William Thay et Pierre Clairé pour Valeurs Actuelles : « Comment la France peut encore bloquer l’accord MERCOSUR ? »

TRIBUNE L’accord de libre-échange entre l’Europe et plusieurs pays d’Amérique du Sud rencontre des oppositions de plus en plus affirmées. Mais pour le faire capoter, Paris doit définir une vraie stratégie et manœuvrer finement à Bruxelles pour trouver des alliés, expliquent Pierre Clairé et William Thay.

Depuis plus de deux décennies, l’Union européenne et le MERCOSUR—le bloc sud-américain comprenant le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay—tentent de finaliser un vaste accord commercial. Promettant des gains économiques substantiels et des liens renforcés, cet accord est néanmoins confronté à une opposition féroce, notamment de la France. Or, notre pays, isolé sur le plan européen est-il véritablement en mesure de bloquer un accord qui se négocie davantage à Bruxelles qu’à Paris ?

Un accord attendu depuis longtemps mais hautement controversé

Les négociations autour de l’accord UE-MERCOSUR, lancées en 1999, illustrent l’ampleur des tensions qu’un tel projet peut engendrer. En 2019, un accord de principe a été trouvé, mais la ratification s’est rapidement heurtée à des objections majeures notamment de la part de la France. La crainte est double : l’accord pourrait aggraver la déforestation en Amazonie tout en menaçant l’agriculture européenne, notamment le secteur bovin, face à une concurrence jugée déloyale. La Pologne a récemment rejoint cette opposition, s’inquiétant pour son industrie avicole, tandis que l’Autriche et les Pays-Bas dénoncent l’incompatibilité de l’accord avec les engagements climatiques de l’UE. Le ministre de l’Agriculture italien s’est lui aussi exprimé en défaveur de cet accord, mais l’Italie y est favorable. À cela s’ajoute une pression publique croissante, comme 76% des Français qui s’opposent à la conclusion de cet accord selon un sondage Elabe[1].

Toutefois, tous les autres pays ne partagent pas cette vision. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Portugal défendent l’accord, qui permettrait à leurs secteurs industriels (automobile, machines, produits pharmaceutiques) de pénétrer plus facilement un marché de 260 millions de consommateurs en Amérique du Sud. En Allemagne, les industriels estiment que l’accord pourrait générer des milliards d’euros d’échanges supplémentaires chaque année. Du côté sud-américain, le président brésilien Lula a qualifié cet accord de « pont vers la prospérité », tandis que l’Argentine le voit comme une opportunité d’attirer des investissements européens. Pourtant, les doutes sur la capacité des pays du Mercosur à appliquer des engagements environnementaux stricts restent un frein majeur. Le sommet du Mercosur prévu en décembre 2024 sera décisif pour tenter de sauver cet accord.

Les mécanismes pour bloquer l’accord

L’accord UE-Mercosur, en tant qu’accord mixte, nécessite une approbation du Conseil de l’Union européenne, le vote se conclut soit à la majorité qualifiée soit à l’unanimité selon les compétences. Dans le cas d’espèce, il s’agit d’un vote à la majorité qualifiée, donc la France ne dispose pas de droit de veto. Pour s’opposer à l’accord, la France compte rassembler une minorité de blocage au sein du Conseil. Cette minorité de blocage doit comporter 4 pays qui doivent  représenter plus de 35% de la population européenne. Au-delà des Français (15% de la population européenne), les oppositions de l’Autriche (2%), des Pays-Bas (3,9%), de la Pologne (8%) de la Belgique (2,6%) ou de l’Italie (13%) sont nécessaires pour représenter ces 35% de la population européenne et espérer bloquer l’accord au sein du Conseil. Dans le cas contraire, l’accord doit être validé à la majorité simple par le Parlement européen, dans lequel la France ne compte que 81 représentants.

