Entretien de William Thay pour Atlantico : « La sociale démocratie suédoise prend l’eau : autopsie d’un naufrage »

Avec un score provisoire de 20,7% aux élections législatives, le parti nationaliste des Démocrates de Suède (SD) devient le premier parti de droite dans ce pays scandinave. Un résultat qui pourrait marquer un véritable un basculement dans le pays

Atlantico : Avec un score provisoire de 20,7% aux législatives, le parti nationaliste des Démocrates de Suède (SD) devient le premier parti de droite dans ce pays scandinave. Est-ce la preuve d’une forme de déroute du modèle de social-démocratie à la suédoise ?

William Thay : Les résultats des dernières élections législatives en Suède marquent un bouleversement dans l’arène politique suédoise. En effet, pour la première fois, le parti d’extrême droite des Démocrates de Suède arrive en tête des forces politiques de droite. Il s’agit d’une montée progressive pour ce parti qui est véritablement entrée dans le jeu politique lors des élections générales de 2010. Lors de ces élections, les Démocrates de Suède ont enregistré 5,7% ce qui leur a permis d’avoir 20 sièges. Les scrutins suivants ont montré une montée progressive de ce parti : 12,86% en 2014, 17,53% en 2018 et enfin plus de 20% en 2022. Ainsi, il ne s’agit pas d’une irruption du parti nationaliste dans la scène politique à travers un événement particulier, mais une progression au fil des scrutins qui marque un délitement du modèle suédois.

Il ne faut pas oublier, que la Suède est le pays par excellence de la social-démocratie. En effet, les sociaux-démocrates (Parti social-démocrate), ont dirigé le pays plus de 80 ans depuis 1920. Et même, ils ont été au pouvoir pendant 20 des 28 dernières années, une période interrompue de 2006 à 2014. La Suède est ainsi le modèle des démocraties du nord, celle de la social-démocratie qui privilégie la culture du compromis et qui protège son modèle social. Ce modèle est fondé sur un fort taux de prélèvement obligatoire et de niveau élevé de dépenses publiques pour favoriser la redistribution. Ainsi, la Suède prélevait 42,9% des richesses produites par le pays et utilise près de 30% de son PIB en dépenses sociales.

Ainsi, plus qu’une remise en cause du modèle de social-démocratie à la suédoise, le résultat des dernières élections législatives marque un basculement en Suède où la donnée économique n’est plus la principale variable du vote. En effet, dans le modèle social-démocrate suédois, le clivage entre la gauche et la droite reposait principalement sur un débat économique et le niveau de degré d’intervention de l’État. Désormais, de nouvelles problématiques ont émergé comme les sujets régaliens et sociétaux autour de l’immigration, l’intégration des nouvelles populations immigrés, de la sécurité. Ce phénomène s’explique notamment par les vagues migratoires rencontrées par la Suède depuis plusieurs années, ainsi que d’une montée progressive de la violence et de la délinquance. Si la social-démocratie en Suède n’est pas totalement remise en cause par les Suédois pour faire face aux différentes crises économiques, elle ne parait pas adaptée pour répondre aux nouveaux enjeux régaliens et sociétaux.

Pour aller plus loin, il n’est pas exclu que les problématiques régaliennes deviennent la variable essentielle du vote en Suède. Ainsi, signe que la Suède suit le mouvement à l’œuvre dans l’ensemble des démocraties occidentales, à Stockholm, les sociaux-démocrates ont progressé tandis que la droite a reculé. De la même manière, la carte électorale montre que le nord industriel et les grandes villes sont restés en faveur de la gauche social-démocrate, tandis que les zones périurbaines et rurales du sud ont basculé à droite.

Quelles sont les raisons du naufrage de la social-démocratie suédoise que l’on observe actuellement ? 

Nous avons deux types de raisons : les grandes mutations mondiales donc les raisons extérieures à la Suède ainsi que des raisons nationales. 

