Entretien de Matthieu Hocque pour Atlantico : « La France, ce narco-État ? Voilà qui a déjà réussi quoi (et comment) pour l’éviter »

Emmanuel Macron s’est rendu mardi 19 mars à Marseille, pour une visite sur­prise concernant la lutte anti-drogue. « On ne cédera rien » face à « ce fléau ter­rible », a-t-il affirmé.

– Emmanuel Macron s’est rendu mardi 19 mars à Marseille, dans le cadre d’une visite surprise concernant la lutte anti-drogue. « On ne cédera rien » face à « ce fléau terrible », a-t-il affirmé. Mais à quel point la France est-elle impuissante en matière de lutte anti-drogue ? Existe-t-il un élément objectif permettant de mesurer les succès d’une telle bataille ?

La France souffre d’impuissance en matière de lutte anti-drogue car elle ne maîtrise pas les quantités produites à l’échelle mondiale. En effet, sans contrôle de la production de drogue, nous dépendons des politiques anti-drogue des pays producteurs principalement dans les pays du Sud. Or, il existe une double mutation depuis les années 2010. D’une part, les routes de la drogue se sont diversifiées en plus de l’Amérique Latine (cocaïne, héroïne) au Moyen Orient (cannabis, opiacés) et en Afrique (cannabis). Seulement, cela implique de facto un éparpillement de l’effort de nos politiques publiques. D’autre part, la production de drogue a explosé en Amérique Latine depuis que les Etats-Unis ont opéré un changement. En effet, lors de la révolution conservatrice de Thatcher et Reagan dans les années 1980, ces pays sont touchés par des crises de l’héroïne et la cocaïne et ont mené une guerre sans merci aux barons de la drogue en Amérique Latine. Or, à la suite du rapport de l’Organisation des États américains (OEA) de 2013 arguant les effets nocifs sur la vie des populations locales, Barack Obama décide de décriminaliser cette politique et de mettre un terme à la présence militaire américaine contre les narcotrafiquants. Conséquence de cela, la production de cocaïne a plus que doublé en Colombie depuis 2013 selon l’ONUDC.

Seulement, dans ce contexte, l’Etat français a organisé sa propre impuissance. En premier lieu, en transférant la politique de gestion des frontières à l’Union européenne sans garantie de collaboration européenne, nous n’avons plus les moyens de lutter contre l’entrée de drogue sur notre sol. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, près de 75% des saisies de cocaïne ont désormais lieu dans un port ou un aéroport qui sont des lieux ne dépendant que des services nationaux. Secondement, nous avons laissé prospérer des Territoires perdus de la République décrits par Georges Bensoussan devenus autonomes et sous le contrôle des gangs se partageant un marché de 3 milliards d’euros selon l’OFDT. Ainsi, dans plusieurs territoires, ce ne sont plus les lois de la République qui sont appliquées, mais celles des gangs qui se livrent une guerre territoriale. Selon les statistiques de la cellule du suivi du plan bandes de la préfecture de police, les affrontements entre les bandes ont augmenté de 18% dans l’agglomération parisienne en 2023.

Il ne suffit pas de décréter « ne rien céder » aux trafiquants pour y parvenir réellement. En effet, le seul élément objectif qui permettra de mesurer les succès d’une telle bataille est la diminution du nombre de morts dans des règlements de compte. Or, à Marseille, il y a eu plus de morts à cause de la guerre des gangs sur les trois dernières années que sur la période 1950-2000.

– « Nous sommes en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille », a récemment estimé Isabelle Fort, responsable du pôle criminalité organisée du parquet de Marseille. La France est-elle déjà, au moins en partie, un narco État ? La bataille contre les trafiquants de drogue est-elle déjà perdue ?

La France n’est pas un narco Etat au sens du FMI, soit un Etat dans lequel « toutes les institutions légitimes ont été pénétrées par le pouvoir et la richesse issus du trafic de drogue ». En revanche, elle l’est davantage car nous avons deux Etats parallèles se disputant le territoire. En effet, d’un côté, nous avons la République et sa police légitime et de l’autre, les trafiquants dominant les Territoires perdus grâce au business de la drogue, du crime organisé et au manque de volontarisme des politiques. Or, ce conflit structure la société car les deux entités disposent de moyens conséquents. Selon le rapport de l’Index global du crime organisé de 2023, la France figure au même titre que les Etats-Unis, le Mexique, la Colombie, la Malaisie, l’Afrique du Sud, etc. dans les pays où la criminalité et le trafic de drogue est le plus élevé tout en ayant d’importants moyens pour y faire face.

Ainsi, la bataille contre les trafiquants n’est pas perdue. Une victoire contre les trafiquants est possible qu’à deux principes. D’une part, il est nécessaire qu’aboutir à un consensus des Français pour des solutions fortes pour reconquérir les Territoires perdus. Or, selon les enquêtes d’opinion, les Français placent la lutte contre l’insécurité entre leur deuxième ou quatrième priorité. D’autre part, il est nécessaire d’emporter l’adhésion des résidents de ces quartiers. Or, les réactions aux émeutes de 2023 ont montré que les habitants de ces quartiers ont plébiscité des mesures plus fortes que lors des émeutes de 2005, où la logique d’apaisement primait. Ainsi, les Français comme les habitants de ces quartiers ne redoutent pas le changement mais l’attendent avec impatience.


