L’Allemagne, longtemps perçue comme le moteur économique et politique de l’Union européenne, traverse une période de turbulences sans précédent et le pays semble vaciller sous le poids de ses propres contradictions. Pour la France, cette situation offre une opportunité rare : redéfinir l’équilibre européen en proposant une nouvelle voie face à un leadership allemand affaibli.
L’Allemagne : un frein, et non plus un moteur, de la politique européenne
Le rôle de l’Allemagne en tant que moteur économique de l’Europe est un récit qui s’essouffle. Si la discipline budgétaire allemande a pu être saluée en période de stabilité, son intransigeance sur l’austérité après la crise financière de 2008 ou la crise des dettes souveraines de 2012 s’est avérée un véritable carcan pour l’Europe. Les pays du Sud, comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, ont payé le prix fort de l’intransigeance de Berlin : récessions prolongées, chômage massif et tensions sociales. L’influence allemande sur la Banque centrale européenne (BCE) a renforcé cet immobilisme. Un euro fort a peut-être favorisé les exportations allemandes, mais il a pénalisé les économies moins compétitives de l’Union, accentuant les déséquilibres au sein de la zone euro.
A posteriori, la décision de l’Allemagne, en 2015, d’accueillir plus d’un million de migrants s’est révélé une catastrophe politique. Si elle a été applaudie comme un geste humanitaire audacieux au début, les conséquences ont été désastreuses. Elle a donné l’impression que l’Europe entière était prête à absorber des flux migratoires massifs, augmentant la pression sur des pays déjà fragilisés comme l’Italie et la Grèce. Longtemps, pour soutenir sa démographie déclinante et se cachant derrière un humanisme de façade, l’Allemagne n’a jamais voulu que l’Europe lutte efficacement contre l’immigration illégale. Seulement, cette position n’a pas résisté face aux difficultés internes, montrant une certaine hypocrisie du moteur européen qui a renié les principes auparavant défendus, avec le rétablissement des contrôles aux frontières.
La politique allemande a renforcé non seulement ses propres dépendances, mais également celle de ses voisins. En misant sur des importations de gaz bon marché en provenance de Russie et en bloquant le développement des sources alternatives comme le nucléaire, l’Allemagne a compromis la sécurité énergétique de l’Union européenne. De même, les exportations allemandes vers la Chine ont façonné des accords commerciaux qui ont surtout servi les intérêts de Berlin, qui était le seul interlocuteur des Chinois en Europe, au détriment d’une stratégie européenne cohérente. Des accords controversés comme celui avec le MERCOSUR illustrent encore cette tendance : privilégier des gains économiques immédiats, souvent au détriment des industries européennes et de notre modèle social.
L’Allemagne, hier championne, aujourd’hui en difficulté
Autrefois considérée comme le moteur économique fiable de l’Europe, l’Allemagne semble aujourd’hui en perte de vitesse. Les chiffres sont accablants : contraction de 0,1 % du PIB en 2023, et des prévisions de croissance anémiques pour 2024, plafonnant à 0,7 % pour 2025. Ce ralentissement économique suscite des interrogations : l’Allemagne est-elle encore capable de tirer l’Europe vers le haut, ou est-elle devenue un poids pour l’Union ? Autrefois, le pays était suivi par intérêt ou parce qu’il donnait l’impression de connaître la recette d’une économie à succès, mais il n’inspire plus confiance…
Les piliers de son industrie – automobile, manufacture, exportations – vacillent sous la pression de problèmes structurels et d’une concurrence internationale accrue. Le manque d’innovation dans des secteurs clés, comme celui des véhicules électriques, et l’attentisme allemand, causé par exemple par un manque criant de flexibilité, sont pointés du doigt. Ainsi, le Gouvernement actuel, Christian Lindner en tête, a préféré privilégier l’orthodoxie budgétaire à l’innovation, condamnant son pays sur l’autel de l’idéologie.
L’Allemagne était autrefois un modèle de stabilité politique, notamment sous Angela Merkel, dont le leadership rassurait en période de turbulences. Mais l’après-Merkel a révélé un paysage fragmenté et fragile. La coalition formée après les élections de 2021 n’a tenu que par un fil, avant de s’effondrer ce mois-ci, plongeant le pays dans une nouvelle période électorale. Dans le même temps, la montée des partis extrêmes, comme l’AfD à droite ou le BSW à gauche, bouleverse le paysage politique. L’Allemagne, symbole de modération, apparaît aujourd’hui déstabilisée, et inquiéte ses partenaires européens.
La France : transformer la crise allemande en opportunité
Le « couple » franco-allemand a longtemps été présenté comme le moteur de l’intégration européenne. Mais cette relation a souvent été déséquilibré, spéciale pour les Français, elle n’a jamais été rien d’autre qu’un simple outil pour servir les intérêts allemands de l’autre côté du Rhin. Sous Olaf Scholz, la situation s’est empiré puisque l’Allemagne a multiplié les décisions qui ignorent les intérêts français, qu’il s’agisse de la défense, de l’énergie ou des réformes économiques. Cette situation ne va pas forcément s’atténuer au regard des intérêts de plus en plus divergents entre nos deux pays. Cette prise de conscience ouvre la voie à une réorientation stratégique pour la France.
Face aux déboires de l’Allemagne et à l’échec de sa politique européenne, la France a une opportunité unique de s’imposer comme le leader de l’Union européenne. Elle peut et doit resserrer ses liens avec les pays d’Europe du Sud et de l’Est, qui pèsent de plus en plus dans les institutions européennes et qui ont mal vécu le diktat allemand de la décennie passée. Tout d’abord, nous partageons des intérêts communs avec des problématiques communes notamment sur la maitrise des frontières et des flux migratoires. Ensuite, nous avons besoin d’investissement supplémentaires pour opérer un redressement économique que ce soit par des aides régionales pour les pays de l’Est ou encore les plans de relance pour les pays du Sud.
Enfin, sur le plan géopolitique, ces pays sont plus proches de Paris pour la défense et les affaires étrangères. En effet, avec l’élection de Trump, l’avenir de l’Otan s’inscrit en suspens ce qui ouvre la voie à une coopération renforcée entre les pays européens face aux différentes menaces.
Alors que l’Allemagne vacille, la France doit saisir cette possibilité pour imposer un changement dans la politique européenne pour affirmer une autre vision. Face aux grandes mutations mondiales et à la concurrence économique féroce, l’Union européenne doit s’adapter aux nouveaux défis pour changer de politique en affirmant une volonté de puissance et une autonomie stratégique.
William Thay, président du Millénaire
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes, co-auteur de la note « L’Allemagne en crise, une opportunité pour la France de rééquilibrer l’Europe »
Pour soutenir nos analyses ou nous rejoindre pour rendre sa grandeur à la France
Crédit Photo : Ukraine EU bid could take ‘decades’, warns Macron par Michael Sohn, via Free Malaysia Today, sous licence CC BY 4.0.
Add a Comment