Atlantico : Ce vendredi, Emmanuel Macron reçoit à Paris le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, pour un sommet bilatéral au menu chargé. Après les tensions franco-britanniques de ces derniers mois, peut-on espérer un rapprochement entre la France et la Grande-Bretagne, grâce notamment aux convergences entre les deux hommes ?
William Thay et Pierre Clairé : Il semble que depuis son arrivée au 10 Downing Street, que Rishi Sunak cherche à se démarquer de ses prédécesseurs Liz Truss et Boris Johnson en abandonnant la confrontation instantanée avec l’Union Européenne. La preuve la plus criante est la visite à Londres le 28 février dernier d’Ursula Von der Leyen pour négocier le cadre de Windsor en remplacement du tristement célèbre accord sur l’Irlande du Nord avec Sunak. À cette occasion, il a déclaré tout sourire que « Les adultes étaient de retour aux commandes pour parler de l’Irlande du Nord ». Cette pique à peine maquillée à ses prédécesseurs montre aussi que Sunak recherche une normalisation des relations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, après des années de guerre frontale. En effet, le BREXIT est maintenant acte et réalisé, pour Sunak il est temps d’en finir avec cette confrontation qui est mauvaise pour les deux parties, et rétablir des relations saines avec l’UE pour aider au rayonnement du Royaume. De ce point de vue, on peut véritablement espérer un rapprochement entre Britanniques et Européens et la volonté de Sunak de maintenir des relations constructives avec le Continent est réelle.
La France joue un rôle majeur ici car les deux pays représentent deux des principales économies européennes et ont entretenus des relations conflictuelles dans le passé. On se souvient des problèmes causés par les quotas de pêche dans la Manche ou des discussions houleuses concernant les migrants qui cherchent à rejoindre le Royaume chaque jour. L’opération séduction entamée par Sunak passe clairement par un réchauffement des relations avec la France et donc par un rapprochement avec Emmanuel Macron. Alors que le Président français avait pu se montrer critique vis-à-vis de Boris Johnson, partisan d’un BREXIT dur ou de celle qui lui a succédé comme Premier Ministre, il n’a jamais eu de mots durs envers Sunak laissant penser qu’il avait accepté la fatalité du BREXIT et qu’était venu le temps de la réconciliation. À n’en pas douter, Sunak a à coeur de renouer avec la France et l’UE et ainsi mettre les dernières années sous silence. Étant donné que les frictions entre les deux pays ont été nombreuses ces dernières années, un rapprochement serait salutaire pour aller de l’avant.
À quel point Emmanuel Macron et son homologue britannique ont-ils des points communs, tant sur le plan idéologique que dans le parcours politique ?
William Thay et Pierre Clairé : Rishi Sunak et Emmanuel Macron possèdent plusieurs points communs à commencer par la similarité de leur parcours. Ils sont de la même génération, le Premier ministre britannique est né en 1980 tandis que le président français est né en 1977, ce qui facilite l’approche et la lecture des événements ainsi que des mutations en cours. Ils ont également un parcours similaire dans la mesure où ils ont été tous les deux banquiers d’affaires avant d’entrer en politique. De plus, dans un entretien au Figaro, Rishi Sunak souligne même qu’un de ses mentors dans ce milieu était français et qu’il a « une grande affection personnelle pour la France ». Ainsi, le chef de Gouvernement britannique et le chef de l’État français avaient ainsi la réputation de réussir leur vie professionnelle avant leur carrière politique ce qui leur permettait d’affirmer qu’il venait pour servir ou non se servir. Ce sont des caractéristiques qui leur ont permis d’incarner le renouveau dans leur parti respectif (Parti socialiste à son origine pour Macron et Parti conservateur pour Sunak) avec la promesse de faire de la politique différemment. Pour résumer, ils incarnaient la société civile qui devait répondre aux véritables enjeux que traversaient leur pays sans être dans le jeu politique en permanence en comparaison avec les apparatchiks et les professionnels de la politique.
Ces caractéristiques communes débouchent ainsi sur des similarités sur le plan idéologique. Si l’on connait maintenant plus précisément les contours de la ligne politique d’Emmanuel Macron même s’il y a encore beaucoup de flou, il faut prendre celle de Rishi Sunak pour dresser des convergences. Le premier point que l’on peut amener est le style. Ainsi, le Premier ministre britannique semble être beaucoup moins sur une ligne d’opposition et d’affrontement que Boris Johnson qui se rapprochait davantage de Donald Trump dans son approche des affaires internationales. Emmanuel Macron s’était érigé en leader du multilatéralisme, et doit trouver que Rishi Sunak doit être un partenaire plus acceptable pour lui sur ce point. Le second point est l’approche européenne. Si Rishi Sunak doit conserver la ligne politique des Tories sur le Brexit, il est davantage partisan du libre-échange sur une ligne plus classique du parti conservateur anglais avant la mutation engendrée par Boris Johnson. Il a ainsi négocié le 27 février dernier un accord avec l’UE pour alléger les contrôles sur les marchandises. Le troisième point concerne l’Ukraine. Si Boris Johnson jouait davantage une ligne des pays du nord de l’Europe pour soutenir le pays agressé, Rishi Sunak semble jouer davantage collectif que son prédécesseur avec surtout une coopération avec les alliés historiques en matière de sécurité et de défense. Le Premier ministre britannique indique que la « France est le pays avec lequel la Grande-Bretagne collabore le plus en Europe en matière de défense et de sécurité ». Le quatrième point concerne les questions économiques, à la différence de Liz Truss ou de Boris Johnson, Rishi Sunak est davantage partisan du retrait de l’État dans l’économie sur une ligne d’orthodoxie budgétaire avec une maitrise de la dette et des dépenses publiques. Cependant, comme Emmanuel Macron, ils ont compris tous les deux que cette ligne n’était pas forcément tenable dans un contexte de crise économique et de forte inflation.
