Pour une approche  pragmatique des relations internationales : entre front européen uni et relance de dialogue avec la Russie

Synthèse :

L’échec du G7 canadien consécutif à l’annonce récente de Donald Trump d’imposer des droits de douane supplémentaires de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur celles de l’aluminium en provenance notamment de l’Union Européenne (UE), est un coup dur porté aux entreprises françaises et européennes.

Il s’inscrit par ailleurs dans un contexte de menace de nouvelles sanctions économiques suite au retrait américain du « Joint Comprehensive Plan of Action » (JCPOA) iranien et oblige les pays européens à s’allier afin de peser dans un contexte économique mondial incertain.

Face à un allié historique dont le comportement sur la scène internationale est devenu illisible et dont les intérêts se manifestent désormais expressément en opposition avec les siens, la France doit désormais envisager de nouvelles alliances.

Le contexte : des décisions américaines à rebours du multilatéralisme et des intérêts européens

La visite d’Emmanuel Macron à Washington et l’échange d’amabilité avec Donald Trump n’aura finalement pas permis au président français d’infléchir la position de son homologue sur les mesures protectionnistes annoncées. En dépit d’un discours remarqué face au Congrès durant lequel il a évoqué la nécessité du multilatéralisme et mis en garde contre les tentations isolationnistes, l’hôte de l’Elysée n’a pas réussi à obtenir les garanties qu’il était venu chercher.

Depuis le 1er juin 2018, les exportations de l’UE d’aluminium et d’acier à destination des Etats-Unis sont soumises à des droits additionnels. La raison invoquée par l’administration américaine est la sécurité nationale, conformément à la section 232 du Trade expansion Act de 1962. Pour rappel, cet argument était jusqu’à présent invoqué en cas d’importations importantes provenant de pays n’étant pas considérés comme des alliés. En l’espèce, la France, dont les exportations d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis représentent respectivement 462 millions d’euros et 248 millions d’euros annuels, est un allié historique, qui plus est, membre du commandement intégré de l’OTAN. Avec l’instauration de telles barrières, ces chiffres pourraient chuter à 166 millions d’euros et 43 millions d’euros, soit une baisse de 240 % des exportations françaises vers les Etats-Unis[1].

Si dans l’absolu, ces montants restent malgré tout assez faibles au regard de sa part mondiale, les conséquences indirectes apparaissent plus préoccupantes.

En effet, les exportations européennes destinées au marché américain pourraient être réorientées vers le marché intérieur alors même que ces secteurs souffrent déjà de surcapacité de production, ce qui pourrait conduire la Commission Européenne à mettre en place des droits de douane temporaires. Cela ferait d’autant plus sens que l’acier asiatique, notamment chinois, moins cher, devrait se détourner des Etats-Unis et inonder le marché européen. Au total, les droits de douane de Donald Trump pourraient coûter 2,8 milliards d’euros à l’UE, selon les calculs de la Commission.

Dans ce contexte, la Commission Européenne a annoncé le 1er juin qu’elle portait plainte devant l’Organisation mondiale du commerce contre les Etats-Unis, mais aussi la Chine, qu’elle accuse de transfert injuste de technologies des entreprises européennes.

La Commission a également établi une liste de marchandises américaines qui pourraient être taxées comme le bourbon, les motos et les jeans. Le tout, pour une valeur de 2,8 milliards d’euros.

Si la position européenne est d’éviter la surenchère, force est de constater que la décision de l’administration Trump intervient au moment où celui-ci ne fait plus mystère de sa volonté de réviser sa stratégie d’alliance avec ses alliés. Que ce soit en terme de politique commerciale ou géostratégique, l’administration américaine entend désormais placer ses intérêts nationaux au-dessus de toute considération historique traditionnelle au détriment de ceux de ses partenaires européens.

Par ailleurs, avec l’annonce du retrait américain du JCPOA, les entreprises américaines et surtout européennes ont moins de six mois pour se retirer du marché iranien afin de ne pas tomber sous le coup des sanctions imposées par une coutume à force d’usage, l’extraterritorialité du droit américain, organisée entre autres par le Foreign Corrupt Practices Act de 1977.

