William Thay, président du think tank Le Millénaire, et Pierre Clairé, directeur adjoint des études et spécialiste des questions internationales et européennes, analysent la primaire républicaine à l’issue du Super Tuesday. Donald Trump, seul en course, est déjà donné vainqueur et se prépare ainsi à son match retour contre Joe Biden en novembre. Interview par Lola Orvalez.
Observez-vous un changement dans l’électorat de Donald Trump, par rapport à 2016 ou 2020 ?
Donald Trump conserve un électorat similaire depuis 2016. Il lui est fidèle et est caractérisé par une population plus rurale, plus blanche, plus masculine et moins diplômée. Cette base s’est réduite entre 2016 et 2020 pour plusieurs raisons. D’abord, Donald Trump a perdu une partie des indépendants face à Joe Biden en 2020. En effet, ce dernier incarne une aile démocrate modérée face à la ligne économique dure de Bernie Sanders qu’avait adoptée aussi Hillary Clinton en 2016. De plus, Donald Trump a perdu une partie des seniors en raison de sa politique sanitaire jugée trop risquée, notamment au début de la crise sanitaire avec une phase de déni de la gravité de la crise. Même s’il convient de nuancer ce point : selon les derniers sondages, le milliardaire dispose toujours d’une avance de près de 5 points face à Joe Biden sur les seniors.
Ensuite, Donald Trump a perdu une partie des électeurs des banlieues. Il s’agit d’un électorat avec un niveau de diplôme de l’enseignement supérieur plus élevé, une diversification ethnique plus importante et donc une ouverture de fait aux thèses libérales.
Mais les Démocrates ne disposent désormais plus d’un avantage net sur les actifs, les femmes, les hispaniques et les non-diplômés qui ne sont pas blancs. Donald Trump obtient les meilleurs résultats auprès des électorats dit de la “diversité” notamment hispaniques, ce qui explique ses résultats en Floride. Il séduit aussi de plus en plus les électeurs “non blancs” qui n’ont pas de diplôme universitaire. De plus, beaucoup de segments qui avaient abandonné Donald Trump en 2020 sont en train de revenir, notamment les indépendants.
– Comment expliquer la transformation de l’électorat républicain, qui, sous Donald Trump, se compose de plus en plus d’Américains peu diplômés et vivant en milieu rural ?
Nous assistons aux États-Unis comme dans l’ensemble des démocraties occidentales à une mutation des valeurs au sein des électeurs diplômés qui coïncide également à un changement de clivage dans les sociétés. Les diplômés américains deviennent de plus en plus “libéraux” au sens américain du terme, c’est-à-dire progressistes. Ces électeurs se détournent progressivement des thèses néolibérales historiques du Parti républicain en étant davantage séduits par les politiques sociales telles que l’Obamacare. De la même manière, nous voyons les électeurs non-diplômés se tourner vers le Parti républicain. C’est comme si nous assistons à une sorte de contre-révolution de la “white working class”. Cela a poussé des personnalités politiques comme Trump à durcir leur message, quitte à pousser les électeurs modérés à s’éloigner.
Comme les institutions, y compris celles de l’économie privée, de la sécurité nationale, de la science et de la santé, sont majoritairement dirigées par les diplômés universitaires qui constituent une base électorale démocrate fiable, la confiance du Parti républicain dans ces institutions diminue, conduisant les conservateurs à adopter une tonalité plus populiste. Cela pose un défi pour les conservateurs traditionnels cherchant à regagner le soutien des électeurs diplômés universitaires. Nikki Haley avait décidé de jouer de cela et de constituer une alternative au trumpisme, pour séduire ces déçus du discours dominant au sein du parti républicain, et ainsi constituer une alternative viable.
Nikki Haley a décidé d’abandonner la primaire. Pensez-vous que son électorat et celui de Donald Trump sont imperméables ?
Un sondage réalisé par AP Votecast a montré qu’un certain nombre d’électeurs républicains ayant voté pour un autre candidat ne voteraient pas pour Trump en novembre s’il était choisi comme candidat du GOP. Ils pourraient ne pas se déplacer ou voter démocrate. Ce chiffre n’est pas négligeable mais il ne faut pas oublier que Trump arrive en tête au niveau national dans les différents sondages d’opinion. L’électorat de Haley est composé de 3 branches : les supporters de Haley, les Républicains et indépendants qui préfèrent Haley à Trump (modérés), et ceux qui votent par anti trumpisme. C’est le 3ème groupe qui est le moins perméable, et les deux autres groupes vont vraisemblablement se tourner vers le candidat investi par les Républicains.
Nikki Haley a abandonné mercredi, après avoir enregistré des résultats décevants lors du Super Tuesday, mais elle n’a pas appelé ses électeurs à voter pour Donald Trump. Elle a souhaité ne donner aucune instruction et elle a invité Donald Trump à parler à ses électeurs, pour répondre à leurs inquiétudes et les convaincre de le choisir. La majorité de ses électeurs n’étaient pas pro-Haley mais plus anti-Trump, ainsi en agissant de la sorte, elle laisse la porte ouverte à un ralliement et à un rôle important dans la campagne de l’ancien président sachant qu’elle n’a pas d’autre choix sous peine de voir sa carrière politique être stoppée. Cette technique fut également employée par Ron DeSantis lors de son renoncement en janvier dernier, et aujourd’hui c’est un soutien fort de Trump. Si Trump ne parvient pas à séduire les électeurs modérés de Haley, ou veut éviter le grand écart de peur de perdre ses électeurs traditionnels, il pourra faire appel à l’ancienne gouverneure de Caroline du Sud pour plaire à plus d’électeurs et augmenter ses chances de victoire finale.
– Que présagent les primaires républicaine et démocrate pour l’élection présidentielle ?
Les primaires des deux camps lancent une année 2024 où les Américains remettent en avant leurs problématiques et enjeux propres. La primaire accentue la polarité entre les deux grands partis. Les candidats parlent au noyau dur de chaque camp, ce qui accentue les fractures entre les Amériques. Elle oblige Donald Trump et Joe Biden à sortir de leur zone de confort pour rassembler leur camp. Or on observe des difficultés pour Joe Biden à y parvenir. Il doit composer avec des démocrates hostiles en interne en raison de son soutien à Israël, avec des jeunes diplômés enclins à soutenir la Palestine comme l’a montré le scrutin du Michigan. Ainsi, lors de cette primaire, le président américain doit se renouveler. Ses dernières stratégies politiques fondées sur l’anti trumpisme et la défense de l’avortement ne suffiront plus alors que les Américains jugent à près de 69% que le pays va dans la mauvaise direction sur le plan économique. Le président actuel pourrait devoir répondre à un débat sur son bilan. Dans la perspective des élections de novembre, la primaire revêt un intérêt certain pour les observateurs, y compris en cas de match retour entre Joe Biden et Donald Trump : le passage d’un référendum anti-Trump en 2020 à un référendum anti-Biden si les sondages se confirment.
William Thay, président du Millénaire, think-tank indépendant spécialisé en politiques publiques.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.
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Crédit photo : President Biden delivers remarks on student loan debt relief. Photo from Joe Biden’s official twitter. Prachatai, sous license Attribution-ShareAlike 2.0 Generic.
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