Pierre Clairé et Matthieu Hocque pour Valeurs Actuelles : « Pour comprendre l’avenir du monde, il faut comprendre les intentions de Poutine »

Alors de nombreux experts prédisaient un affaiblissement du régime russe en cas d’enlisement en Ukraine, Vladimir Poutine sera incontestablement réélu président de la Fédération de Russie. En effet, il n’est plus contesté dans son armée depuis la mort de Prigogine et a verrouillé toutes les oppositions depuis plusieurs années. Les Européens devront donc composer avec lui pendant et après la guerre en Ukraine. Ainsi, pour comprendre l’avenir des relations internationales, il faudra comprendre Vladimir Poutine.

Le projet de Vladimir Poutine

Vladimir Poutine veut laver ce qu’il estime être « la plus grande catastrophe du XXème siècle » : la chute de l’URSS et la période Boris Eltsine. De cette période, le président russe retient deux principes directeurs. Premier principe, une ouverture du régime encouragée par la nomenklatura libérale ne fera que discréditer les institutions russes amenant le régime à s’effondrer. En effet, elle avait encouragé le pluralisme lors de l’élection de Boris Eltsine de 1991. Or, cela avait conduit à délégitimer le parti communiste sans pour autant légitimer celui de Boris Elstine. Ainsi, le pouvoir central a perdu son influence et s’est affaibli face aux autres républiques comme au Caucase ou en Asie Mineure. Second principe, un président russe ne peut être élu que par adhésion de la population russe à son projet. La réélection d’Eltsine en 1996 a été rendue possible par un « vote barrage » au parti communiste qui progressait. En effet, l’ancien président était passé de 53% des voix en 1991 à 35%, soit une perte de 23 points. C’est pourquoi Vladimir Poutine cherche à séduire les Russes par son projet, ce qui explique la stabilité des intentions de vote autour de 60% selon l’institut d’enquête Levada indépendamment des crises internationales ou des contextes électoraux.

Son projet est marqué par le réarmement économique de la Russie. Vladimir Poutine a fait preuve de pragmatisme, d’un côté en jouant la carte du rapprochement avec l’Occident néolibéral symbolisé par l’adhésion de la Russie à l’OMC en 2011 et de l’autre en jouant la carte de la protection de ses secteurs stratégiques pour son redressement (hydrocarbures, agriculture, industrie, technologie). Ce pragmatisme a séduit les Russes puisque son projet répond aux attentes des actifs sur le plan de la croissance économique et de l’emploi (taux de chômage : 12,5% en 2000 contre 4,6% en 2019) ; des retraités sur le plan démographique avec l’allongement de l’espérance de vie (65 ans en 2000 contre 73 ans en 2019) ; et des jeunes sur le plan du développement humain (l’IDH a progressé de 17% sur la période 2000-2019).

Sur le plan moral, il aspire à bâtir une société basée sur des valeurs traditionnelles comme celle de la famille et l’église orthodoxe. Tout cela se fait en opposition à un Occident jugé en déclin moral, alors qu’il cherche à forger une identité russe solide pour résister aux pressions culturelles externes et conserver l’âme d’une civilisation ancestrale et millénaire. Cela retrouve dans sa politique nataliste pro-famille ainsi que dans ses discours où il n’a de cesse de décrier l’Ouest et ses valeurs corrompues en ciblant le mariage homosexuel ou les droits LGBTQ+. Alors que certains pouvaient penser qu’il s’agirait de ses objectifs finaux, il s’agissait seulement d’un moyen pour permettre à la Russie de peser sur la scène internationale.

Un modèle contre l’Occident

Vladimir Poutine s’est construit progressivement en champion des pays aspirant à contester le leadership occidental. En effet, il s’éloigne durablement des pays occidentaux au début des années 2010. En plus d’un modèle de société aux antipodes du modèle progressiste occidental, deux désaccords de fond structurent les relations entre Poutine et l’Occident. D’une part, il s’agit de l’attraction de l’OTAN et de l’Union européenne dans son voisinage symbolisée par le référendum de 2008 en Géorgie où 77% des Géorgiens sont en faveur d’une adhésion à l’OTAN ou par la révolte à place Maïdan en Ukraine manifestant après la suspension de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’UE. D’autre part, son véto en 2011 sur une intervention en Syrie contre Bachar Al-Assad lui offre une victoire symbolique en devenant le premier leader non-occidental à dire « non » à l’Occident. Son intervention militaire en 2015 pour protéger le régime syrien montre à l’Occident sa volonté d’utiliser la force militaire pour atteindre ses objectifs de politique étrangère et protéger ses intérêts dans la région et dans le reste du monde comme en Afrique, y compris si cela se fait au détriment de l’Occident.

Le projet de Vladimir Poutine est en réalité bien plus moderne que celui de l’Occident aux yeux d’une partie du monde. En combinant le réarmement économique avec la renaissance des valeurs traditionnelles russes, Vladimir Poutine incarne ainsi une modernité propre aux velléités des nouvelles nations-empires (Chine, Turquie, Iran, etc.). En effet, ces nations adoptent la même approche, à savoir un réarmement économique en vue de se procurer des avantages stratégiques industriels, technologiques, militaires couplé à une promotion de leur modèle traditionnel (le confucianisme pour Xi Jinping, le sunnisme pour Erdogan et le chiisme pour l’Iran) pour faire renaître leurs empires que cela soit la Chine des Qing, la Turquie ottomane ou l’Iran perse. Ainsi, la position de Poutine s’est renforcée grâce au rapprochement avec la Chine à travers la signature de l’Organisation de Coopération de Shanghai et la montée en puissance des BRICS dans l’architecture mondiale.

Les dirigeants européens n’ont pas compris les intentions de Vladimir Poutine. D’une part, notre réponse à l’invasion russe en Ukraine est inadaptée. Nous avons cherché d’un côté à sanctionner économiquement la Russie alors qu’elle s’était réarmée, diversifiée et préparée à entrer pleinement en économie de guerre et de l’autre, nous avons cherché à l’isoler diplomatiquement alors que le projet de Vladimir Poutine est plus porteur au sein du Sud Global. En effet, l’écrasante majorité des pays du Sud Global ne condamnent pas l’action de Vladimir Poutine en Ukraine. Or, s’il n’y a pas d’unité au sein du Sud Global, ces pays sont unis par leur volonté de mettre un terme à la domination occidentale et de faire émerger un véritable monde multipolaire.  

Avant la Covid-19, Vladimir Poutine observe le déclin américain vis-à-vis de la Chine. Seulement, le mandat de Donald Trump incarnant un réveil américain et les difficultés chinoises lors de la crise sanitaire ont changé la donne. Face à cela, le maître du Kremlin cherche à s’appuyer sur nos faiblesses pour tenter de mettre fin à la crédibilité de puissance des pays occidentaux si nous ne réussissons pas à protéger l’Ukraine.

Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes

Matthieu Hocque, directeur adjoint des Etudes, spécialiste des politiques publiques

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Crédit photo : Vladimir Putin (07-04-2021), The Presidential Press and Information Office, via Wikicommons, sous license Attribution 4.0 International

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