Même si l’accord est validé au niveau européen, il doit encore être ratifié par les 27 parlements nationaux, une étape qui devient de plus en plus compliquée pour les accords de libre-échange. En effet, en 2016, l’accord commercial UE-Canada (CETA) a été temporairement paralysé par le Parlement wallon en Belgique, qui réclamait des garanties sur les droits sociaux et environnementaux. Quant au partenariat transatlantique (TTIP) avec les États-Unis, il a tout simplement échoué face à une opposition généralisée en Europe. Cette étape, souvent longue et politisée, donne aux États membres une influence cruciale sur les accords commerciaux, permettant d’obtenir des concessions ou de s’opposer à des mesures jugées contraires à leurs intérêts nationaux. Pour l’accord avec le MERCOSUR, le rejet d’un seul pays pourrait bloquer l’accord, en sachant que les députés français ont rejeté l’accord ce 26 novembre, lors d’un vote consultatif, il existe une chance de bloquer l’accord. Un nouveau rejet, plus que probable, permettrait d’exiger des protections renforcées pour les agriculteurs et des garanties environnementales rigoureuses, retardant ou bloquant la ratification finale.

Les défis pour la France dans sa croisade contre l’accord

Pour la France, il y a 3 leviers de mécanismes pour bloquer l’accord sur le MERCOSUR: au sein du Conseil européen, au sein du Parlement européen et imposer un vote des Parlements nationaux.

Au niveau du Conseil européen, la France doit tenter de rallier une coalition comprenant au moins 4 pays qui représentent 35% de la population européenne, en sachant que les Français en représentent 15%. C’est-à-dire qu’il est nécessaire de trouver d’autres soutiens au-delà de la Pologne (8% de la population européenne), la Belgique (2,6%), l’Autriche (2%), les Pays-Bas (3,9%). En effet, les populations de ces pays qui ont affichés soit leur réserve soit leur hostilité à cet accord, ne représentent que 31,5% de la population européenne. Il s’agirait de trouver d’autres pays européens qui sont réservés ou d’autres pays disposant d’un nombre important d’agriculteurs.

Au niveau du Parlement européen, il va s’agir de bâtir une coalition hétéroclite puisqu’il faut obtenir le vote d’une majorité des 720 députés européens. Pour cela, la France dispose de 81 députés qui vont en grande partie s’exprimer contre l’accord. Puis il s’agira de rallier une grand nombre des députés provenant des pays qui se seront exprimés contre l’accord comme la Pologne (53 eurodéputés), les Pays-Bas (31 eurodéputés), la Belgique (22 eurodéputés), et l’Autriche (20 eurodéputés). Cela ne suffira pas vraisemblablement, et il faudra s’adresser à des parlementaires qui sont hostiles à l’accord: les Verts, ou bien les extrêmes de chaque côté du Parlement qui sont hostiles traditionnellement aux accords de libre-échange et soutiennent les agriculteurs.

Enfin, si les deux théâtres d’opération ne sont pas suffisants, il reste une dernière bataille à mener, celle du vote des Parlements nationaux, qui a le plus de chances de découler sur des résultats concrets. Mais la Commission pourrait être tentée de scinder l’accord en 2 pour que les dispositions commerciales (relevant des compétences exclusives de l’UE) ne fassent pas l’objet d’une ratification par les États membres. Si la France souhaite poursuivre son opposition l’accord commercial avec le MERCOSUR, elle doit peser de tout son poids pour empêcher cette manœuvre qui serait vue comme un détournement de la souveraineté populaire. Dans le cas contraire, cette tactique de la Commission européenne permettrait d’imposer à la France l’application des dispositions commerciales de l’accord sans ratification des Parlements nationaux. Cette solution ne pourrait être vue autrement que comme un désaveu et un déclin de notre position sur la scène européenne.

         La France dispose de leviers pour s’opposer à cet accord, même si la bataille devrait  être difficile au regard du peu d’alliés dont elle dispose. En effet, sur chacune des trois institutions comme le Conseil, le Parlement ou la Commission, la France semble en retrait sur une scène européenne dominée par les intérêts commerciaux  allemands.

William Thay, président du Millénaire, think-tank indépendant et gaulliste spécialisé en politiques publiques

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes


[1] https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/agriculture/sondage-bfmtv-mercosur-3-francais-sur-4-opposes-a-l-accord-de-libre-echange_AV-202411200737.html

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Crédit Photo : PlantacaodeSoja, par Tiago Fioreze, via Wikimedia Commons, sous licence Attribution-Share Alike 3.0 Unported.

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