– Quand on regarde ce qui a été fait ailleurs, notamment dans certains pays d’Amérique Latine ou encore aux États-Unis, en proie à une épidémie d’opioïdes, que pourrions-nous faire pour lutter contre le trafic de drogue ? Existe-t-il des succès, mais aussi des échecs que nous devrions étudier ?

Un problème ne peut pas être résolu avec le même mode de pensée qui l’a généré.

Tout d’abord, sur le plan international, nous avons tourné le dos à la révolution conservatrice pour adopter une politique conciliante à l’égard des pays producteurs. Ainsi, la lutte contre les trafiquants de drogue dépend désormais de leur bon vouloir. Or, certains régimes ont intérêt dans le trafic en raison de sa place dans l’économie. Nous devons donc rompre avec cette logique conciliante pour privilégier la logique du rapport de force. Pour cela, nous disposons de leviers de pression tels que des sanctions économiques européennes ou le conditionnement de l’aide au développement à l’atteinte d’objectifs de lutte contre les trafics. Tout cela doit les conduire à signer un nouvel accord international, un « Vienne III », ouvrant la voie à une collaboration renforcée pour la guerre aux trafiquants car moins il y a de drogue produite dans le monde, moins elle sera acheminée vers chez nous.

Ensuite, nous devons reconquérir les Territoires perdus. Pour cela, nous devons rompre avec la logique d’apaisement pour adopter une logique de reconquête. Pour cela, il sera nécessaire d’offrir tous les moyens possibles à l’administration en décrétant un état d’urgence mais localisé par département concerné. L’objectif de l’état d’urgence est de massifier les saisies d’armes lourdes par le biais de perquisitions administratives afin de désarmer les trafiquants sur le modèle de François Hollande après les attentats de novembre 2015. Cela doit constituer le cadre administratif d’une véritable politique répressive sur le modèle de Rudolph Giuliani, ancien maire de New-York dans les années 1990 qui mena une guerre farouche aux trafiquants et consommateurs en systématisant les arrestations de toutes les personnes ayant un comportement « anti-social ».

Enfin, la France a suivi les évolutions des sociétés occidentales qui considèrent désormais le consommateur comme un « malade » plutôt que comme une partie du problème. Or, il y a 5 millions de consommateurs réguliers de cannabis et près de 650 000 pour la cocaïne selon l’OFDT, alimentant les trafics. De ce fait, il faut rompre avec cette logique pour responsabiliser les consommateurs avec une mesure simple : augmenter l’amende forfaitaire de 150€ pour consommation jusqu’à 1 000€ ; pour un réel effet dissuasif.

– Faudrait-il accompagner la répression – si toutefois elle était vraiment appliquée – à une autre forme de lutte pour faire face à ce fléau ?

La France n’applique pas réellement de répression, cela est plutôt même l’inverse. La difficulté réside dans le fait que les petits dealers sont aussi des consommateurs qui dealent pour leur consommation personnelle.  A titre d’exemple, la gestion de la consommation de crack à Paris privilégie plutôt l’ouverture de salles shoot et le soin plutôt que la répression. Seulement, cette politique a abouti à une augmentation vertigineuse de 52 % au cours de la dernière décennie de la consommation selon l’OFDT.

Il faudrait accompagner la répression, d’une politique de prévention efficace et non pas d’envisager la dépénalisation. En effet, la dépénalisation dégrade les indicateurs de santé publique comme le montrent les exemples hollandais ou canadien. D’abord, elle fait augmenter la consommation (1). Au Canada, la consommation de cannabis a augmenté de 5 points, ce qui équivaudrait à près de 3 millions de personnes supplémentaires en France. De surcroît, l’augmentation de la disponibilité et de la consommation de cannabis accroît le risque que les jeunes commencent à fumer encore plus jeune (2). En France, l’âge moyen de la première consommation de cannabis est de 15,3 ans, tandis qu’au Canada, il est inférieur à 15 ans. Enfin, la dépénalisation ne règlera pas la question du crime organisé puisque le cannabis ne représente que 40% du marché de la drogue (3).

La prévention est rentable et a fonctionné pour le cannabis. En effet, la drogue coûte près de 1,1% du PIB à la France. Seulement, notre politique de prévention souffre aujourd’hui d’une vision trop infantilisante des consommateurs. Or, la consommation excessive de drogue dans la société est un marqueur de déclin civilisationnel comme le montrent les exemples de l’Empire romain et de la Chine du XIXème siècle avec l’opium.  

Matthieu Hocque, directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions de politiques publiques

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Crédit photo : Drogues sur un pèse-personne avec Euros, Image Libre de Droit, via Flickr, sous license wragg

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