William Thay pour Le Point : « Pour une industrie automobile européenne forte face à la Chine et les Etats-Unis »

TRIBUNE. Trop naïve, l’Europe doit se réveiller si elle ne veut pas se laisser manger par les superpuissances chinoise et américaine.

La compétition mondiale a ardemment repris depuis la crise sanitaire. Celle-ci est marquée par les réarmements industriels de la Chine et des Etats-Unis. En effet, en 2023, la production industrielle aux Etats-Unis a augmenté de 1% selon le BAE des Etats-Unis et de 4,6% en Chine selon BES de Chine alors qu’elle a diminué de 2% au sein de l’Union européenne selon la Commission européenne.

Les automobiles représentent un point fort industriel pour les deux superpuissances. La Chine car elle domine la production automobile avec 30 millions de véhicules par an soit 3 fois plus que les Etats-Unis, mais aussi les Etats-Unis car il s’agit de la production industrielle qui progresse le plus vite (+1,6%). Cela s’explique par le fait que les deux superpuissances contournent les règles du commerce international pour soutenir leur production automobile alors que l’Europe reste coincée dans un paradoxe : trop naïve à l’extérieur et trop contraignante à l’intérieur.

Les superpuissances automobiles se réarment

La Chine considère que la guerre commerciale et industrielle n’est pas encore gagnée face aux Etats-Unis. Ainsi, elle maintient ses mesures visant à protéger ses acteurs industriels même lorsqu’elle s’est imposée comme leader, notamment sur les voitures électriques. Elle est le plus grand marché mondial avec près de 34% de parts de marché en 2022 et 20 millions de véhicules électriques circulent en Chine, soit 7% des véhicules électriques dans le monde. Pourtant, Xi Jinping a maintenu ses mesures de soutien à son industrie automobile verte. Cela se traduit par un soutien à la consommation chinoise en prolongeant l’exonération des véhicules électriques et hybrides de la taxe d’achat (66 milliards d’euros) jusqu’à 2027 et par une politique de l’offre et un maintien des quotas de production pour les constructeurs étrangers afin de les forcer à innover vers les industries vertes.

Les Etats-Unis se réarment également face aux ambitions chinoises. D’abord, la doctrine « America first » de Donald Trump a permis un redressement automobile en dépassant structurellement la barre symbolique des 12 millions de véhicules produits, contre une moyenne de 11,25 millions sous le deuxième mandat de Barack Obama. Ensuite, avec l’Inflation Reduction Act, Joe Biden concilie la vision trumpiste avec les impératifs écologiques en soutenant toute la filière des automobiles électriques (batteries électriques, bornes de rechargement, etc.). Ainsi, tant que le réarmement industriel demeure une priorité stratégique, les États-Unis resteront protectionnistes. Il n’y a donc plus de grandes puissances économiques qui jouent le jeu du libre-échange.

L’Europe navigue à contre sens

Sur le plan extérieur, l’Union européenne est trop naïve. Elle n’a pas suffisamment utilisé le Bureau des Règlements des différends de l’OMC lorsqu’il avait encore une utilité. L’Europe a en effet déposé beaucoup moins de plaintes que la Chine ou les Etats-Unis car elle a trop longtemps été prisonnière de ses théories néolibérales. Seulement, depuis l’affaiblissement de l’OMC, il n’y a pas plus de garde-fous libéraux pour se protéger de la concurrence déloyale chinoise et des mesures protectionnistes américaines. Ainsi, sur le plan automobile, l’Europe n’applique pas de réciprocité aux mesures les plus dures, notamment les quotas de production de la Chine qui imposent à tous les constructeurs produisant ou exportant en Chine au moins 50 000 véhicules de produire au moins 18 % de voitures électriques en Chine (1) ou les importants dispositifs de crédits d’impôt de l’IRA excluant les constructeurs européens (2).

