Entretien de Matthieu Hocque et Pierre Clairé pour Atlantico : « Emmanuel Macron finira-t-il par être poussé vers la sortie par ceux qui l’avaient fait roi ? »

Pire que l’absence de majorité parlementaire pour le soutenir au Parlement, Emmanuel Macron n’a plus désormais de majorité présidentielle. Comment peut-il encore garantir le fonctionnement régulier des institutions ? Et la coalitation, ce néologisme avancé par l’Elysée pour signifier que l’absence de majorité préserve la légitimité du bloc central à participer au gouvernement du pays est-elle autre chose qu’un mirage politique et institutionnel ?

– L’Elysée préfère évoquer le néologisme de « coalitation » – mélange de cohabitation et de coalition – pour signifier qu’aucun parti d’opposition ne dispose d’une majorité claire et qu’il faudra, quoi qu’il advienne, compter sur le soutien du bloc central pour gouverner. Dans quelle mesure Emmanuel Macron a-t-il perdu sa majorité parlementaire mais aussi sa majorité présidentielle ?

Après la dissolution de l’Assemblée nationale et l’élection de nouveaux députés le 7 juillet dernier, Emmanuel Macron se retrouve dans une position encore plus fragile que celle qui était la sienne depuis 2022. Après les législatives de 2022, la majorité présidentielle ne disposait que d’une majorité relative, ce qui rendait chaque vote difficile. En convoquant des élections législatives anticipées, Emmanuel Macron a tenté de reprendre l’initiative politique, mais les résultats n’ont fait que renforcer l’éparpillement des forces politiques au Parlement. Les partis d’opposition, notamment La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement National (RN), ont consolidé leurs positions, tandis que Renaissance n’a pas réussi à rassembler une majorité claire.

Si aucun parti ou coalition ne l’a emporté, le parti présidentiel a bien perdu ces élections. Il a enregistré les pires défaites électorales depuis les législatives de 1993 qui avaient vu la coalition de droite l’emporter sur le Parti socialiste. En effet, le camp présidentiel a perdu près d’une centaine de sièges et donc la perte de la majorité parlementaire : le camp présidentiel ne peut plus diriger le pays seul depuis le 7 juillet 2024.

L’échec des législatives a eu pour effet de marquer non seulement la perte d’une majorité parlementaire, mais aussi un effritement de la majorité présidentielle. En effet, les soutiens centristes et modérés qui avaient fait l’ascension d’Emmanuel Macron lors de sa première élection sont désormais fragmentés, et beaucoup expriment leur mécontentement considérant que cette dissolution a été faite contre eux, sur le modèle de celle de Jacques Chirac en 1997. Or, si les députés du camp présidentiel doivent leur élection en 2017 ou leur réélection en 2022 grâce à Emmanuel Macron, ce n’est pas le cas en 2024. En effet, au sortir du 1er tour des législatives le 30 juin, le camp présidentiel était donné à 90 sièges eu égard au rétrécissement électoral du macronisme constaté lors des européennes (un bloc autour de 20% loin des 28% réalisés par Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle). Face au RN, deux lignes ont été développées : celle d’Emmanuel Macron ou des ténors de l’aile droite du « ni-ni » et celle de Gabriel Attal du front républicain y compris en faveur des Insoumis. Or, c’est la ligne de Gabriel Attal qui a permis la pleine effectivité du front républicain et qui a permis de maintenir un groupe important au camp présidentiel. Ainsi, cette élection parachève la rupture entre le président de la République et son ancienne majorité.

– Emmanuel Macron finira-t-il par être poussé vers la sortie par ceux qui l’avaient fait roi ?

Emmanuel Macron comme ses prédécesseurs doit s’appuyer sur trois types d’acteurs pour gérer le pays : les parlementaires de son groupe pour mener sa politique, l’administration pour mettre en œuvre sa politique et enfin les corps intermédiaires de la société qui constituent des relais pertinents pour la mise en œuvre d’une politique. Or, les relations entretenues par Emmanuel Macron avec tous ces acteurs sont mauvaises.

Si nous ne revenons pas sur ses relations avec les parlementaires, très mauvaises car ils ne doivent plus grand chose au président de la République, Emmanuel Macron entretient de très mauvaises relations avec l’administration, notamment la haute administration. Celle-ci n’a pas apprécié le volontarisme du chef de l’Etat à supprimer certains grands corps comme l’ont montré les mobilisations des diplomates en 2022. Au niveau des corps constitués de la société notamment les partenaires sociaux, ces derniers n’ont pas apprécié la volonté du chef de l’Etat à les outrepasser notamment lors des premières ordonnances travail qui pourtant réglementent les rapports au sein de l’entreprise (rôle des CSE, etc.), mais également lors de la réforme des retraites qui a uni les partenaires sociaux contre le président de la République. Du côté des chefs d’entreprise, ces derniers reprochent à Emmanuel Macron le manque de lisibilité de sa politique économique, passant d’une politique d’offre jusqu’à 2019 à une politique de demande à la faveur de la crise sanitaire aboutissant à une gabegie financière que le « Mozart de la finance » devait faire éviter au pays. Autre corps intermédiaires dont les relations sont mauvaises avec le président de la République, les élus des collectivités territoriales qui ont été courcircuités par la multiplication des grandes concertations (Beauveau de la Sécurité, Ségur de la Santé, Convention Climat, Grand débat national, etc.).

