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Emmanuel Macron s’y était engagé : il créera « un système universel des retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Le tout sans toucher ni à l’âge de la retraite, ni « au niveau des pensions ».
L’intention est louable, et la volonté d’enfin mettre un terme aux régimes spéciaux (si cela se concrétise) ne peut qu’être saluée. Seulement, ce nouveau système rentre en contradiction directe avec l’esprit de notre modèle social, et risque d’aggraver les inégalités face à la retraite par rapport au système actuel.
Un renversement du principe assurantiel de l’après-guerre
Le système dont les citoyens français bénéficient à l’heure actuelle est bien une assurance vieillesse et non une carte à point dont nous remplissons les cases jusqu’à décrocher un droit. La différence, si elle peut paraître superficielle, sous-tend un renversement total de philosophie dont nous nous devons d’être conscients.
Le système à points équivaut, dans les faits, au système de retraite à l’américaine, par capitalisation : dans cette approche, les cotisations (les points) sont mesurées et accumulées tout au long de la vie et ouvrent in fine des droits proportionnels auxdites cotisations. Au contraire, dans le système assurantiel, chacun cotise aujourd’hui pour dédommager aujourd’hui les « sinistrés », quelle que soit l’assurance (habitation, santé, etc.). L’assurance vieillesse permet ainsi à la société de couvrir, jusqu’à leur décès, tous ses membres et notamment les plus vulnérables, contrairement à un système d’épargne individuel.
Si le système assurantiel nous garantit un revenu jusqu’à notre fin de vie, les droits offerts par un système par capitalisation, telle une épargne, pourraient tout à fait être « épuisés », notamment si l’on vit « trop longtemps ».
Un système voué à magnifier les inégalités, sauf si…
Loin de parvenir à un système égalitaire, la retraite à points, mal calibrée, reviendrait à magnifier un traitement inégalitaire plus profondément ancré, lié aux disparités d’espérance de vie. Les effets de ces disparités sont aujourd’hui palliés par le fait que les régimes de retraites varient par branche d’activité et catégorie socio-professionnelle. Demain, dans un régime universel unique, cela ne sera plus le cas. En effet, si un euro cotisé ouvre les mêmes droits mensuels à chacun (x euros par mois de retraite), alors un euro cotisé par un ouvrier ouvrira en réalité des droits cumulés moindres qu’un euro cotisé par un cadre supérieur, dont l’espérance de vie dépasse de six ans celle des ouvriers selon les données de l’INSEE.
Et ce problème continue de croître : l’espérance de vie des plus riches augmente bien plus rapidement que celle des plus défavorisés, qui stagne voire recule dans certains pays comme aux USA ces trois dernières années. En France, l’écart d’espérance de vie culmine déjà à 13 ans entre les hommes les 5% les plus riches et les 5% les plus pauvres ! Cette différence de situation, bien que moindre, se retrouve également entre hommes et femmes, celles-ci ayant en moyenne une espérance de vie plus longue.
Dans un système par points, si l’on souhaite effectivement une égalité des droits ouverts à cotisations égales, il faudrait donc que les points ouvrent des droits à un montant total, qui serait ensuite converti pour le nouveau retraité en un montant de pension mensuel en fonction de son espérance de vie (estimée notamment via son niveau de revenu et les métiers qu’il/elle a exercés, comme vu ci-dessus).
Cette approche, sous forme de pécule de retraite, permettrait également de répondre au dilemme des pensions de réversion, ces pensions versées aux veufs/veuves au décès de leur conjoint. Il ne s’agit pas de revenir sur le principe de cette redistribution, juste retour pour une activité non rémunérée tout au long de la vie au service de la cellule familiale et donc de la collectivité, bien au contraire. La transférabilité des droits accumulés pourrait venir remplacer judicieusement le système actuel de réversion.
Une injustice supplémentaire qui se profile avec le système à points est la question de l’âge légal de départ à la retraite. En effet, dans le système proposé, le nombre d’annuités disparaîtrait et seul l’âge légal de départ demeurerait. Or, l’âge légal est une mesure inégalitaire par nature, puisqu’elle ne prend pas en compte, sans exception, l’âge d’entrée sur le marché du travail. C’est au contraire le nombre d’annuités de cotisation sur lequel il faudrait se reposer, et à l’instar du SMIC qui est revalorisé selon des critères déterminés, ce nombre d’annuités pourrait être modulé années après années de manière presque automatique en prenant des critères objectifs comme par exemple l’augmentation de l’espérance de vie.
Mieux prendre en compte les contributions familiales…
Dans tous les cas, enfin, la cotisation par points devra inclure les contributions non salariales à la société, au premier rang desquels le temps dédié à la famille. D’ailleurs, même dans le système actuel, le fait d’avoir des enfants et d‘investir du temps dans leur éducation devrait être mieux reconnu.
Il est en effet impératif que les congés maternité et paternité soient mieux inclus dans le décompte des annuités donnant droit à la retraite. Aujourd’hui, la limitation des cotisations à 4 trimestres par an rend le dispositif sous-opérant, les trimestres supplémentaires en cas de maternité n’entrant en compte qu’en cas de trimestre manquant sur l’année. Dans un système par points, il faudra donc octroyer des points forfaitaires pour chaque enfant et pour les mois passés en congés maternité et paternité, et ce même en l’absence d’euros cotisés pendant ce temps.
Mais nous pourrions aussi pousser la logique plus avant, en faisant intervenir le quotient familial dans le calcul des contributions retraites de chacun. Avoir des enfants est une décision éminemment personnelle et noble, mais c’est aussi une décision qui a un impact très positif pour tout système de retraite par répartition. Il serait donc logique que cette décision puisse être récompensée par la société non pas juste par une majoration de 10% des pensions pour ceux ayant trois enfants ou plus comme actuellement, mais par une réduction des contributions retraites dès aujourd’hui et dès le premier enfant. En effet, une réduction dès aujourd’hui permettrait aux parents d’avoir plus de moyens pour investir dans l’éducation de l’enfant dès son plus jeune âge, profitant par là même d’autant plus à la collectivité sur le long terme.
Le principe «d’un euro cotisé donne les mêmes droits», stricto sensu, apparait ainsi contre-productif, injuste et impraticable. Cette réforme des retraites reste néanmoins une opportunité historique de rationnaliser notre système de retraite, de le rendre plus égalitaire entre femmes et hommes, entre parents et non-parents, et enfin et surtout de le rendre plus juste face aux inégalités d’espérance de vie. Reste à savoir si Emmanuel Macron et le gouvernement seront à la hauteur de l’enjeu.
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