Après la tonitruante défaite de la Gauche lors des élections régionales et municipales du 28 mai (28M), Pedro Sánchez a été obligé de convoquer des élections générales anticipées le 23 juillet (23J). Les élections étaient initialement prévues pour la fin de l’année, mais l’actuel Président du Gouvernement socialiste en a décidé ainsi pour tenter de contrer l’influence grandissante de la Droite espagnole qui semblait sur une pente ascendante. Ce choix peut être vu comme un énième pari de la part de Sánchez qui a fait de la prise de risque sa marque de fabrique, mais cette fois-ci il semble peu probable que la chance sourît une fois de plus à celui que l’on surnomme « Pedro el Guapo » (le beau Pedro). En effet la remontée fantastique qu’il avait imaginée ne devrait pas avoir lieu, alors qu’il n’a pas réussi à imposer ses thèmes de prédilections, notamment son bilan économique respectable et les avancées sociales qui ont pu plaire aux Espagnols.
Cette campagne pour le moins spéciale, car elle s’est tenue en été et dans un laps de temps très court, a été dominée par les thèmes sociétaux et non économiques. En effet la droite n’a pas voulu changer sa stratégie gagnante du 28M en attaquant frontalement le chef du parti socialiste, l’accusant de vouloir mettre à mal l’identité espagnole. Lors de la campagne électorale du 28M Pedro Sánchez avait choisi de s’impliquer personnellement dans la campagne, sachant qu’il serait amené à le faire rapidement pour les élections générales. Le Partido Popular d’Alberto Nuñez Feijóo n’en demandait pas tant, en profitant pour nationaliser le scrutin et en faire un référendum pour ou contre Sánchez, accusé de mettre en péril l’unité espagnole par ses ententes avec les régionalistes. L’EH Bildu (gauche basque), issue de la volonté politique d’ETA de s’impliquer en politique, ou l’ERC (gauche catalane) aux velléités indépendantistes sont les principales sources de conflit avec le Président du Conseil. On lui reproche surtout le retrait du délit de sédition du code pénal, ce qui a permis à de nombreux indépendantistes de ne pas être inquiétés par la justice malgré leur participation à la déclaration d’indépendance et au référendum de 2017. Ainsi Feijóo et Abascal (Vox, extrême-droite) n’ont eu de cesse d’insister sur les connivences de Sánchez avec des terroristes et de vouloir mettre à mal l’unité de l’Espagne. Son entente avec la gauche radicale de Podemos qui a défendu outre mesure le féminisme ou les Droits LGBTQI ne passe pas non plus au sein d’une frange conservatrice.
Devant l’état de la gauche, il est plus que probable que le parti populaire finisse en tête des élections du 23 juillet, pour autant cela ne va pas signifier que Feijóo va devenir Président du Gouvernement automatiquement. En effet ce scrutin et son issue sont marqués d’une grande incertitude, alors qu’une coalition sera nécessaire pour gouverner sereinement. Comme nous le voyons depuis maintenant quelques années, la vie politique espagnole se démarque par sa grande incertitude, avec la fin du bipartisme historique ce qui implique qu’une entente va être nécessaire pour gouverner, et à ce jeu la gauche est plus habituée bénéficiant du précédent gouvernement comme exemple. La droite au contraire ne s’est jamais lancée dans une telle entreprise au niveau national, mais elle a pu s’allier avec Vox aux niveaux régional et municipal, ce qui laisse penser que cela reste possible. Ainsi le résultat final du soir ne signifiera en rien l’élection d’un nouveau Président du Gouvernement, le processus sera long de par son originalité pour les politiciens espagnols. Même si une grande incertitude règne, nous pouvons dire que le Partido Popular et la droite en général tiennent la corde et une longueur d’avance sur les Socialistes.
Une autre source d’incertitude reste l’abstention et les appréhensions des citoyens, alors que l’extrême droite pourrait revenir aux affaires près de 50 ans après la mort de Francisco Franco. Les Espagnols vont-ils se déplacer en masse alors que ces élections se tiennent en plein milieu de l’été, alors que beaucoup d’Espagnols sont en vacances. De même les Espagnols, qui avaient placés les socialistes en tête lors des deux précédentes élections générales sont-ils prêts à voir Vox arriver au pouvoir et peut-être remettre en cause un certain nombre d’acquis ? Le Franquisme reste tabou en Espagne encore aujourd’hui et le rappel de cette période provoque des tensions au sein de l’Espagne. Alors que Vox n’est pas à proprement parler un parti franquiste, se réclamant du Caudillo, ils s’opposent à la politique mémorielle des socialistes qui remuent le couteau dans la plaie et réactivent les clivages en Espagne. Pour autant la Gauche ne rechine pas à les associer à cette période, mettant en garde contre une régression en Espagne et la perte de nombreux acquis sociaux. Ils prennent en exemple le retrait du drapeau arc en ciel des mairies gouvernées par la Droite avec Vox pour montrer qu’ils veulent s’attaquer à certaines minorités.
Ce scrutin sera donc très intéressant à scruter, notamment car arriver en tête ne signifiera pas l’arrivée à la Moncloa du chef de file du parti vainqueur. Alberto Nuñez Feijóo part avec une longueur d’avance, mais il devra se montrer capable d’affaiblir Vox en limitant son influence dans les urnes ou lors des négociations pour arriver à ses fins. Un échec de sa part pourrait signifier plus d’incertitude en Espagne et potentiellement la convocation de nouvelles élections faute de majorité claire, comme ce fut le cas en 2019.
Enfin nous pouvons dire que ce scrutin aura de grandes conséquences sur l’avenir de l’Espagne mais aussi sur celui de l’Europe. En effet, la tendance de droitisation de l’électorat est visible depuis de nombreux mois en Europe, mais la bascule de l’Espagne, quatrième économie de l’UE, après celle de l’Italie il y a quelques mois pourrait accélérer les choses. Dans l’optique des élections européennes de 2024 et alors que de nombreux observateurs promettent une marée bleue au Parlement européen, une victoire de la droite en Espagne pourrait signifier beaucoup.
Par Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études au Millénaire
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Pedro Sanchez via Wikimedia Commons sous licence CC BY 2.0
Albert Nunez Feijoo via Wikimedia Commons sous licence CC BY 2.0
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