Nous pouvons résumer l’approche de Rishi Sunak de la manière suivante : s’il doit conserver certains acquis de la mutation Boris Johnson, son ADN politique est davantage plus proche de David Cameron. Il incarne ainsi une synthèse entre ces deux courants du parti conservateur, qui est davantage compatible avec la ligne politique du président français.
La BBC s’interroge sur la possibilité d’une « bromance » entre les deux dirigeants. Cela pourrait-il être à l’ordre du jour ?
William Thay et Pierre Clairé : Avec le départ de Mario Draghi de la présidence du Conseil italien à l’automne dernier, Emmanuel Macron se trouve ésseulé en Europe. En effet les journalistes, majoritairement allemands, parlaient il y a encore un an du couple Dracon à l’image d’autres couples de célébrités pour parler du lien spécial qui unissait les deux anciens banquiers d’affaires. Mais avec son départ, Macron a perdu un soutien de poids en Europe et ce n’est pas la réélection de Kaja Kallas en Estonie, seule politicienne proche idéologiquement de lui, qui peut le contenter et le servir dans son entreprise européenne.
Paradoxalement, alors que Mario Draghi tirait sa révérence, un autre ancien banquier est arrivé au pouvoir en Europe en la personne de Rishi Sunak et de par ses similitudes avec Emmanuel Macron il pourrait remplacer l’Italien et constituer un nouveau couple politique influent en Europe avec son homologue français. Comme on a pu le dire, les deux ont de nombreux points communs et ont une même volonté d’exister sur la scène européenne. Sunak veut redorer le blason du royaume après le BREXIT et il y parvient, si bien que les barons conservateurs se prennent à rêver d’une victoire Tory lors des prochaines élections. Macron est en échec sur la scène nationale et cherche désespérément à se refaire une santé sur la scène internationale. Les deux ont intérêt à se rapprocher et à incarner le nouveau couple glamour de la politique européenne.
À l’heure actuelle en Europe, le couple socialiste Olaf Scholz / Pedro Sanchez semble avoir pris le dessus et à n’en pas douter l’un et l’autre voudront prendre toute la lumière. Parler de Bromance à l’heure actuelle semble prématuré sachant que les relations entre les deux pays sont relativement fraîches, pour ne pas dire glaciales, depuis de long mois et rien ne laisse penser à une nouvelle idylle politique. Pour autant le terrain est propice à un tel rapprochement.
La période des tensions franco-britanniques post-Brexit est-elle révolue ? Faut-il s’attendre à des avancées majeures suite à ce sommet ? Notamment sur la question sensible des migrants ?
William Thay et Pierre Clairé : Le Général de Gaulle affirmait que « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Si Rishi Sunak et Emmanuel Macron vont pouvoir entretenir des rapports plus cordiaux, ce n’est pas pour autant que cela va apaiser les tensions franco-britanniques post-Brexit. Comme l’a souligné le Premier ministre britannique, nous allons trouver des points de convergence en matière de défense et de sécurité parce qu’il s’agit des deux principales armées du continent si l’on ne compte pas la Russie. De plus, nous avons observé que le couple franco-allemand était en plein divorce sur plein de sujets, notamment sur la sécurité et la défense, ainsi que sur le soutien à l’Ukraine. Ainsi, il est probable que nous assistions à une coopération renforcée entre la France et la Grande-Bretagne sur ces questions. À ce titre, cette dernière a affirmé qu’elle allait participer au deuxième sommet de la Communauté politique européenne. De plus, face à l’inflation que rencontre la Grande-Bretagne, et les difficultés énergétiques, il est probable que nos deux pays trouvent des convergences en matière de politique énergétique avec notamment le nucléaire. Nous pouvons ainsi résumer la stratégie française de la manière suivante : toutes les divergences du couple franco-allemand, doivent trouver une substitution avec la Grande-Bretagne.
Pour autant, il reste des sujets de divergence notamment en ce qui concerne notre frontière commune avec la Manche à la fois sur la pêche ou encore les migrants. Si Rishi Sunak apparait comme plus libre-échangiste que Boris Johnson, il a repris à son compte certains éléments de sa doctrine comme la reprise de contrôle des frontières afin de lutter contre l’immigration illégale qui était un des facteurs de motivation du vote en faveur du Brexit. Cependant, sur cette question, c’est la France qui est chargée de la maitrise des frontières en recevant une compensation financière pour cela. Ainsi, la France n’a pas forcément intérêt à poursuivre durablement cet accord puisqu’elle devient un pays de transit pour les migrants souhaitant accéder à la Grande-Bretagne. Il faut également rappeler que cette dernière a toujours enregistré plus de 500 000 immigrés par an depuis 2007 (sauf en 2012 : 498 000), et parfois jusqu’à 700 000 en une année. En France, nous sommes plutôt autour de 200 000 et plus proche des 300 000 depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. La Grande Bretagne étant plus attractive que la France pour les migrants, il est probable que le nombre de personnes qui passent par notre pays pour rejoindre la Grande-Bretagne soit croissant dans les années à venir. Nous allons ainsi faire face à une multitude de jungle de Calais, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour tout Gouvernement français. Ainsi, Emmanuel Macron se retrouve sur cette question avec Rishi Sunak dans la même position que Giorgia Meloni avec la Commission européenne. Il doit refuser les migrants et espérer un contrôle accru des frontières européennes.
William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.
Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaires, spécialiste des questions internationales et européennes.
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Crédit Photo : Rishi Sunak, par Simon Dawson / No 10 Downing Street via WikimediaCommons sous licence CC BY 2.0
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