William Thay et Hugo Ragain : « Menace de sanctions de l’Union européenne : la France vers un scénario à la grecque ? »

La France vit au-dessus de ses moyens depuis les années 1970, dernière décennie où elle a présenté un budget à l’équilibre. Pourtant, notre pays ne s’illustre pas par de meilleurs résultats économiques ou de meilleurs services publics que nos voisins. Seulement, l’Union européenne a réactivé le pacte de stabilité, après 3 années de suspension en raison de la crise sanitaire. L’arrivée au pouvoir d’un parti populiste et dépensier pourrait conduire au même scénario que la Grèce a rencontré avec la prise de pouvoir d’Alexis Tsipras en janvier 2015.

Une addiction aux déficits budgétaires

Depuis 1975, les différents gouvernements successifs ont été addicts de manière volontaire ou non aux déficits. Soit, ils l’ont été par nécessité afin d’affronter des périodes de crise qui nécessitent d’augmenter les dépenses publiques. Cela permet notamment de protéger les acteurs économiques (plan de sauvetage des banques après la crise financière de 2008) ou pour relancer l’activité (plan Chirac en 1976 ou plan Mauroy 1981). Soit, ils l’ont été par lâcheté à des fins électoralistes. En effet, les périodes de croissance suivant les crises n’ont jamais été accompagnées par des réformes structurelles visant à réduire les déficits car celles-ci rendaient les responsables politiques impopulaires. On se souvient notamment de la fameuse cagnotte de Lionel Jospin avant la campagne présidentielle de 2002. Ainsi, la France n’a jamais profité de ses périodes de croissance pour résorber son déficit. Au contraire, la période 2010-2017 sera marquée par l’impossibilité de respecter le seuil de 3% du pacte de stabilité avec une moyenne de 4,8 points de PIB de déficit sur la période.

Ces déficits s’expliquent par une augmentation incontrôlée des dépenses, notamment sur deux aspects : les dépenses sociales et les dépenses de fonctionnement. D’un côté, les dépenses sociales ont explosé avec l’Etat nounou depuis le virage socialiste opéré par François Mitterrand de 1981. Les prestations sociales sont passées de 1,2% du PIB en 1960 à 32,2% du PIB en 2022 car on a privilégié la logique d’assistance à la logique productive. A PIB constant, en soixante ans, cette hausse équivaut à plus de 600 milliards d’euros de dépenses sociales additionnelles alors que 9,1 millions de Français vivaient sous le seuil de pauvreté selon l’INSEE. De l’autre côté, l’augmentation des dépenses de fonctionnement résulte de la volonté des décideurs publics d’augmenter sans cesse le périmètre d’intervention de l’Etat. Le nombre de fonctionnaires a augmenté de 40 % entre 1981 et 2018, alors que, dans le même temps, la population n’a augmenté que de 18%, ce qui accentue la masse salariale de l’Etat, principal poste des dépenses de fonctionnement. D’autant plus que l’Etat central n’a plus la main sur une partie de ces dépenses qui ont été transférées à l’administration territoriale (près de 20% des effectifs de la fonction publique) après les différentes lois de décentralisation et le principe de libre administration des collectivités territoriales. Ainsi, des collectivités territoriales appliquent le même principe qu’au niveau national : extension de l’intervention de l’Etat et augmentation du nombre de fonctionnaires.

Le retour du pacte de stabilité pour forcer des réformes structurelles ?

Après la forte augmentation des dépenses publiques des Etats-membres face à la crise sanitaire, l’Union européenne a sifflé la fin de la récréation. En effet, elle a réactivé le pacte de stabilité après 3 ans de suspension qui ont permis à la France de laisser filer les dépenses publiques à un niveau jamais atteint : 6,4 points de PIB de 2019 à 2020. Le retour de cet outil macroprudentiel met la France en situation de contrevenant à cause de ses finances publiques exsangues (déficit public de 5,5% du PIB en 2023), tenant à la fois du « quoi qu’il en coûte » que de notre addiction aux déficits. Le retour du pacte de stabilité annonce le retour des sanctions possibles liées à cette règlementation. L’UE les a d’ailleurs brandies à l’encontre de 7 pays dont la France. Ces sanctions sont d’abord une ligne directrice imposées avec des objectifs de réduction de la dette de 1% par an et une réduction du déficit afin d’atteindre 1,5 % du PIB en période de croissance. Si ces objectifs ne sont pas respectés la Commission peut infliger une sanction financière de 0,1 % du PIB par an.

Pour contrer ces sanctions, la France n’a comme seule solution que la mise en place de réformes structurelles. L’État doit drastiquement faire baisser ses dépenses afin de revenir dans les clous budgétaires. Or, sans coercition de l’Union européenne, nos dirigeants ne mettront jamais en œuvre ces réformes car elles supposent de rompre avec les dogmes qui nous gouvernent : socialisme et interventionnisme tout-azimuts. Au-delà des politiques, ce sont tous les décideurs publics qui devront se mettre au diapason. Au sein des administrations, des politiques de rigueur budgétaire et de pilotage de la performance financière devront être mises en place pour limiter les sorties financières inutiles et pesant sur les comptes publics.

La France victime d’un scénario à la grecque ? 

La dissolution prononcée par le président de la République rend une nouvelle fois incertaines les trajectoires futures des comptes publics. La montée des populismes de droite et de gauche a relégué la réduction des déficits au rang des dernières priorités. D’un côté, le programme du Nouveau Front Populaire augmenterait les dépenses de 286,8 milliards d’euros. Cette situation serait intenable sans augmenter considérablement les recettes fiscales engendrant inexorablement une fuite des capitaux qui pénaliserait notre activité économique. Du côté du Rassemblement national, le programme économique est lui très dépensier avec environ 100 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, n’ouvrant pas la perspective d’un budget à l’équilibre avant plusieurs années.

Ainsi, la France pourrait entrer dans un bras de fer perdu d’avance avec l’Union européenne comme la Grèce. En effet, la France pourrait prochainement se choisir des responsables politiques qui entreront en conflit avec l’Europe, comme lorsque Alexis Tsipras (Syriza) remporte les élections législatives en janvier 2015 contre l’austérité budgétaire que l’Union européenne impose à la Grèce en contrepartie de son maintien dans la zone euro. Seulement, ce combat est perdu d’avance puisque d’une part, l’Union européenne s’est vue renforcer au travers du retour du pacte de stabilité avec des capacités coercitives d’action jamais vues auparavant. D’autre part, la compétence monétaire de la BCE lui permet de mettre sous tutelle un Etat-membre ne respectant pas les prérogatives budgétaires comme la Grèce de Tsipras. Elle est intervenue en cessant de fournir des liquidités d’urgence aux banques grecques, provoquant la fermeture des banques et l’imposition de contrôles de capitaux, remettant à zéro les ambitions dépensières de Tsipras et le conduisant à son départ du pouvoir quelques mois après son élection.

Cette situation pourrait très bien avoir lieu en France si l’argent public continue d’être utilisé sans rigueur et que les déficits publics successifs ne s’améliorent pas continuant, de fait, à creuser la dette.

William Thay, Président du Think-Tank gaulliste et indépendant Le Millénaire

Hugo Spring-Ragain, Analyste des questions économiques pour Le Millénaire

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Crédit photo : Informal meeting of 27 Heads of States and Governments, Brussels, 10 March 2017, European Commission, sous license Attribution-non commercial noderivs 2.0 Generic, via Flickr.

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