Le Monde selon Poutine

La Russie est un marqueur de l’évolution des grandes mutations mondiales. La chute de l’Union soviétique le 25 décembre 1991 laisse penser que le triomphe de la démocratie libérale est inexorable. Il s’agit de la thèse de Francis Fukuyama dans La fin de l’Histoire et le Dernier Homme. En effet, la parenthèse Boris Eltsine symbolise la victoire du camp occidental par l’ouverture libérale sur le plan politique avec le pluralisme des candidatures et sur le plan économique avec les privatisations et la fin du communisme. Ce processus interne à la Russie entraîne dans son sillon la perspective d’une libéralisation de régimes dans l’espace post-soviétique et même dans le monde entier avec le repli du communisme en Asie Mineure, en Asie du Sud et de l’Est, au Moyen-Orient et en Afrique. 

Seulement, Vladimir Poutine incarne depuis 2000 le redressement de la Russie et son retour comme grande puissance. Cela se décline dans des ambitions de long terme, qui si elles peuvent s’adapter au contexte, conservent la même finalité : faire renaître la Grandeur Russe au XXIème siècle pour parvenir à deux grands objectifs : transformer la société russe à son image pour éviter un déclin moral et civilisationnel sur le modèle de l’Occident et remodeler l’ordre du monde en faveur d’un monde multipolaire avec des relations rééquilibrées entre l’Orient et l’Occident. Pour cela, le président russe a eu besoin de 5 mandats. 

Sur la première partie de son règne (2000-2008), Vladimir Poutine a eu besoin de réarmer son pays pour le redresser alors que les indicateurs socio-économiques étaient dans le rouge (production de richesses, taux de pauvreté et de chômage, espérance de vie, etc.). Cela l’a conduit à adopter une politique pragmatique conciliant liberté, privatisations et soutien de certains oligarques avec un protectionnisme de certains secteurs stratégiques en voie de redressement (agriculture, hydrocarbures, métallurgie ou encore énergie). Sur le plan international, cela s’est traduit par un rapprochement avec l’Occident symbolisé par l’adhésion de la Russie à l’OMC en 2011. 

Sur la deuxième partie de son règne (2012-2021), Vladimir Poutine s’éloigne de l’Occident sur fond de désaccords en Géorgie, en Ukraine et surtout en Syrie où il bloque l’intervention occidentale en 2011 et devient le premier leader non-occidental à dire non à l’Occident. De plus, il ajoute au renforcement du contrôle de l’État déjà engagé, le renforcement du contrôle de la société. Son ambition de bâtir une société russe du XXIème siècle davantage portée sur les valeurs traditionnelles et religieuses à la différence d’un Occident qu’il juge en décadence. Son objectif in fine est d’éviter à la Russie pourtant puissance européenne historique de suivre le même chemin que les puissances ouest-européennes. Sa proposition de modèle antagoniste à l’Occident en étant plus autoritaire et plus traditionnelle séduit une partie du Sud Global ce qui lui ouvre de nouvelles alliances. 

Dans un contexte de bienveillance relative du Sud Global à son égard, Vladimir Poutine accélère son calendrier après la crise sanitaire pour faire de la Russie une puissance dominante à la fin de la décennie 2020. La guerre en Ukraine s’inscrit dans ce paradigme où ce dernier entend : réunifier la nation russe sur un modèle antagoniste à l’Occident et proche des modèles similaires comme en Chine, Iran ou en Turquie et remodeler l’ordre du monde en fonction de sa vision historique et politique. 

Sa réélection quasi-certaine en mars 2024 doit conduire l’Occident à s’interroger sur nos rapports avec Vladimir Poutine qui pourrait rester jusqu’en 2036. Après une revue de l’évolution de ses intentions au cours de ses deux règnes successifs, cette note vise à déterminer quelles sont les intentions de Vladimir Poutine après la guerre en Ukraine et pour les prochaines décennies.

Par Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études du Millénaire
William Thay, president du Millénaire 
 Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Études du Millénaire
 Thibault Arondel, analyste du Millénaire

Crédit Photo : Vladimir Poutine via Wikimedia Commons sous licence CC BY 4.0 DEED

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