Plan Borloo pour les banlieues : un manque de cohérence politique au détriment de la responsabilité

Contexte :Mandaté à l’automne par Emmanuel Macron, l’ancien ministre de la ville Jean-Louis Borloo a remis ce jeudi 26 avril son rapport « Vivre ensemble, vivre en grand la République ». Articulé autour de 19 mesures, le « plan Borloo » devrait coûter environ 10 milliards d’euros par an, dont un peu plus de 3 milliards viendraient directement de l’Etat.

Faisant suite à l’appel de Grigny – ville où se sont tenus les états généraux de la politique de la ville durant lesquels 150 maires se sont mobilisés contre les restrictions budgétaires dans les territoires – le rapport fera l’objet de propositions concrètes par le gouvernement. Le président de la République doit annoncer quelques mesures inspirées du rapport à la fin du mois de mai, même si comme l’a rappelé Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, « ce n’est pas à Borloo de décider ».

Synthèse :Le constat énoncé par Jean-Louis Borloo dans le préambule est juste et accablant. En dépit des centaines de milliards d’euros injectés depuis 1977 (date du premier plan à destination des banlieues), la situation s’est détériorée. Cependant, là où l’ancien maire de Valenciennes veut remettre de la République, il conviendrait plutôt de remettre de l’Etat.Comme il le mentionne, « le droit commun recule : 113 policiers au commissariat de Sevran il y a 17 ans, 79 aujourd’hui. » 

En ce sens, si certaines propositions vont dans le bon sens, notamment en matières d’éducation et de formation, d’autres dispositifs proposés apparaissent totalement anachroniques, quand certains frisent carrément le non-sens et semblent à rebours de la méritocratie républicaine.

De fait, sur les 19 pistes que proposent l’ancien maire de Valenciennes, une seule est dédiée spécifiquement à la sécurité. Intitulé « Agir fermement pour la sécurité et la justice », le programme 13 reprend quelques propositions éculées parmi lesquelles la police de proximité, que Jean-Louis Borloo présente ici comme « un corps d’élite aguerri et bénéficiant des primes en conséquence ». Il s’agit d’un vieux serpent de mer déjà remis au goût du jour par Emmanuel Macron dans son discours de Tourcoing le 14 novembre 2017 dans lequel il présentait ses grands axes en matière de politique de la ville. Ce dispositif avait été abandonné en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, au motif que « la police n’est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants ». Rappelons qu’au moment de son abandon, les rapports d’évaluation de l’Inspection générale de la police nationale à l’égard des résultats de cette police étaient négatifs.

De plus, l’idée de co-construction d’une compétence régalienne par excellence qu’est la sécurité n’invite pas à replacer l’Etat ou la République au centre des territoires mais apparaît au contraire comme un aveu de semi-échec à l’encontre d’une prérogative fondamentale qui est celle de la protection des citoyens. En ce sens, « le déploiement de 500 correspondants de nuit supplémentaires sur des postes d’adultes-relais » doit inviter à la prudence, d’autant que comme le relève l’auteur du rapport, « le recrutement de ces correspondants de nuit et leur formation doit faire l’objet d’une attention particulière ».

Dans ces territoires, la sécurité des biens et des personnes doit être exclusivement dévolue à la police nationale ou à la gendarmerie et non pas à des vigiles ou des grands frères. De même, à aucun moment il n’est fait état de la radicalisation ou de l’islamisation de certains quartiers, alors même que les départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine ou du Val-de-Marne, sont aujourd’hui en tête du fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Par ailleurs, le rapport mise sur une utilisation accrue du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), alors même que le budget dudit fond pour 2018 sera sensiblement similaire à celui de 2017, ce qui suppose en somme de sacrifier d’autres actions, à destination notamment de la prévention primaire.

Pour faciliter l’intégration des jeunes de banlieues dans la fonction publique et pour arrêter de passer à côté des « talents de notre jeunesse et notamment des quartiers populaires », Jean-Louis Borloo préconise également la création de « L’Académie des leaders ».