Dès lors, si les entreprises étrangères et notamment françaises ne souhaitent pas suivre l’exemple d’Alstom, condamnée à payer une amende record de 772 millions de dollars par le Department of Justice et dont la branche « énergie » est passée sous pavillon américain, Total, Engie, Airbus et autre PSA ont tout intérêt à se conformer aux souhaits de Washington, sous peine d’amende, ou de perte de l’accès au marché américain.

Or, en 2017, la France était le 2ème partenaire commercial de l’Iran, si on compte les exportations et les importations.Rappelons d’ailleurs à ce titre que Total a signé en juillet 2017 un contrat de 2 milliards de dollars (1,75 milliard d’euros) pour la première phase de développement d’un important champ gazier offshore, incluant une somme équivalente pouvant être mobilisée pour une seconde phase, tandis que Renault et PSA détiennent 40% du marché automobile iranien. Enfin, IranAir a récemment commandé à Airbus une centaine d’appareils, pour un montant total de 17,5 milliards d’euros.[2]

La réponse française : la mise en place d’un front européen uni face aux Etats-Unis et le retour à une approche pragmatique dans la définition des alliances au niveau international

De fait, la guerre commerciale lancée par Donald Trump devrait a fortioriobliger français et européens à donner une nouvelle orientation à leur politique étrangère. Il s’agit tant pour Paris que pour Bruxelles d’apporter une réponse proportionnée afin de préserver nos intérêts grâce à la mise en place d’instruments de défense commerciale et de protection de notre tissu industriel, et de mécanismes visant à contourner le FCPA

La commissaire européenne au commerce, Cécilia Malmström, a d’ores et déjà annoncé que des « mesures de sauvegardes »allaient être implémentées dans le respect des accords de l’OMC. Il s’agit en réalité de quotas qui permettraient, pour une durée de 200 jours, de stabiliser le niveau des importations telles qu’elles existaient avant, et d’éviter un accroissement de l’afflux des entrées.

Dans le même temps, l’UE doit acter de l’hostilité américaine et sortir d’une vision dogmatique du libre-échange et dresser des mécanismes de protection efficaces pour défendre son tissu industriel. Aujourd’hui zone économique qui protège le moins son marché intérieur, l’Union Européenne est restée trop longtemps emprisonnée dans la doctrine dont elle s’est voulue la gardienne, empêchant le regroupement entre entreprises nationales pour former des poids-lourds européens (article 102 du TFUE).

La Commission, qui dispose des pouvoirs les plus forts dans ce périmètre d’action, doit désormais tendre vers une modernisation de ces mesures et permettre l’émergence de géants continentaux.

Enfin, Bruxelles doit également veiller à recourir à un protectionnisme à la fois raisonné et coordonné afin de lutter à armes égales avec d’autres puissances qui n’hésitent pas à recourir à diverses mesures de protection, par la mise en place d’un « Buy European Act ». Il s’agirait de protéger le tissu économique et industriel continental et valoriser la production européenne dans les marchés publics, en réservant l’accès aux marchés publics européens aux entreprises dont les produits sont confectionnés à 50% sur le continent, avec des exceptions envisageables pour certaines gammes de produits ou technologies.

L’ensemble de ces mesures pourrait être mise en place de façon parallèle aumécanisme financier européen voté en 1996. Ce dernier viserait en effet à contrer l’extraterritorialité américaine à travers une aide au financement des PME souhaitant contourner le FCPA. Les entreprises travaillant dans le secteur de l’environnement, de l’aménagement urbain, des infrastructures ou des transports, bénéficieraient ainsi de subventions en cas d’atteintes graves à leurs intérêts.