En se privant de relais pertinents pour gouverner, les anciens soutiens du chef de l’Etat lui tournent le dos et pourraient en effet ne pas le sauver si la question de sa démission devait intervenir dans le débat public dans les prochains mois en fonction des blocages institutionnels.

 – Un président sans majorité parlementaire ni majorité présidentielle peut-il encore vraiment garantir le fonctionnement régulier des institutions ?

Il ne reste à Emmanuel Macron que la dissolution pour relancer un processus législatif, mais il ne pourra faire usage de l’article 12 de la constitution qu’en septembre 2025 le cas échéant. Un nouveau recours à ce mécanisme pourrait décrédibiliser encore davantage Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs, risquant de provoquer une crise de légitimité. De plus, en cas de nouvelle dissolution, rien ne suggère que nous allons retrouver une majorité claire à l’Assemblée et que nous quitterons l’instabilité parlementaire qui caractérise la France depuis 2022, et qui semble être appelée à devenir la norme. En l’absence de soutien populaire ou parlementaire, garantir la régularité des institutions devient donc un exercice délicat et périlleux.

Ainsi, Emmanuel Macron ne peut plus être l’arbitre, le sélectionneur et le joueur. Le seul moyen pour Emmanuel Macron de limiter la casse serait de prendre ses distances et d’accepter sa perte de pouvoir et devenir le Roi d’Angleterre ou le président de la IVe République. Cette situation serait normale, alors que la France reste un régime parlementaire où l’Assemblée a un rôle prépondérant. Cela impliquerait qu’il ne s’implique pas dans les travaux parlementaires ou le choix du premier ministre par exemple, sachant que l’Article 8 de la constitution lui donne le droit de nommer le Premier Ministre, maïs ne stipule pas qu’il le choisit. Il faut par exemple regarder dans d’autres pays européens comment les choses sont faites pour garantir la stabilité des Institutions. En Espagne, pour ne citer qu’eux, on n’imagine pas le Roi Philippe II mener des consultations et choisir le premier ministre qui lui convient le plus, ainsi, il est inimaginable de voir Emmanuel Macron outrepasser ses prérogatives. Ce respect de la constitution et des institutions permettrait à Macron de garantir un bon fonctionnement des Institutions et de se dédouaner, pour autant son comportement récent et sa volonté de rester maître des horloges font dire qu’il ne se dirige pas vers cela.

– Le néologisme avancé par l’Elysée pour signifier que l’absence de majorité préserve la légitimité du bloc central à participer au gouvernement du pays a-t-il vraiment un sens politique et institutionnel ?

L’utilisation du terme « coalitation » par l’Elysée depuis quelques semaines semble hors de propos et masque la volonté de jouer un rôle central, alors que tout ce qu’Emmanuel Macron parvient à faire, c’est se voiler la face. En effet, l’idée d’une combinaison entre cohabitation et coalition était un moyen de justifier l’absence de majorité claire et d’essayer de créer un consensus autour du bloc central. Mais les résultats des élections de juillet, qui ont livré une Assemblée fragmentée, et la situation politique en France, ont montré que cette approche est difficilement tenable, alors que les Français ne sont pas dupes. Aucune coalition stable n’a pu émerger, et la cohabitation avec Michel Barnier, bien que factuellement vraie, ne ressemble pas vraiment à une cohabitation, car sa majorité sera fragile.

Le terme « coalitation » apparaît donc davantage comme une tentative désespérée de justifier un équilibre politique instable et de jouer un rôle fort et central. Institutionnellement, il reflète l’incapacité du système actuel à fournir des solutions viables face à un Parlement fragmenté, où les extrêmes gagnent du terrain. La Ve République s’appuie sur le fait majoritaire, en période de fonctionnement régulier comme en cohabitation ce qui n’est pas le cas pour cette « coalitation ». Politiquement, il est perçu comme un artifice rhétorique, soulignant le manque de vision claire de la part de l’exécutif pour surmonter l’impasse politique actuelle. Politiquement, cela ressemble à un déni de réalité de la part de Macron, alors que Renaissance a perdu les élections et que le désaveu du Président est fort.

Matthieu Hocque et Pierre Clairé, directeurs adjoints des études du Millénaire

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Crédit photo : Emmanuel Macron par Пресс-служба Президента Российской Федерации sous licence CC BY 4.0

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