Accessible sur concours, elle s’adresse à 500 jeunes de moins de 30 ans par an, à parité exacte. Le rapport nous apprend par ailleurs que la « sélection sera sans diplôme préalable et réservée dans un premier temps aux jeunes des QPV ». Si comme beaucoup d’autres mesures préconisées dans les presque 170 pages de ce texte, cette proposition est louable, elle relève surtout d’une politique de discrimination positive à l’américaine à rebours de la méritocratie républicaine.Quid en effet de l’égalité garantie par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« Tous les citoyens […] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ») ?

Au lieu de normaliser ces territoires en créant les conditions nécessaires à la réussite scolaire des jeunes qui en sont issus, le plan préconise plutôt de les enfermer dans une logique de charité politique. Comme l’explique de façon cinglante Malek Boutih, ancien président de SOS Racisme, il est préférable « d’avoir cinq jeunes issus de ces quartiers à l’ENA plutôt que mille dans une sous-ENA ».

Enfin, que penser de la création d’une Cour d’équité territoriale? Aux contours flous, elle apparaît comme une proposition incongrue puisqu’une telle mesure relève plus du coup d’épée dans l’eau que d’une véritable innovation en terme de politique publique, d’autant que les procédures sont définies par les décrets émis par le gouvernement. En outre, avec la mise en place d’une telle Cour, on en arrive à lajudiciarisation des personnes travaillant dans la sphère publique sans savoir précisément qui doit être tenu pour responsable. Les élus ? Les directeurs de services départementaux ? Les préfets ?

Reconnaissons toutefois que plusieurs mesures parmi les 19 présentes dans le plan vont dans le bon sens.

A destination de la petite enfance premièrement, puisque Jean-Louis Borloo préconise de « développer l’offre de socialisation et d’éducation pour les 0-3 ans »et de « tripler la préscolarisation à 2 ans »en REP+.L’ancien édile valenciennois rejoint ici la théorie développée par Fitzhugh Dodson (How to Parent) et popularisée en France par Françoise Dolto, selon laquelle l’essentiel des repères de l’imprégnation socioculturelle se donne aux enfants avant 6 ans.

Au niveau de l’esprit d’entreprendre également, avec la création de 100 zones franches numériques et culture et l’idée d’exonérer fiscalement et socialement(exonération d’impôts sur les bénéfices,exonération d’impôts locaux) les entreprises du numérique et du secteur culturel qui s’y implantent.Le succès d’initiatives entrepreneuriales comme Les Déterminés, qui a pour ambition de favoriser la réussite des entrepreneurs dans les quartiers populaires et les milieux ruraux, doit inspirer la mise en oeuvre de politiques publiques allant dans ce sens. De fait, la création d’un fonds de soutien de 60 millions d’euros par an constitué avec l’Agence France entrepreneurs et la Banque Publique d’Investissements est un premier élément de réponse cohérent.

Enfin, difficile également de se montrer contre la volonté affichée de ce plan de lutter contre l’illettrisme alors même qu’en France, un tiers des personnes qui ont des difficultés avec le français à l’oral ou à l’écrit sont originaires des quartiers populaires.

En conclusion, si certaines solutions énoncées dans le rapport apparaissent en adéquation eu égard des problèmes que rencontrent les populations issues des quartiers populaires, notamment en termes d’éducation et de formation, force est de constater que d’autres relèvent des vieilles lunes charitables qui n’ont jamais été à la hauteur des espérances. En ce sens, on peut légitimement rapprocher au « plan Borloo » son manque de cohérence et sa volonté affichée de ne pas traiter des problèmes liés à la radicalisation de certains quartiers. Il n’est pas certain en effet que la création des « Maisons Marianne » ou encore le recrutement de 5 000 coachs d’insertion suffisent comme politiques publiques visant à ramener la République dans ces quartiers.

Si la responsabilité plutôt que l’assistanat apparaît comme une bonne chose, elle n’est malheureusement pas assez mise en avant dans les mesures énoncées pour apparaître comme la ligne directrice d’une véritable volonté politique.

Note réalisée par Pierre-Henri Picard 

Pierre-Henri.picard@lemillenaire.org

@Ph_Picard

Crédit photo : Zairon sous licence CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

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