Pour les raisons externes, la social-démocratie suédoise suit le même mouvement que les autres démocraties occidentales et européennes parce qu’elle est traversée par les mêmes grandes mutations depuis les années 1980. En effet, la première révolution conservatrice menée par Ronald Reagan et Margaret Thatcher s’accompagne d’une mondialisation des échanges et d’une facilité de liberté de circulation des biens et des personnes. Cela a permis notamment d’accroitre les échanges commerciaux entre les pays à travers notamment une délocalisation de l’appareil productif des pays industrialisés vers les pays émergents.  Cette délocalisation a permis notamment de maintenir le niveau de vie des classes moyennes à travers une baisse de prix des produits. La mondialisation économique a également été marqué par des flux migratoires plus importants notamment à destination des pays occidentaux et principalement européen à travers des crises migratoires comme au début jusqu’au milieu des années 2010. 

Ce modèle néolibéral s’est heurté au choc de la crise financière de 2008 qui a interrogé ce paradigme sans pour autant remettre en cause ses fondamentaux. Ainsi, ce choc économique a conduit les pays européens à s’interroger sur leur modèle : comment maintenir l’État providence face à un ralentissement économique ? Les pays européens ont privilégié l’orthodoxie budgétaire sous l’impulsion de l’Allemagne soit à travers des hausses de prélèvements obligatoires soit une baisse du train de vie de l’État. Cette remise en cause du modèle européen de social-démocratie a conduit à une révolte des classes populaires et moyennes qui ont vu leur niveau de vie stagner ou baisser, ce qui a provoqué des mécontentements et des protestations électorales. Ainsi, on assiste à des phénomènes similaires dans toutes les démocraties occidentales : des centres urbains qui votent pour une coalition gauche-centre tandis que les périphéries et les territoires ruraux s’orientent plus à droite.

On doit ajouter également que les phénomènes migratoires ont conduit les électeurs de droite à être attiré par davantage de radicalité. Cela se manifeste notamment par une baisse dans les résultats électoraux des partis de droite traditionnel au profit d’une droite nationaliste ou de l’extrême-droite. Nous rencontrons ce phénomène en Suède, en Italie et même en France à titre d’illustration. De la même manière, des électeurs populaires de gauche ont fui les partis de gauche traditionnelle pour s’orienter soit vers des partis d’extrême gauche soit vers des partis d’extrême droite ou droite nationale sur fond de désindustrialisation et sur les questions régaliennes (ordre public, sécurité, intégration, migration).

Pour les raisons nationales centrées sur la Suède, les grandes mutations ont mis plus de temps à arriver sur le territoire suédois pour plusieurs raisons. Nous pouvons notamment voir que les pays du nord de l’Europe comme la Suède ont enregistré plus tardivement que les pays du Sud, une montée du vote protestataire. Cela s’explique par une économie des pays du Nord en meilleure santé que les pays du Sud, ce qui a retardé l’apparition du vote protestataire. De plus, les vagues migratoires ont été plus importantes dans les pays du Sud car géographiquement plus proches de l’Afrique et du Moyen-Orient. Ainsi, alors que nous rencontrions une poussée du vote extrême dans les années 80-90 dans le Sud de l’Europe, les pays du Nord ont attendu les années 2010 pour le voir. Ces années 2010 ont été marqué pour les pays du Nord d’un double phénomène : le ralentissement durable des économies européennes à la suite de la crise financière de 2008 et de la crise des dettes souveraines associé aux vagues migratoire en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique avec les Printemps arabes et de Daech.

La social-démocratie suédoise comme le modèle économique des pays du Nord résistent davantage que les pays d’Europe du Sud sur la réponse économique mais n’arrive pas à répondre aux enjeux régaliens et sociétaux. La réponse économique classique de la social-démocratie suédoise n’est ainsi plus adaptée au défi culturel et civilisationnel provoqué par l’immigration de masse. Cette absence de réponse concrète face au défi migratoire a conduit à l’apparition des Démocrates de Suède dans le champ politique depuis le début des années 2010. Le message adressé par les électeurs est le suivant : adaptez-vous aux nouveaux enjeux et comprenez nos nouvelles préoccupations. On peut ainsi noter que la classe politique suédoise a été davantage dans le déni que dans la réponse aux défis culturels et civilisationnels provoqués par l’immigration de masse.

