La guerre en Ukraine a connu de nombreux rebondissements depuis le 24 février 2022, mais les derniers événements sont plutôt défavorables à Volodymyr Zelensky. La prise d’Avdivka il y a quelques jours ne représente certes pas de gains territoriaux importants pour la Russie, mais est une réelle victoire stratégique. En effet, elle sécurise définitivement la ville de Donesk et améliore le moral des troupes russes au détriment de celui des troupes ukrainiennes. Au regard du rapport de force et de la volonté Volodymyr Zelensky à atteindre ses objectifs initiaux, le conflit se dirige vers une défaite ukrainienne aux conséquences dramatiques pour l’Occident.
La Russie de Vladimir Poutine est en position dominante
La Russie a repris l’avantage surtout parce que l’Ukraine a commis des erreurs stratégiques. Cela s’illustre sur le plan militaire par l’échec de la contre-offensive ukrainienne (juin-octobre 2023). Cet échec s’explique par deux facteurs. D’une part, elle s’est portée sur les oblasts de Donesk et de Zaporijjia où se situent les bases de ravitaillement et de renouvellement des troupes russes. Or, il s’agit des meilleures défenses russes avec un collier de bases russes espacées de 5 kilomètres entre les villes de Donesk et Zaporijjia alors qu’elles ne le sont en moyenne que de 30 kilomètres dans les autres zones du conflit. D’autre part, l’Ukraine s’est mise à découvert sur son flanc Nord dans la région de Bakhmut. Or, il s’agit d’un point vital et stratégique pour l’Ukraine, car la zone de Bakhmut est la ligne de front la plus proche de la route vers Kiev. Ainsi, cette opération était une erreur stratégique. En effet, alors que l’Ukraine doit composer avec moins de moyens humains et militaires que la Russie, elle s’est lancée dans l’opération la plus gourmande en moyens sans certitude de livraison de toute l’aide occidentale, tout en fragilisant ses positions dans une zone vitale.
Au-delà de l’armée russe, Vladimir Poutine semble plus fort que jamais. Pourtant, de nombreux commentateurs annonçaient la chute du régime, soit par un décès du président russe, par des désertions ou des rébellions internes sur le modèle de Prigogine. Vladimir Poutine sera très certainement réélu dès le premier tour président de la Fédération de Russie dans un mois. Cette domination tranche avec la situation de son adversaire Zelensky pour trois raisons. En effet, le maître du Kremlin a su conserver son leadership militaire après le décès de Prigogine alors que son homologue ukrainien est en difficulté après l’échec de la contre-offensive. De plus, Vladimir Poutine s’est approprié les nouveaux paramètres géopolitiques avec lesquels les belligérants doivent composer, notamment le conflit entre Israël et le Hamas. Alors que Zelensky joue la carte de la concurrence avec Israël pour recueillir l’aide occidentale, le chef de l’Etat russe joue avec Ramzan Khadirov la carte de la proximité avec les pays musulmans agrégés contre Israël. Enfin, le président russe bénéficie d’une bienveillance du Sud Global, soit qui ne condamne pas la guerre en Ukraine soit qui soutient directement ou indirectement son action alors que l’Ukraine est arrimée au bloc occidental considéré comme déclinant.
Deux options : un front gelé ou une Ukraine neutralisée
Une première option serait un front figé, à l’image de ce que nous avons connu en Corée. Cette situation se traduit par une inefficacité militaire pour les deux parties à mettre fin au conflit. En effet, les Ukrainiens se heurteraient toujours aux solides défenses russes sans réveil du soutien occidental tandis que les Russes devraient se heurter à une féroce résistance ukrainienne sans moyens militaires neufs. Ainsi, toute percée d’envergure parait désormais impossible sans évolution drastique du rapport de force par différents intermédiaires : évolution des moyens économiques, des moyens militaires ou des ruptures technologiques. Seulement, l’Ukraine doit composer avec une aide internationale dont la tendance est baissière alors que la Russie dépense déjà 5% de son PIB dans son armée alors qu’elle doit affronter d’autres enjeux économiques comme le soutien à sa consommation intérieure ainsi qu’à sa production manufacturière et industrielle.
