Les voitures électriques : vers une guerre commerciale contre la Chine ?

Le marché des véhicules électriques (VE) est devenu un terrain de bataille économique et industriel, où la Chine, désormais puissance n°1, impose ses pratiques tout en refusant de jouer le jeu du libre-échange. En 2024, les prévisions estiment que 17 millions de véhicules électriques seront vendus dans le monde, représentant environ 21 % des ventes automobiles globales, avec la Chine en tête, dominant près de 45 % du marché mondial. Seulement, loin de suivre la logique économique prônée par Friedrich List – selon laquelle une puissance dominante abandonne le protectionnisme pour embrasser le libre-échange – la Chine continue d’appliquer des politiques agressives de subventions et de barrières commerciales, sapant les fondements mêmes du commerce international.

Alors que l’Union européenne (UE) et les États-Unis cherchent à accélérer leur transition énergétique, la Chine contrôle aujourd’hui 70 % de la production mondiale de batteries lithium-ion et une large part des ressources critiques telles que le lithium et le cobalt, essentielles pour la fabrication de véhicules électriques. Cette domination pose un risque stratégique majeur pour les économies occidentales, fragilisant leur capacité à développer des filières locales compétitives.

En réponse à cette menace, l’UE envisage en octobre des droits de douane pouvant atteindre 36 % sur les véhicules électriques chinois, cherchant à se défendre contre une concurrence déloyale encouragée par des subventions massives de l’État chinois. Le protectionnisme chinois, loin de s’estomper, s’intensifie, accentuant le déséquilibre commercial et technologique entre la Chine et ses partenaires commerciaux.

En effet,l’été 2024 pourrait avoir marqué un tournant dans la politique commerciale européenne. En effet, la Commission européenne a annoncé la possible mise en place de droits de douane sur les véhicules électriques importés de Chine, une décision qui pourrait déclencher une nouvelle guerre commerciale. Face à une concurrence mondiale toujours plus féroce, et en particulier à l’égard d’un secteur chinois massivement subventionné, cette initiative soulève une question centrale : l’Europe doit-elle durcir le ton pour protéger son industrie des véhicules électriques ? Et si oui, comment concilier cette politique protectionniste avec la nécessité de bâtir une industrie compétitive, durable et innovante ?

Depuis plusieurs années, le commerce mondial est en pleine mutation. Alors que le libre-échange, longtemps considéré comme un dogme, comme le summum du commerce mondial, semblait régir les relations économiques internationales, nous assistons aujourd’hui à un retour en force des barrières commerciales. La Chine, avec son plan stratégique « Made in China 2025 », a ouvertement adopté une politique industrielle nationale protectionniste, subventionnant massivement son industrie automobile et ses technologies vertes. À l’autre bout du globe, les États-Unis, autrefois champions du libre-échange, n’ont pas hésité à adopter l’Inflation Reduction Act (IRA), qui soutient leur industrie des véhicules électriques via des crédits d’impôt généreux, réservés aux produits fabriqués sur le sol américain. Ces initiatives montrent que les règles du jeu ont changé. Le protectionnisme, autrefois rejeté comme un frein à l’innovation et à la croissance, est désormais au cœur des stratégies économiques des plus grandes puissances.

Dans ce contexte, l’Europe, qui semblait être l’idiot utile du village mondial, dernier défenseur du libéralisme et du libre-échange, pourrait enfin se réveiller et prendre conscience du retard accumulé. L’annonce de la Commission européenne d’imposer des droits de douane sur les véhicules électriques chinois est une réponse à une concurrence jugée déloyale, où les prix très bas des voitures chinoises, largement subventionnées, étouffent les constructeurs européens. Pourtant, cette décision soulève une série de questions cruciales. Est-il possible de bâtir une industrie automobile solide uniquement en érigeant des barrières commerciales ? Le protectionnisme tarifaire peut-il réellement offrir une solution pérenne à la crise de compétitivité que traverse l’industrie européenne des véhicules électriques ? Ou bien s’agit-il d’une mesure temporaire, qui doit être complétée par une vision industrielle plus globale, orientée vers l’innovation et l’investissement ?

Les guerres commerciales récentes offrent un éclairage utile pour évaluer les impacts de telles décisions. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, déclenchée sous l’administration Trump avec la multiplication des droits de douane, a provoqué des perturbations économiques majeures et une inflation accrue des biens importés. Bien que cette politique ait permis de protéger certains secteurs industriels américains à court terme, elle n’a pas fondamentalement modifié les rapports de force économiques mondiaux. En réalité, les experts économiques s’accordent à dire que les droits de douane, s’ils ne sont pas accompagnés de mesures de soutien à l’innovation et à la compétitivité, risquent simplement de freiner la croissance économique sans offrir de solution durable.

L’Europe se trouve donc à un moment décisif de son histoire. Depuis trop longtemps, elle a assisté à la montée en puissance de ses concurrents internationaux sans réagir. Des géants chinois comme BYD dominent aujourd’hui le marché mondial des véhicules électriques, tandis que les constructeurs européens peinent à suivre en raison de coûts de production plus élevée et d’une dépendance accrue aux importations de batteries et de matières premières. Par ailleurs, des initiatives telles que le programme « Fit for 55 », bien qu’essentielles pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union, imposent des normes environnementales strictes qui alourdissent encore les coûts pour les fabricants européens. Ainsi, le choix de recourir aux droits de douane est compréhensible, mais il doit s’inscrire dans une stratégie plus large visant à assurer la compétitivité à long terme de l’industrie européenne.

La question n’est donc pas seulement de savoir si l’Europe doit protéger son industrie par des droits de douane, mais plutôt comment elle peut construire un modèle industriel résilient et capable de rivaliser avec les géants mondiaux.L’Europe a aujourd’hui l’opportunité de prendre en main son avenir industriel, mais elle doit éviter de céder à l’illusion que les droits de douane suffiront à la sauver. L’expérience des guerres commerciales récentes montre que, si elles ne sont pas accompagnées de réformes structurelles ambitieuses, ces mesures pourraient s’avérer contre-productives.
Par Pierre Clairé, Directeur Adjoint des études du Millénaire

Crédit photo : Renault Zoe, egm, sous license Attribution-ShareAlike 2.0 Generic.

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