Analyse de la réforme des institutions

Dans ses contours, la grande réforme institutionnelle voulue par le président Macron prend forme. Cette révision, présentée en Conseil des ministres aujourd’hui, regroupe à la fois des promesses faites en campagne et des déclarations effectuées par le Président une fois élu. Le « paquet législatif» prendra la forme d’une série de textes correspondant aux trois niveaux de normes. Certaines mesures, comme l’instauration d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale, pourront être introduites par la loi ordinaire. D’autres, comme la réduction du nombre de députés ou le non cumul des mandats dans le temps, nécessiteront une loi organique. Enfin, certaines réformes comme la suppression de la Cour de justice de la République ou l’inscription de la Corse dans la Constitution, devront passer par une loi constitutionnelle.

  1. Réduction du nombre de parlementaires

Promesse de campagne : Réduire « d’un tiers » le nombre de parlementaires èpasser de 577 députés à 385 environ, et de 348 à 232 sénateurs.

Aujourd’hui : Il est question de réduire d’un quart à un tiers le nombre de députés et sénateurs. La proportion exacte reste à déterminer, car elle implique un redécoupage de la carte électorale et pose des questions de représentativité des territoires. L’objectif est de conserver au moins un parlementaire de chaque chambre par département ; les coupes se feront donc prioritairement dans les départements les plus peuplés, plutôt que dans les départements les plus ruraux.

  • La baisse du nombre de députés traduira fatalement par un élargissement de la taille des circonscriptions et des élus plus « hors sol ».
  • L’effet mécanique d’un agrandissement des circonscriptions sur une moindre diversité des profils des élus
  • Dans le temps, le nombre de députés a cru moins vite que la population française : + 40% pour les députés, + 62% pour la population depuis 1962.
  • Avec 114 000 habitants par député, la France se situe exactement au niveau de ses voisins de même taille. Avec un tiers d’élus en moins, le ratio serait de 171 500, ce qui n’a pas d’équivalent au sein des démocraties européennes.
  • Compte tenu de la diversité des charges parlementaires, une baisse d’un tiers du nombre d’élus ne réduirait pas le budget dans les mêmes proportions mais sans doute de 20%, soit 100 millions d’euros.
  • En réponse à l’idée de redéployer les économies réalisées en les affectant aux collaborateurs parlementaires notamment, la comparaison fait apparaître que l’Assemblée nationale dispose du 3ème budget de l’Union européenne en valeur absolue (550 millions d’euros environ) et par député (1 million d’euros environ). La baisse d’un tiers des élus placerait l’Assemblée au premier rang d’Europe en ressources par député (1,5 million).
  1. Limitation du cumul des mandats dans le temps

Promesse de campagne : « Nous instaurerons le non-cumul des mandats dans le temps. On ne pourra exercer plus de trois mandats identiques successifs. »

Aujourd’hui : Principe de non cumul au bout de « trois mandats identiques, complets et consécutifs ». Les mandats de maires de communes de moins de 9000 habitants ne seront pas concernés.

  1. Introduction d’une dose de proportionnelle

Promesse de campagne : Introduire de la proportionnelle dans l’élection législative.

Aujourd’hui :15% des députés seront élus à la proportionnelle aux prochaines législatives.

  • L’ADN de la Ve République est dans le scrutin majoritaire. Il permet de dégager des majorités claires et de gouverner sans instabilité.
  • C’est une manière pour les partis d’imposer leurs technocrates sans encrage local
  • La mesure est dangereuse car favorise les extrêmes : Si l’élection législative de 2017 comprenait 15% de proportionnelle, La République en marche aurait obtenu une courte majorité à elle seule (205 sièges sur 404 contre 312 sur 577 aujourd’hui) renforcée de 24 députés du Modem (contre quarante-sept). Il y aurait eu 82 députés LR (contre 102), 15 Front national (contre 7). À gauche, la répartition aurait été le suivante: PS, 25 sièges (contre 31), La France insoumise 19 (contre 17) et 6 communistes (contre 16).
  1. Accélération de la procédure parlementaire

a./ Aujourd’hui :Généralisation de la procédure accélérée : en cas d’échec de la commission mixte paritaire à l’issue de la première lecture, le passage à l’Assemblée nationale sera supprimé en seconde lecture. Le texte sera alors directement examiné par le Sénat sans passage en commission, puis voté en lecture définitive à l’Assemblée nationale au plus tard dans les huit jours qui suivent.

  • Affaiblit indéniablement le rôle du Parlement, et particulièrement celui du Sénat, face à l’exécutif.

b./ Annonce : Limitation du droit d’amendement en fonction de l’importance de leur groupe.

Aujourd’hui :Abandonnée : Les présidents des assemblées ont convenu qu’il était nécessaire de limiter les amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi

c./ Aujourd’hui :Réduction du calendrier budgétaire : dépôt des projets de loi et finance et de financement de la sécurité sociale à compter de la troisième semaine d’octobre pour une adoption en 50 jours.