Au Danemark, le Parti du peuple danois, parti nationaliste, a reculé lors des élections législatives de 2019. Comment expliquer ces différences de tendances entre les deux pays ? Quelles sont les divergences de modèle qui font la différence ? 

Le Danemark possède un modèle économique similaire à celui de la Suède dans les grandes lignes : un État providence important fondé sur un modèle redistributif à travers des dépenses sociales importantes et un fort taux de prélèvements obligatoires. Toutefois à la différence de la Suède, le Parti populaire danois est présent sur la scène politique depuis les élections législatives de 2001 où il avait enregistré 12% et 22 sièges. 

Cette antériorité a laissé du temps de provoquer une mutation de la classe politique danoise qui s’est saisi des enjeux du vote en faveur du parti populaire danois. En effet, nous assistons au Danemark à une évolution puisque les partis de Gouvernement se sont saisi des enjeux migratoires pour y apporter des réponses concrètes. Ainsi, la gauche sociale-démocrate danoise par l’intermédiaire de sa Première ministre Mette Frederiksen a affiché depuis sa prise de fonction en 2019 : un objectif de zéro demandeur d’asile à l’horizon 2030. De la même manière, cet objectif s’est accompagné d’une politique plus dure sur l’accueil de réfugié, des conditions durcies d’accueil sur le territoire danois, et une politique plus claire pour limiter les flux migratoires. 

Cela s’est traduit notamment par une baisse de résultats lors des dernières élections pour le parti populaire danois qui est passé de 21,10% en 2015 à 8,73% en 2019. Ce recul du vote protestataire s’explique ainsi notamment par la prise en compte des enjeux migratoires, régaliens par les partis de Gouvernement. Le vote protestataire s’explique en partie par la volonté des électeurs à adresser un message de protestation à l’égard de la politique menée par les partis de Gouvernement. Une fois que le Gouvernement répond aux thèmes portés, vous assistez à une baisse des intentions de vote en faveur de ces partis protestataires. Cela s’est notamment manifesté en France en 2007. En effet, le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, candidat à l’élection présidentielle de 2007, avait répondu aux préoccupations des électeurs du Front national. Cela s’était traduit par la seule baisse des résultats électoraux du Front national (16,86% en 2002 contre 10,44% en 2007). A contrario, le vote protestataire s’amplifie lorsque les partis de Gouvernement refusent d’entendre les préoccupations des électeurs de ces partis.

Il faut tout de même ajouter une nuance de modèle entre le Danemark avec les autres pays de l’Union européenne comme la Suède. Le Danemark comme le Royaume-Uni avant le Brexit, dispose d’une option de retrait sur un ensemble de politiques publiques comme sur la question migratoire. Cela offre ainsi au Danemark plus de latitude pour mener une politique forte en matière de gestion des flux migratoires. Cette divergence de modèle va forcément conduire à une réflexion au niveau européen sur Schengen et sur la protection des frontières.

Le modèle suédois peut-il se réinventer ?

La comparaison avec le Danemark est intéressante puisqu’elle montre qu’il a fallu près de 20 ans pour que la classe politique danoise se mette à répondre aux préoccupations des électeurs de la droite nationale. Ainsi, il ne faut pas exclure que la classe politique suédoise suive le même chemin. Il faut noter une évolution de discours des partis de droite qui pratiquait au départ la politique du cordon sanitaire pour ensuite accepter le soutien du parti national suédois (Démocrates de Suède).

La classe politique suédoise dispose de deux options : soit se réinventer pour permettre à l’État providence de réguler les flux migratoires et restaurer l’ordre public face à la montée de la délinquance et des violences soit suivre le même modèle que l’Italie et la France avec un risque de bascule en faveur de l’extrême-droite.

William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques. 

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Crédit photo :Jimmie Åkesson  par Per Pettersson sous licence CC BY 2.0, via Flickr

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