Dans la soirée du 8 septembre, Buckingham Palace a annoncé le décès de la Reine du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, Élisabeth II. Deux jours après avoir reçu la nouvelle première ministre britannique, la Reine s’est éteinte paisiblement, mettant ainsi fin au plus long règne que la Grande Bretagne ait connu. Succédant à son père George VI en 1952, sur le trône depuis plus de 70 ans, Élisabeth a connu 16 Premiers ministres différents, ce qui la rend indissociable de la Grande-Bretagne de l’après-guerre. Le décès de celle qui semblait « immortelle » ne se contente pas de marquer la fin d’une époque, elle invite aussi à s’interroger sur l’avenir du pays alors que la situation en Grande Bretagne est plus chaotique que jamais.
La Reine est morte, vive le Roi ?
« Comme le veut la tradition, c’est donc son fils Charles, à 73 ans, qui monte sur le trône après la plus longue attente de l’histoire. Longtemps méprisé, on a souvent évoqué la possibilité de le voir abdiquer au profit de son fils William, bien plus populaire. Pourtant ces dernières années, Charles est remonté dans l’estime des Britanniques et s’est bâti la stature d’un monarque proche de son peuple. Encore marqués par l’abdication d’Édouard VIII en 1936, les Britanniques trouveront sans doute et malgré tout dans ce nouveau roi une figure de stabilité dans un contexte de crise économique et sociale et de retour des conflits ouverts. Les premiers pas de Charles III en tant que roi confirment cette tendance alors que la majorité des Britanniques saluent le leadership qu’il a su endosser dans cette période de deuil national (63% d’avis favorable, sondage YouGov du 12 septembre).
Si Charles III a pu devenir roi, c’est cependant aussi grâce au travail d’Élisabeth II qui a pérennisé l’avenir de la maison royale alors que celui-ci paraissait compromis. Élisabeth avait en effet hérité d’une royauté britannique en déliquescence, ayant souffert de l’abdication d’Édouard VIII. Sous sa direction attentive, elle a également permis à la famille royale de conserver sa solennité et sa pertinence malgré les tourments médiatiques tels que le « MEGXIT » ou l’association du Prince Andrew à Jeffrey Epstein. Pourtant son travail de communication exceptionnel a surtout fait jouer à la royauté un rôle discret mais décisif dans certaines des affaires du pays, notamment dans les processus de décolonisation où sa touche personnelle a été visible, mais également et sans trop doute dans la confidentialité des échanges entretenus avec tous ses Premiers ministres.
Que va-t-il advenir du Commonwealth ?
Cependant, il ne faut pas oublier qu’en plus d’être la monarque du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, Élisabeth était la Reine reconnue par 15 États du Commonwealth. À son accession au pouvoir en 1952, Élisabeth régnait sur davantage d’États, mais différentes indépendances et d’abolition de la monarchie ont réduit ce nombre. Pourtant, le Commonwealth ne se réduit pas à ces pays, en effet 56 pays en sont membres actuellement. Le dernier pays ayant renoncé à la monarchie est la Barbade, qui en 2021 est devenue une République tout en restant membre du Commonwealth.
L’avenir du Commonwealth ne semble toutefois pas menacé par le décès de sa cheffe car la fonction de chef du Commonwealth est purement symbolique et n’est pas héréditaire. Si, en 2018, les dirigeants des pays du Commonwealth ont décidé que le Prince Charles succéderait à sa mère à sa mort, rien ne garantit la perpétuation de cette tradition à l’avenir, dans un monde où l’influence occidentale est de plus en plus contestée. Depuis sa création dans les années 1920, l’influence du Commonwealth a d’ailleurs significativement décru, à cause de la perte d’influence graduelle du Royaume-Uni qui s’est effacé devant les États Unis. Pour autant, le Royaume-Uni ne désinvestit pas cette association qui connait même un petit regain d’intérêt dans le cadre de la politique Global Britain, comme l’illustre l’adhésion récente du Togo et du Gabon.
Un territoire dans la tourmente
Plus près du Palais de Buckingham, c’est l’avenir même du territoire britannique qui inquiète alors que la question de l’Irlande du Nord est depuis de nombreux mois au cœur de tumultueuses discussions entre la Grande Bretagne et l’Union européenne. Dossier central dans le cadre du BREXIT, ces négociations mettent en jeu l’intégrité territoriale du Royaume, restée inchangée depuis la signature du traité anglo-irlandais de 1921 et l’indépendance de l’Irlande. Bien que nous soyons encore loin d’un rattachement de l’Irlande du Nord à la République d’Irlande, les dirigeants de l’Union européenne n’ont de cesse de critiquer le gouvernement britannique pour le non-respect du protocole sur l’Irlande du Nord. S’adressant à la Chambre des Communes le 7 septembre, le nouveau secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord, Chris Heaton Harris, a confirmé la détermination de son gouvernement à résoudre les problèmes liés au protocole et à solder la question de la seule frontière terrestre du pays avec l’Union.
Si la question du territoire sur lequel les successeurs d’Élisabeth régneront peut se poser en Irlande du Nord, le problème de l’indépendance se pose aussi pour l’Écosse. Lors du dernier référendum sur l’indépendance en 2014, le « non » l’avait emporté d’une courte tête avec 55% des suffrages exprimés. Après le vote du BREXIT où l’Écosse avait voté en faveur du maintien dans l’Union, la Première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon, avait déclaré que cela montrait clairement que ses concitoyens voulaient rester dans l’UE et se différenciaient des autres Britanniques. Après la victoire du SNP lors des élections législatives de 2021, la même Nicola Sturgeon s’est engagée à organiser un second référendum sur l’indépendance. dont l’issue pourrait être différente du précédente au vu de la montée du sentiment indépendantiste. En définitive, le nouveau souverain pourrait ne pas gouverner sur les mêmes territoires qu’Élisabeth…
Après avoir réussi à préserver l’union du peuple britannique et son rayonnement, le décès de la Reine Elizabeth II révèle toute la fragilité de ces acquis. La charge revient désormais à Charles III de poursuivre ce travail d’une vie.
Marion Pariset, Secrétaire générale du Millénaire, think-tank gaulliste et indépendant, spécialisé en politiques publiques
Pierre Clairé, spécialiste des questions européennes, diplômé du Collège d’Europe, directeur adjoint du pôle étude au Millénaire
Crédit Photo : Elisabeth II, par Julian Calder via WikimediaCommons sous licence CC BY 4.0
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