  • Les administrateurs des assemblées sont formels : tenir ces délais est impossible. La seule façon de respecter ce délai est de changer la structure du PLF pour en faire un texte uniquement sur les dépenses.
  1. Renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement

Aujourd’hui :Les conditions de saisine de la Cour des comptes par les parlementaires pourraient être élargies. Concernant les lois déjà votées, les parlementaires auraient la possibilité de les amender ou de les corriger pendant la semaine de contrôle. Un « Printemps de l’évaluation » serait organisé chaque année, au cours duquel chaque ministre ferait un bilan de l’exécution de son budget.

  1. Evolution du CESE

Annonce lors de ses vœux aux corps constitués : réduire de moitié le nombre de membres du Conseil économique et social, tout en le transformant en « canal privilégié de la participation des Français à la décision publique ».

Aujourd’hui :Le CESE deviendra une chambre de la société civile, chargée, avec un nombre de membres réduit de moitié, d’organiser les consultations des citoyens et des experts sur les projets d’avenir pour notre pays

  1. Plus de liberté d’administration pour les collectivités territoriales

Aujourd’hui :Elargissement de l’article 72 de la Constitution :

–       Aujourd’hui, les collectivités territoriales peuvent déroger aux lois fixant leurs compétences, mais uniquement pour un objet limité et à titre expérimental. La réforme constitutionnelle veut instaurer un « droit à la différenciation » pour les collectivités, qui leur permettrait de pérenniser des expérimentations sans qu’elles soient nécessairement étendues à tout le territoire.

–       Les collectivités territoriales pourraient également se répartir plus librement entre elles les compétences qui leur sont dévolues ; par exemple, une région pourrait prendre en charge la construction et la gestion d’un collège, compétence normalement dévolue aux départements.

  1. Suppression de la Cour de justice de la République[1]

Aujourd’hui : «Nos concitoyens ne comprennent plus pourquoi seuls les ministres pourraient encore disposer d’une juridiction d’exception.» La mesure est présentée comme une modernisation la procédure de mise en cause de la responsabilité pénale des Ministres. Sur la proposition du Gouvernement et avec l’approbation de l’ensemble des groupes parlementaires, un filtre sera toutefois conservé pour que la responsabilité des ministres ne soit engagée qu’à bon escient.

  1. Réforme du Conseil supérieur de la magistrature

Aujourd’hui :Désormais, les nominations des magistrats du siège devront se faire sur avis conforme du CSM, qui disposera par ailleurs de pouvoirs de sanctions contre eux.

  1. Réformes relatives au Conseil constitutionnel

Aujourd’hui :

–       Passer de 60 à 40 le nombre de députés ou sénateurs nécessaires pour saisir le Conseil constitutionnel.

–       Fin de la nomination de droit des anciens présidents de la République au Conseil.

  1. Inscription de la Corse dans la Constitution

Annonce d’Emmanuel Macron le 7 février en Corse : Il s’est déclaré favorable à l’inscription d’un article spécifique sur la Corse dans la Constitution.

Aujourd’hui :Inclure la Corse dans la constitution permettra d’adapter les lois de la République aux spécificités insulaires, mais sous le contrôle du Parlement.

  • La République est une et indivisible
  1. Environnement

Aujourd’hui :Inscrire un objectif de lutte contre le réchauffement climatique.

  1. Instauration d’un service nationale

Promesse de campagne : créer un service national obligatoire et universel

Aujourd’hui :Le conseil d’état devra se prononcer sur la nécessité d’inscrire le service national universel pour valoriser l’engagement des jeunes au service de la Nation ; en ce cas, l’article 34 sera modifié.

Pour conclure :

Il est important de souligner les incertitudes et contradictions d’une réforme plus soucieuse de l’efficacité parlementaire que de la qualité représentative des assemblées. Le surcroît d’efficacité qu’entraînerait la réforme n’a rien de certain. En revanche, elle distendrait un lien représentatif déjà fragile entre électeurs et parlementaires.

La réforme constitutionnelle veut profondément réformer la fabrique de la loi, mais concerne aussi la justice ou encore la décentralisation. L’objectif du gouvernement est de « procéder à une première lecture » des textes « avant la pause estivale » et de « parachever » la réforme en 2019. Les trois textes seront présentés en Conseil des ministres le 9 mai.

[1]Créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 dans le contexte de l’affaire du sang contaminé et de la multiplication des affaires politico-financières, elle n’aura tenu que cinq procès

Note réalisée par Sidonie Grand

contact@lemillenaire.org 

@SidonieGrand

Crédit photo : Assemblée Nationale par Wikimedia Commons sous licence CC BY-SA 3.0 

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