Une seconde option serait la neutralisation de l’Ukraine. Cette situation se traduit par une Ukraine amputée d’une partie de son territoire, probablement environ 15 à 20%, soit l’équivalent de la surface de la Bulgarie ou du Portugal. Au niveau politique, l’Etat ukrainien disposerait de très peu de marges de manœuvre sur le modèle de la Biélorussie et dans le meilleur des cas une neutralité imposée sur le modèle finlandais. Une telle situation constituerait une défaite pour l’Ukraine. Elle est rendue possible par le fait qu’aucun des acteurs ne veut négocier la paix. L’Ukraine reste attachée à sa volonté de retrouver ses frontières de 1991 (Crimée incluse). Zelensky est contraint de maintenir cet objectif car revenir sur ce point constituerait la fin de sa vie politique, lui qui incarne la résistance ukrainienne. A contrario, la Russie en position de force ne négociera pas tant que les négociations ne portent pas sur l’un des deux objectifs de Poutine, à savoir l’annexion des territoires de Donetsk et de Louhansk pour créer un chemin terrestre continu vers la Crimée et la « dénazification et démilitarisation » de l’Ukraine. Poutine y est contraint par son ambition d’entrer dans la Grande Histoire de la Grande Russie. Sans cela, il ne pourra jamais égaler des figures comme Pierre Le Grand.
Quelles conséquences pour l’Europe ?
L’Ukraine semble se diriger vers une défaite. Toutes ses options militaires dépendent de l’aide occidentale. Seulement, ce n’est pas la dynamique actuelle. Les opinions publiques occidentales sont de moins en moins favorables au soutien pour l’Ukraine. Selon un dernier sondage IFOP pour la Fondation Jean-Jaurès, 50% des Français approuvent la fourniture d’armes aux Ukrainiens par les Européens, soit une baisse de 15 points depuis mars 2022. Ainsi, les Gouvernements occidentaux doivent composer avec cette donne. Les disputes politiciennes aux États-Unis concernant un nouveau paquet d’aide ont empêché le vote de ce soutien additionnel au Congrès jusqu’à maintenant. En Europe, un accord pour une aide de 57 milliards d’euros a été trouvé après une longue bataille avec Viktor Orbàn. Il s’agit d’une aide financière visant plutôt à soutenir le redressement, la reconstruction et la modernisation de l’Ukraine, mais qui ne correspond pas à aux besoins imminents de Kiev.
Une défaite de l’Ukraine serait néfaste pour l’Europe. D’une part, nous nous retrouverons avec une Russie hostile aux portes de l’Europe alors que les pays européens ne sont pas prêts à se défendre. En effet, cela s’illustre par la différence de nature entre les aides européenne et américaine. Nous envoyons principalement argent et aide humanitaire, alors que les États-Unis envoient des armes produites chez eux, ce qui profite à l’économie locale. D’autre part, Vladimir Poutine infligerait une nouvelle défaite symbolique à l’Occident après les échecs occidentaux au Moyen-Orient (Irak, Afghanistan, etc.) ou en Afrique subsaharienne (Niger, etc.). Ainsi, une telle défaite accentuerait la reconfiguration de l’ordre mondial contre l’Occident. Elle viendrait à refermer deux siècles de domination occidentale.
Il n’est pas temps de lâcher l’Ukraine car ce n’est pas dans notre intérêt de voir Poutine mettre la main sur le pays. D’autant plus qu’aider l’Ukraine nous serait bénéfique, à condition que notre aide soit militaire pour relancer notre appareil productif et bénéficier à notre industrie de la défense car l’Europe doit se préparer au pire.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes Le Millénaire
Pour soutenir nos analyses ou nous rejoindre pour rendre sa grandeur à la France
Crédit Photo : President of Ukraine met with the Ukrainian military in Bakhmut and presented state awards, de President Of Ukraine, via Flickr, sous license CC0 1.0 DEED – CC0 1.0 Universal.
Add a Comment