et Pierre Clairé : Ce 20e Congrès marque en effet un moment historique pour le parti unique au pouvoir en Chine. Si Mao Zedong avait instauré une gouvernance centrée sur sa personne, Deng Xiaoping avait commencé à introduire dès les années 80 une part de collégialité dans la gestion de l’Etat. C’est d’ailleurs lui qui introduisit la limite de deux mandats remise en cause en 2018. Jusqu’à la fin des années 2000, la Chine s’acheminait ainsi vers la coexistence et l’alternance à l’intérieur du Parti communiste chinois (PCC) de différentes tendances. L’arrivée de Xi Jinping a marqué un coup d’arrêt à cette dynamique et signifié le retour d’une gouvernance centralisée grâce à la suppression de la limite des deux mandats et au culte de la personnalité.
Au pouvoir depuis 2012, Xi Jinping a effectivement les moyens de rester au pouvoir indéfiniment mais il ne faut pas pour autant négliger les luttes d’influence au sein du parti et les critiques exprimées par les citoyens et certaines factions à l’égard de la politique de Xi Jinping. Le président chinois est soupçonné d’avoir mis à profit sa campagne de lutte contre la corruption pour saper l’influence des factions de ses prédécesseurs, Hu Jintao et Jiang Zemin. Toutefois, sa politique soulève encore des critiques en Chine, en particulier la politique de “zéro covid” ou encore le positionnement ambigu de la Chine face à la guerre en Ukraine. Le poids de ces critiques est cependant difficile à évaluer du fait de la censure d’une part et de l’instrumentalisation qui peut en être faite d’autre part. Les voix réussissant à porter en Occident ne sont pas nécessairement représentatives d’une grande part de la population.
Les ambitions de Xi Jinping portent jusqu’à 2049, année du centenaire de la République populaire de Chine proclamée par Mao et date à laquelle Xi ambitionne de voir la Chine réunifiée et revenue au premier rang mondial. Mais celui qui se fait appeler “Oncle Xi” a déjà 69 ans et il ne peut être exclu que certains veuillent déjà préparer la suite. Xi Jinping a déjà placé de nombreux proches au sein des instances étatiques et partisanes mais la préparation de sa succession n’est pas pour lui à l’ordre du jour. En l’état, le verrouillage institutionnel pourrait lui permettre de conserver longtemps les rênes du pays.
Que sait-on du projet du président chinois pour ce nouveau mandat ?
Après une période de contrôle du parti sur le pays sous le règne de Mao, puis un élan de réformes économiques porté par Deng Xiaoping à partir de 1979, le président Xi entend marqué l’histoire en réalisant le “rêve chinois”, un projet de renaissance devant marquer la fin du siècle de l’humiliation entamé avec les guerres de l’Opium au XIXe siècle. Pour réaliser ce rêve, la Chine devra retrouver sa grandeur passée en redevenant la première puissance mondiale, sur tous les secteurs : économique, militaire, diplomatique, technologique… Ce projet de puissance s’accompagne d’un projet de société mettant au cœur du mode de vie chinois les principes traditionnels hérités du confucianisme tels que l’importance de la famille, le sens de l’effort et le respect de la hiérarchie.
Concrètement, Xi poursuivra la recherche de la moindre dépendance de la Chine à ses principaux partenaires en multipliant les nouveaux partenariats, en particulier dans le cadre des nouvelles routes de la soie, et en soutenant le développement interne du pays pour faire bénéficier des bienfaits de la croissance à l’ensemble des Chinois, ou du moins au maximum. Toutefois, cette politique est mise à l’épreuve par les conséquences économiques et politiques de la gestion du Covid. La stratégie “zéro Covid” à laquelle Xi a réitéré son attachement lors de son discours d’ouverture du 20e Congrès a sérieusement impacté l’économie chinoise et la confiance d’une partie de la population dans les échelons locaux du PCC. La politique étrangère de la Chine a dans un premier temps attiré des pays à la recherche d’alternatives aux appuis occidentaux, américains en particulier. Après dix ans au pouvoir, Xi continue de renforcer les liens avec les pays du Sud mais l’heure est au pragmatisme chez ces derniers et très peu sont prêts à rentrer volontairement dans une dépendance complète à la Chine.