Par ailleurs, le développement d’une structure européenne interétatique servant de tampon en tant que véhicule financier entre les entreprises européennes implantées en Iran et les structures locales, serait un moyen de contourner extraterritorialité américaine. En effet, cette dernière présente des limites dont au premier chef le lien de rattachement avec les Etats-Unis qui ne peut donner lieu à une interprétation extensive de l’étendue de la compétence territoriale. Ceci est d’autant plus vrai que peuvent tomber sous le coup du FCPA les « émetteurs », qui sont essentiellement les sociétés cotées, les « entreprises nationales autres que les émetteurs », c’est à dire tout citoyen, ressortissant ou résident des Etats-Unis ainsi que toute personne morale, société de capitaux ou de personnes, association, fiducie industrielle ou commerciale, organisation non dotée de la personnalité morale ou entreprise individuelle qui a son principal établissement aux Etats-Unis ou qui est organisée selon la loi des Etats-Unis, et « toute personne autre qu’un émetteur ou une entreprise nationale »[3].

Ces mesures ne pourront être pérennes que si dans le même temps, les entreprises européennes se préservent d’utiliser le dollar dans les échanges à l’intérieur des frontières de l’Union Européenne. Outre le pouvoir extraterritorial du Department of Justice, dont une des solutions de contournement serait la construction d’infrastructures numériques visant à protéger nos interactions bancaires, l’impérialisme juridique américain trouve également son origine dans la prééminence du dollar dans les transactions.

En outre, une telle politique ne prendrait sens pour la France que si elle s’adossait à un infléchissement en ce qui concerne ses relations avec les autres puissances, notamment à l’Est. Dans cette optique, il convient d’abandonner un néo-conservatisme fondé sur la morale et revenir à une realpolitik, en dialoguant de nouveau avec la Russie.

Trois grands intérêts communs convergent aujourd’hui entre la France et la Russie :

  • La lutte contre le terrorisme islamiste et la défense des Chrétiens d’Orient ;
  • Le règlement de la situation syrienne (pour des raisons historiques évidentes) ;
  • Le nucléaire iranien.

Sur ce dernier point justement, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine ont affirmé – lors de la visite du président français à Saint-Petersbourg à la fin du mois de mai – leur volonté de sauver l’accord et d’éviter que Téhéran ne s’exonère de ses engagements et relance son programme nucléaire.

Que ce soit en termes de politique commerciale ou géostratégique, la France a donc tout intérêt à rééquilibrer ses rapports avec l’Est, d’autant que l’Organisation de coopération de Shanghai, réunie à Qingdao, joue désormais l’unité – comme un miroir inversé au G7 – face à l’unilatéralisme américain.

La présence de l’Iran – dont la Chine est une grande consommatrice de pétrole- lors de ce sommet, est un signal fort envoyé à la communauté internationale, de même que le souhait affiché par l’ensemble des participants de « rejeter la mentalité de guerre froide et de confrontation entre les blocs ».

Les efforts des Etats-Unis pour imposer leur politique aux autres constituent aujourd’hui un danger pour l’équilibre mondial largement partagé par la communauté internationale dont la France pourrait paradoxalement tirer profit sur le long-terme.

En ce sens, le cas iranien, largement débattu lors du sommet OCS qui vient de s’achever, pourrait apparaître comme un premier test dans le bras de fer à venir entre Washington et les autres capitales eurasiennes dont Paris. Avant pourquoi pas, de conclure une alliance commerciale où l’euro deviendrait la devise de référence dans les échanges entre l’Europe et l’Asie.

[1]                Pour comprendre la crise des importations américaines d’acier et d’aluminium,

[2]                Le Monde, Des contrats de plusieurs milliards s’envolent avec les sanctions américaines contre l’Iran,9 mai 2018

[3]                On entend par « toute personne autre qu’un émetteur ou une entreprise nationale » toute personne physique qui n’est pas un citoyen, un ressortissant ou un résident des Etats-Unis et toute entité industrielle ou commerciale qui est organisée selon la loi d’un pays étranger et dont les titres ne sont pas négociés sur une bourse des Etats-Unis.

Note réalisée par Pierre-Henri Picard

pierre-henri.picard@lemillenaire.org

@ph_picard

Crédit photo: Image par David Mark de Pixabay

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