William Thay et Pierre Clairé pour Marianne : « L’Europe doit protéger et bâtir son industrie des véhicules électriques »

Les États membres de l’Union européenne (UE) ont voté ce 4 octobre l’imposition de droits de douane sur les voitures électriques importées de Chine. Une bonne chose pour William Thay et Pierre Clairé, respectivement président et directeur adjoint des études du think-tank Le Millénaire, qui estime également que l’UE doit mener des politiques afin de réarmer son industrie automobile.

Le vote imminent de droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques importés de Chine marque un tournant pour l’industrie automobile européenne. Si cette mesure peut temporairement protéger un secteur en difficulté, les Européens ne créeront pas d’emplois industriels et ne produiront pas de véhicules électriques avec des artefacts juridico-commerciaux. Devenue un nain de l’industrie automobile, l’Europe doit certes se protéger mais surtout préparer l’avenir de l’automobile du XXIème siècle.

Les véhicules électriques au cœur d’une guerre industrielle

La domination de la Chine sur le marché mondial des véhicules électriques (VE) est loin d’être le fruit du hasard mais découle d’une stratégie minutieusement orchestrée. Grâce à des subventions massives dans le cadre du plan « Made in China 2025 », la Chine est devenue le premier marché mondial des VE, représentant près de 60 % des ventes mondiales. Les entreprises chinoises, subventionnées par l’État, vendent leurs véhicules à des prix si compétitifs que les constructeurs occidentaux peinent à suivre. Seulement, la conquête chinoise du secteur des VE ne se limite pas aux voitures. Pékin contrôle également l’accès aux matières premières essentielles à la fabrication des batteries, telles que le lithium et le cobalt, consolidant ainsi son emprise sur l’avenir de l’industrie automobile. Malgré l’obtention du leadership sur toute la filière des VE, la Chine maintient une politique industrielle agressive. D’un côté, elle soutient l’offre par le maintien des quotas de production pour les constructeurs étrangers pour les forcer à innover vers les industries vertes et de l’autre, elle soutient la demande en prolongeant l’exonération des consommateurs de la taxe d’achat (66 milliards) pour les encourager à acquérir un véhicule électrique.

De leur côté, les États-Unis ont réagi avec une détermination pragmatique. L’adoption de l’Inflation Reduction Act (IRA) en 2022 a marqué un tournant. Dotée de 369 milliards de dollars, cette loi vise à réindustrialiser le pays par la même doctrine agressive que la Chine qui articule une politique d’offre et de demande. Sur le plan de l’offre, les États-Unis soutiennent  les constructeurs automobiles s’ils produisent sur le sol américain. Sur le plan de la demande, ils incitent les classes populaires et moyennes américaines à acheter des véhicules électriques construits aux États-Unis par un mécanisme de crédits d’impôt . Ce plan démontre que Washington n’hésite pas à mettre la politique industrielle au-dessus des dogmes du libre-échange afin s’affranchir de leurs dépendances industrielles à l’égard de l’atelier du monde. Ainsi, la guerre commerciale ouverte sous Donald Trump s’est substituée par une guerre industrielle incidieuse dont l’Europe prise en étau en est la principale victime.

L’Europe est devenue un nain industriel

L’industrie européenne des véhicules électriques est à la traîne. Les constructeurs comme Volkswagen ou Renault sont freinés par des coûts de production beaucoup plus élevés que ceux de leurs homologues chinois, mais aussi par une dépendance massive aux importations de matières premières essentielles. Aujourd’hui, l’Europe importe près de 80 % de son lithium de Chine, ce qui expose l’industrie à des risques majeurs, notamment des hausses de prix ou des ruptures d’approvisionnement. D’autant plus que l’Union européenne accentue ses faiblesses en s’ajoutant des défauts tels que la réglementation excessive. Des initiatives comme « Fit for 55 », qui visent à réduire les émissions de carbone, alourdissent encore les charges pesant sur les constructeurs européens. Les fabricants européens se retrouvent pris au piège de réglementations environnementales strictes, tandis que les véhicules chinois, subventionnés, continuent d’affluer sur le marché européen. Résultat : une industrie en perte de vitesse, incapable de rivaliser avec les coûts ultra-compétitifs des importations asiatiques.

L’Europe a donc choisi de devenir un nain industriel. Elle a été prisonnière de responsables politiques ayant partagé deux dogmes : les règles néolibérales du commerce international et la tertiarisation de l’économie. D’un côté, elle  n’applique pas de réciprocité aux mesures commerciales les plus dures, notamment les quotas de production de la Chine qui imposent à tous les constructeurs produisant ou exportant en Chine au moins 50 000 véhicules de produire au moins 18 % de voitures électriques en Chine (1) ou les importants dispositifs de crédits d’impôt de l’IRA excluant les constructeurs européens (2). De l’autre, elle a préféré faire le choix de la désindustrialisation pour encourager l’essor des économies de services (tourisme, services financiers, services juridiques, etc.). Cela s’est traduit par deux dynamiques néfastes pour les constructeurs automobiles : la baisse de la part de l’industrie dans le PIB désormais autour de 15% et la baisse de la part des ouvriers dans les emplois des entreprises industrielles désormais autour de 44% pour soutenir la doctrine de « l’entreprise sans usine ».

Sauver l’industrie automobile électrique européenne

L’Europe doit réarmer son industrie automobile. Or, la production industrielle européenne a diminué de 2% selon la Commission européenne. Face à ces difficultés, l’Europe commence à envisager des mesures pour protéger son industrie. La Commission européenne a proposé cet été d’imposer des droits de douane sur les véhicules électriques importés de Chine. Cette initiative vise à rétablir des conditions de concurrence équitables pour les fabricants européens, en rendant les véhicules importés plus coûteux et en facilitant ainsi la compétitivité des produits locaux. Ces droits de douane accorderont un répit à l’industrie européenne, lui offrant ainsi le temps d’innover et d’accroître ses capacités. En limitant l’afflux de véhicules chinois à bas prix, l’Europe pourrait protéger ses emplois et revitaliser un secteur automobile en déclin.

En revanche, on ne construit pas de voitures avec des droits de douane. Pour redresser réellement la situation, l’Europe doit investir massivement dans ses propres infrastructures industrielles. Le Vieux-continent doit construire ses propres méga-usines et créer une chaîne d’approvisionnement locale pour les matières premières stratégiques​. En outre, l’UE doit réduire sa dépendance à l’égard des importations chinoises en établissant des partenariats solides avec des pays riches en ressources comme l’Australie ou le Canada. Ces alliances, couplées à des investissements stratégiques, permettraient à l’Europe de sécuriser ses approvisionnements et de renforcer sa position dans la course mondiale aux véhicules électriques. Enfin, l’Europe doit adopter une vision industrielle à long terme. Nous devons encourager la création de champions industriels européens, capables de rivaliser avec les mastodontes chinois et américains. L’adoption d’un « Buy European Act », similaire au modèle américain, pourrait être une solution pour favoriser la production locale.

La crise sanitaire nous avait enseigné que réduire nos dépendances permettait de retrouver de la liberté. L’Europe ne doit donc pas seulement s’accorder du répit, mais renouer avec son épopée industrielle de l’automobile en produisant soi-même les véhicules du XXIème siècle.

Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du Millénaire

William Thay, Président du Millénaire

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Crédit photo : Renault Zoe, egm, sous license Attribution-ShareAlike 2.0 Generic.

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