Sur le plan intérieur, l’Union européenne est trop contraignante pour ses acteurs automobiles. En effet, il existe 8 paquets de normes dédiés aux constructeurs automobiles dont près de 40% sur les carburants. Au-delà du nombre de normes, leur incohérence liée à la stratégie de sortie des véhicules thermiques d’ici 2035 accentue à deux égards les contraintes sur les acteurs automobiles. D’une part, l’Union européenne veut accélérer la production de voitures électriques en Europe, mais renforce avec la norme Euro 7 le contrôle la durée de vie des batteries produites en Europe sans mesure de réciprocité vis-à-vis des contrôles de batteries chinoises ou américaines. En conséquence, l’Europe n’encourage pas jusqu’au bout la production de batteries européennes et restera dépendante des importations chinoises. D’autre part, l’Union européenne n’autorise toujours pas le recyclage de véhicules thermiques en véhicules électriques alors que chaque année près de 10 millions véhicules arrivent en fin de vie. Elle se coupe ainsi d’un réservoir de potentiels véhicules électriques.

Une industrie automobile européenne forte face à la Chine et les Etats-Unis

La compétition sur la voiture électrique sera acharnée. Les 5 prochaines années seront décisives entre le prochain mandat présidentiel américain où les deux candidats principaux (Joe Biden, Donald Trump) portent des mesures protectionnistes pour l’automobile ; et le prochain plan quinquennal de Xi Jinping qui a maintenu son soutien à la voiture électrique jusqu’en 2029. Seulement, il est difficile pour l’Europe d’obtenir des exemptions américaines ou chinoises. D’un côté, le retour américain dans les affaires européennes rend inégal le bras de fer avec les Etats-Unis qui assurent notre défense face à une Russie belliqueuse. De l’autre, l’alignement des intérêts internationaux occidentaux rend impossible la recherche d’exemptions chinoises puisqu’il alimente le rêve chinois de renverser l’équilibre entre l’Orient et l’Occident en affaiblissant nos industries.

Ainsi, le sursaut ne peut venir que de l’Europe elle-même. Cela passe par un changement de stratégie autour de 4 axes. L’Europe doit d’abord créer un environnement favorable à l’industrie automobile, sur le plan financier en mobilisant des fonds européens pour un « IRA à l’européenne » et sur le plan énergétique en relançant le nucléaire car il sera impossible de faire face à l’électrification de l’automobile sans production d’électricité européenne à bas coût (1). Ensuite, il faut soutenir la relocalisation des filières industrielles (usines de batteries, production de bornes, investissement dans les infrastructures). Cela doit s’accompagner d’une suppression de normes contradictoires afin d’encourager à produire davantage de composants et de voitures chez nous (2). L’Europe ne doit pas faire payer le prix de ces transitions sur les classes moyennes et populaires. Ainsi, les pouvoirs publics devront veiller à soutenir l’achat de véhicules électriques (dispositif de leasing, etc.), mais aussi leur utilisation. Cela implique de maintenir un coût de l’électricité faible, mais également de diversifier les moteurs avec hybrides alternatifs (hydrogène/thermique, biocarburant/électrique) (3). Enfin, l’Europe doit gagner la course au progrès de la Révolution verte, en se projetant sur les ruptures industrielles et technologiques qui généreront des bienfaits durables pour notre continent sur les plans du climat, de l’économie, de l’emploi et du progrès (4).

L’aventure automobile européenne n’est pas finie. Alors que les superpuissances américaine et chinoise se réarment, l’Europe ne doit pas être bloquée dans la position du spectateur d’un monde en mutation. Elle doit renouer avec une volonté franche de se réarmer idéologiquement pour favoriser une industrie automobile européenne forte face à la Chine et les Etats-Unis.

William Thay, Président du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant spécialisé en politiques publiques

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Crédit Photo : Renault ZOE, de Jakob Härter, via Flickr, sous license CC BY-SA 2.0 DEED Attribution-ShareAlike 2.0 Generic

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