Le syndicalisme face au déclin
Après une période faste au cours des Trente glorieuse, le syndicalisme français a connu un lent et continu déclin. Alors que le taux d’adhésion à un syndicat était de plus de 30% au début des années 50, il est aujourd’hui aux environs de 10%. La perte d’influence a été massive et leur attractivité n’a jamais été aussi faible : seulement un quart des salariés choisissent de s’exprimer ou ont la possibilité de voter en faveur d’une organisation syndicale. Quasiment trois quarts des salariés décident délibérément de prendre leur distance avec la représentativité syndicale. Les évolutions technologiques et organisationnelles, ainsi que le repli des secteurs manufacturiers et publics expliquent en partie ce phénomène mais la culture syndicale française en est aussi responsable.
La faiblesse de notre modèle syndical se traduit par des modes d’action de plus en plus incontrôlables accompagnés d’une marginalisation des syndicats traditionnels. En premier lieu, les revendications de la France périphérique à travers la crise des gilets jaunes a mis en retrait les syndicats au cours des différentes manifestations avec des résultats jamais obtenus en matière de gains de pouvoir d’achat pour les ménages français. Courant décembre 2022, le collectif ASCT, créé sur les réseaux sociaux, avait réussi à fortement perturber le weekend de noël avec seulement un train sur trois opérationnel, dans le but d’améliorer les conditions de travail des contrôleurs. Au cours de l’hiver, alors que la grippe et la bronchiolite atteignaient des pics épidémiques, un collectif de médecin généraliste « médecins pour demain » né également sur les réseaux sociaux, avait appelé à fermer les cabinets en journée, afin de revoir les modes de rémunérations complémentaires et notamment le prix de la consultation.
La culture du blocage, un mal français
En France, un syndicalisme pluriel et politisé règne et bloque la transformation du pays. En effet, adhérer à une organisation syndicale apporte peu de plus-value directement mesurable. Le système repose sur un syndicalisme dit d’intérêt général. Lorsque les organisations syndicales obtiennent des avancées, elles s’appliquent à l’ensemble des salariés concernés et non à leurs seuls adhérents. Cela conduit à une forme de schisme syndical : avec d’une part, un syndicalisme de lutte dont la base, en rupture avec sa direction, se radicalise avec des actions de plus en plus dures menées contre des injustices économiques liées à la mondialisation ; et d’autre part, un syndicalisme dit réformiste qui, pour donner l’impression qu’il a un poids dans le dialogue social, se montre ouvert à toute forme de discussion voire de concession.
La culture syndicale française n’est pas une fatalité, d’autres systèmes sont possibles avec davantage de représentativité. Un syndicalisme unifié et réformiste domine dans les pays nordiques où, d’ailleurs, il couvre une large part de la population en emploi. En Islande, le taux de syndicalisation atteint quasiment 90% des salariés. Au Danemark ou encore en Finlande, ce taux côtoie les 70%, alors que ces pays ont subi les mêmes évolutions technologiques et organisationnelles que la France. Dans ces pays dits du système de Gand, la forte adhésion syndicale s’explique en partie par le fait que les syndicats gèrent et, dans une certaine mesure, conditionnent l’accès au système d’indemnisation chômage.
Vers un syndicalisme du 21ième siècle
Transformer les syndicats en acteurs institutionnels est une nécessité pour faire rentrer la France pleinement dans l’ère du 21ième siècle. L’émergence du télétravail, de la désintermédiation par la digitalisation, de l’intelligence artificielle, d’une approche davantage orientée objectif que moyen ont déjà bouleversé nos modes de travail et vont continuer à le faire. Pour réponse à ses défis, les organisations syndicales françaises ne doivent plus être destinées à s’opposer mais doivent devenir des acteurs à part entière dans la prise de décision politique, et ainsi co-responsables de la définition des conditions économiques et sociales réservées à l’activité.
Répondre à ces enjeux contemporains passera par une représentativité accrue. Avec un des plus faible taux d’adhésion de l’OCDE, une coopération institutionnalisée ne peut naitre actuellement en France entre le politique et la société civile. Pour redonner du poids et de la légitimité aux Organisations Syndicales, tout en diversifiant leurs ressources financières, leur adhésion doit devenir obligatoire. Elle serait la contrepartie du bénéfice des accords négociés et signés par le syndicat choisi ou, ce qui serait souhaitable, au bénéfice de prérogatives élargies dont elles disposeraient. Ce changement de paradigme ferait émerger une nouvelle offre syndicale plus en phase avec les attentes des salariés français.
Clément Perrin, Directeur des Etudes du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques
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Crédit photo : F.Blanc/Force ouvrière sous licence CC BY-NC 2.0
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