Avec ce nouveau mandat, Xi Jinping va poursuivre en outre la mise en œuvre de la “pensée” qu’il développe depuis son accession au pouvoir. Cet ensemble idéologique définissant le socialisme “aux caractéristiques chinoises” fait écho à la pensée de Mao, inscrite depuis 1945 dans la charte du PCC. La pensée de Xi exige la prédominance du PCC sur toutes les instances étatiques, y compris l’armée populaire de Chine. C’est donc également une transformation politique et institutionnelle qui est en cours.
Les tensions autour de Taiwan se sont accentuées au cours des mois précédents le Congrès. La Chine a-t-elle les moyens d’engager une guerre pour obtenir le retour complet de l’île sous le giron de Pékin ?
Ces derniers mois, Xi s’est montré beaucoup plus agressif sur la question taïwanaise, en réponse notamment aux agissements et commentaires américains vus comme des provocations par Pékin. Dans son discours d’ouverture du Congrès, Xi Jinping a déclaré ne pas exclure le recours à la force pour rattacher Taiwan à la Chine mais la question est de savoir si la Chine a les moyens et surtout la volonté de passer à l’acte.
Xi Jinping n’a jamais fait de mystère quant à sa volonté de rattacher Taiwan à la République populaire de Chine avant 2049. Ainsi, il a donné à la Chine les moyens de ses ambitions et a aidé à rendre plausible une possible action armée. En 5 ans, ce sont 90 nouveaux navires et sous-marins qui sont venus s’ajouter à la marine chinoise. Cette année, le troisième porte-avions chinois a été produit et il est beaucoup plus avancé que les précédents (et de technologie chinoise). Depuis 2005, des exercices conjoints sont organisés conjointement avec l’armée russe et afin de montrer sa force, l’armée chinoise multiplie les exercices au large de Taiwan. Le nombre de bases navales stratégiques chinoises a augmenté sur les côtes, avec la plus fameuse sur l’île d’Hainan avec le déploiement de missiles capables de couler les navires ennemis. Enfin, il faut signaler la militarisation d’îlots comme dans les Spratleys, qui sont revendiquées par plusieurs pays de la zone dont Taiwan. Tout cela sert à la Chine pour faire montre de sa puissance et rendre crédible ses menaces d’action militaire contre Taiwan.
Une invasion de Taiwan est bien possible mais son issue n’est pas garantie. En effet, les conditions ne semblent pas réunies : l’île demeure difficile à attaquer du fait de sa topographie et une résistance organisée des Taiwanais est à craindre. En outre, la communauté internationale ne semble pas vouloir laisser la Chine opérer à sa guise en mer de Chine. De plus, il faut se rappeler que la dernière guerre menée par la RPC en 1979 contre le Vietnam s’est soldée par un échec cuisant.Sur cette base, les dirigeants chinois se montrent prudents afin de maximiser leurs chances de succès.
Dans un futur proche, il semble peu probable de voir un retour de Taiwan sous giron chinois, mais les choses peuvent évoluer assez vite et il semble que l’année 2024 puisse être une année charnière. En effet, les élections présidentielles américaines et taïwanaises auront lieu cette année-là et, si les candidats élus durcissent leur discours envers la Chine, alors une action de Pékin sera tout à fait envisageable. À Taiwan, si le Kuomintang, favorable à un dialogue avec Pékin, revient aux affaires alors les plans chinois d’annexion douce continueront et le recours à la guerre ne sera pas nécessaire. Mais si le Minjindang continue à gouverner et se radicalise, alors tout sera possible.
La Chine a conservé une position ambigüe vis-à-vis de la guerre en Ukraine depuis l’annonce de l’invasion russe en février dernier. Cette position est-elle susceptible d’évoluer avec les revers subis par Vladimir Poutine ?
Il est vrai que la guerre en Ukraine est depuis son début en février 2022 un point d’interrogation de la politique chinoise. Xi Jinping s’est toujours montré ambigu sur la question et on a pu observer ces dernières semaines un changement de politique à Pékin. Alors que la Chine a refusé de critiquer son allié russe dans les premiers mois du conflit, c’est maintenant la fatigue qui domine dans les hautes sphères chinoises et l’option d’un dialogue sans condition est dorénavant privilégiée.
