Quels risques économiques d’une instabilité gouvernementale ?

Depuis la dissolution actée par le président de la République, la France est entrée dans une situation inédite sous la Vème République : il n’y a plus de majorité dans la chambre basse du Parlement, soit l’Assemblée nationale. En effet, deux mois après les résultats du 7 juillet 2024, les 11 groupes parlementaires ont exprimé par l’intermédiaire de leurs chefs de parti lors des consultations auprès d’Emmanuel Macron, que trois options de coalition gouvernementale, en somme trois blocs : un bloc autour du Rassemblement national (142 députés), un bloc autour du Nouveau Front Populaire (193 députés) et un “bloc central” autour des partis du centre et de la droite (235 députés). 

Or, aucun Gouvernement issu (le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale) de l’un de ces blocs ne peut survivre à une motion de censure votée par les deux autres blocs. Ainsi, la France a vécu une première phase d’instabilité politique avec un gouvernement démissionnaire maintenu pendant près de 60 jours, un record sous la Vème République, le temps de laisser les consultations s’opérer pour chercher à éviter cette situation. La nomination de Michel Barnier, un profil consensuel, est jugé par le président de la République comme le plus capable de survivre à une motion de censure, grâce à une neutralité du Rassemblement national. Seulement, les rapports de force à l’Assemblée nationale n’ont pas changé et le pays est ainsi menacé par l’instabilité gouvernementale, c’est-à-dire une succession de gouvernements renversés par l’Assemblée nationale.

Une instabilité gouvernementale a un effet nécessairement délétère sur les politiques économiques et les politiques publiques conduites par l’exécutif notamment celles portant sur le temps long. Plus spécifiquement, la politique économique est l’une des principales victimes de l’instabilité politique puisqu’elle repose sur des politiques structurelles de plusieurs dizaines d’années (la politique industrielle, la politique commerciale, la politique de concurrence, etc.) nécessitant une vision sur le temps long. De même, les politiques conjoncturelles (la politique budgétaire, la politique d’emploi, etc.) dépendent également de cycles économiques, lesquels imposent parfois de prendre des décisions dites contracycliques, qui peuvent d’un point de vue politique se révéler être impopulaires. 

Une instabilité gouvernementale peut empêcher la bonne conduite de politiques structurelles (les gouvernements peuvent faire et défaire les politiques de leurs prédécesseurs) comme conjoncturelles (les gouvernements peuvent ne pas opérer des décisions impopulaires à court terme, mais nécessaires pour l’avenir du pays). Ainsi, il est observé en Europe une corrélation entre les pays les plus difficilement gouvernables et leur niveau économique, notamment leur niveau d’endettement public. Depuis la crise des dettes souveraines, l’Italie a enchaîné gouvernement technique, d’union des populistes, et d’union nationale en 10 ans ; l’Espagne n’a pas eu de gouvernement entre janvier et mai 2016 et la Grèce a vu Tsípras gagner en 2015 avec une parenthèse de plusieurs mois sans gouvernement. Or, il s’agit de 3 pays parmi le top 5 des pays les plus endettés de l’Union européenne (Grèce 162% du PIB, Italie 137%, et Espagne 108%). Ces pays d’Europe du Sud ont vécu des phases d’instabilité politique amplifiant l’incapacité de leurs gouvernants à réformer. Cette corrélation est aussi observée dans l’histoire récente française : si l’instabilité gouvernementale de la IVème République n’a pas empêché les Trente Glorieuses, on observe malgré tout une distribution de la croissance différente entre une décennie d’instabilité gouvernementale (4,8% de croissance économique moyenne entre 1948-1958) sous la IVème République ; et une décennie de stabilité gouvernementale (5,6% de croissance économique entre 1958-1968) alors que le cycle économique est globalement prospère pour l’Europe et la France.

La France emprunte désormais la même voie, alors qu’elle est déjà surendettée (111% du PIB) et soumise à une procédure de déficits excessifs par l’Union européenne. En s’appuyant sur la description de ce qu’est une instabilité gouvernementale (partie 1), le rapport décrit les conséquences de celle-ci sur les moteurs de la croissance économique (partie 2) et formule des propositions sur les mécanismes de surveillance et des recommandations pour pleinement soutenir nos acteurs économiques, déjà en difficulté, à survivre à cette période (parties 3 et 4).

Par Hugo Ragain, Analyste du Millénaire 
 William Thay, Président du Millénaire

Crédit photo : Hémicycle de l’Assemblée nationale via Wikimédia Commons sous licence CC BY-SA 3.0

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