Dans un premier temps, la Chine voyait cette guerre d’un bon œil, sans pour autant soutenir Vladimir Poutine et la Russie. En effet, la Chine s’est toujours abstenue lors des différents votes au Conseil de Sécurité de l’ONU pour condamner la Russie et n’a pas reconnu les différentes annexions de Vladimir Poutine (celles des 4 régions ukrainiennes de 2022 ou celle de la Crimée en 2014). Se présentant comme défenseur de l’ordre international incarné par l’ONU, la Chine reconnaît l’existence de l’Ukraine depuis 1992 et ne peut donc pas cautionner des atteintes à son intégrité territoriale, de plus Xi Jinping voulait ménager son ami russe. Toutefois Xi a toujours cherché à remettre en cause l’hégémonie occidentale dans la gouvernance mondiale pour faire émerger un modèle politique et de développement alternatif. Ainsi lorsque cette guerre a commencé, le leader chinois n’était pas mécontent. Les Chinois voyaient également l’invasion de l’Ukraine comme un laboratoire, un avant-goût de ce qui pourrait se passer s’ils venaient à envahir Taiwan et la possible réaction de la communauté internationale.
Pourtant, depuis quelques semaines, nous voyons une forme d’agacement de Pékin face à cette guerre qui dure, aux revers de Poutine et au front uni des Occidentaux. La Chine semble s’agacer de cette situation et de l’escalade et serait favorable à des discussions et une résolution concertées de ce conflit. Xi Jinping se rêverait même en instigateur et facilitateur car il ne souhaite pas indéfiniment s’abstenir au conseil de sécurité de l’ONU. L’union des Occidentaux derrière Zelinsky agace en Chine et inquiète. En effet, les Chinois ne souhaitent pas voir les Occidentaux unis et ne veulent pas que Poutine leur offre un motif de cohésion qui pourrait les desservir en remplaçant l’Europe dans le giron américain.
La crainte chinoise est de voir un front similaire se former en cas d’attaque de Taiwan, ce qui mettrait à mal leurs ambitions. L’argument économique pèse également dans la balance, comme bien souvent avec la Chine. Les échanges commerciaux avec la Russie ont augmenté depuis l’invasion avec une augmentation de 55% des ventes d’hydrocarbures à la Chine par exemple. Mais les échanges avec les Russes ne représentent pas la part la plus importante des échanges chinois, la plus grosse part étant occupée par les Occidentaux, Américains et Européens. Ainsi les Chinois se plaignent de ce conflit qui dure en longueur et qui pourrait mettre à mal leur économie s’il venait à s’éterniser et si la Chine continuait à ménager son ami russe. La Russie est un ami utile de la Chine et ce conflit semblait bienvenu dans les premiers mois, mais si l’économie chinoise déjà mal en point devait en souffrir, nul doute que l’ambiguïté chinoise sur la question ukrainienne changerait…
La note que vous publiez pose la question de la capacité de Xi Jinping à détrôner Mao Zedong. Est-ce possible de le dire aujourd’hui ?
Non, nous ne pouvons pas le dire avec certitude. Par contre, nous constatons que jusqu’à présent le président Xi est parvenu à mettre au pas un système qui souffrait de défauts internes notables. Comme Mao, il parvient à inscrire dans les institutions les marques de sa politique, soutenu par un fort culte de la personnalité. La perspective d’un avenir meilleur, la croissance et la lutte contre la corruption parvenaient à faire tolérer les restrictions des libertés publiques. Les difficultés récentes, liées au contexte international mais également à des défis internes du système chinois (le vieillissement et le faible renouvellement de sa population), pourraient fragiliser les perspectives de Xi. Il devra en outre éviter les écueils de la concentration des pouvoirs qui avait mené Mao Zedong aux erreurs de la Révolution culturelle dont le bilan sera critiqué par ses successeurs.
Marion Pariset, Secrétaire générale du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant, spécialisé en politiques publiques
Pierre Clairé, directeur adjoint des études au Millénaire
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Crédit photo : Xi Jinping par Jean-Marc Ferré sous licence CC BY-NC-ND 2.0
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