William Thay pour la Revue Politique et Parlementaire : « Le Front républicain est-il encore efficace ? »

Le Rassemblement national a remporté le premier tour des élections législatives en se qualifiant dans 447 circonscriptions, soit dans toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf quelques-unes dans les grandes métropoles (Ile-de-France, Lyon, Marseille, Bordeaux, Rennes, etc.). Afin d’éviter qu’il puisse convertir ce succès en sièges, les autres partis multiplient les barrages à son encontre (désistements, consignes de vote). Seulement, est-ce que cela suffira pour empêcher le parti de Jordan Bardella de prendre le pouvoir ?

Un front républicain fragilisé depuis 2002

Le front républicain n’a pas ralenti la percée électorale du Front national, devenu Rassemblement national. En 2002, Jean-Marie Le Pen récolte 5,5 millions de voix au second tour face à 25 millions de Français ayant voté Jacques Chirac, additionnant les voix de droite, de gauche et du centre. Seulement, depuis 2012, la progression de Marine Le Pen est continue aux premiers tours des élections présidentielles. En 2012, elle récolte 6,4 millions de voix ; en 2017, 10,6 millions ; et en 2022, 13,2 millions. A l’inverse, le score de l’adversaire de la famille Le Pen au second tour de la présidentielle ne fait que diminuer puisqu’Emmanuel Macron récolte 20,7 millions de voix en 2017 et 18,8 millions en 2022, bien loin du score de Jacques Chirac.

Le front républicain s’est fragilisé car les reports de voix sur l’adversaire du Rassemblement national ont diminué. En 2002, après 30 années de duels entre la droite républicaine et le parti socialiste, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour a provoqué un sursaut républicain. Ainsi, la quasi-totalité des voix de gauche et du centre se sont reportés sur Jacques Chirac, avec des taux de reports de voix compris entre 70% pour Lutte ouvrière et près de 90% pour les centrises (Madelin, Bayrou). Or, un duel entre le Rassemblement national et Emmanuel Macron ne provoque plus autant de reports de voix: 50% de report sur Emmanuel Macron pour les électeurs de François Fillon en 2017 contre 40% pour ceux de Valérie Pécresse en 2022, et le même recul de 50% à 40% de report de voix pour les électeurs ceux de Jean-Luc Mélenchon entre 2017 et 2022. La gauche comme la droite font donc moins barrage au RN qu’auparavant. Cela tient au fait que malgré la récurrence des fronts républicains, les électeurs ayant reporté leur voix sur Emmanuel Macron estiment ne pas avoir été considérés après l’élection. Ainsi, en cas de duel face au Rassemblement national, leur préférence est allée en 2022 à l’abstention.

Un front républicain qui reste efficace lorsque le RN doit arriver aux responsabilités

Néanmoins, le front républicain contre le RN au second tour est systématiquement invoqué, et reste efficace, lorsque ce dernier a une réelle chance d’arriver aux responsabilités. En effet, lors des régionales de 2015, le Front national est proche de gagner plusieurs régions (40,64% des voix en Hauts-de-France, 40,55% en PACA et 36,07% en Grand-Est) ou de 2021 (36,38% en PACA). Au second tour, les dirigeants et les électeurs se mobilisent contre le RN. D’abord, par des consignes de vote barrage pour les électeurs des listes éliminées, mais surtout par le choix des dirigeants de gauche du retrait de leurs listes comme en Hauts-de-France ou en PACA en 2015 se privant ainsi d’élus au conseil régional. Ensuite, les électeurs se mobilisent contre le Rassemblement national car la crainte de voir le parti à la flamme appliquer certaines mesures l’emporte sur tout. 

Ce regain d’efficacité du front républicain lorsque le Rassemblement national peut arriver aux responsabilités s’illustre par un meilleur report de voix que ce que prévoient les enquêtes d’opinion et par une augmentation de la participation pour réussir à rattraper un Rassemblement national loin devant (16 points d’écart dans les Hauts-de-France ou en PACA). La mobilisation électorale est donc exceptionnelle tant en termes de report des listes battues que de mobilisation d’électeurs n’étant pas venus voter au premier tour. En effet, lorsqu’il faut voter contre le RN, la participation est systématiquement plus importante comme en 2015, en Hauts-de-France (61% de participation au second tour contre 55% au premier tour), en PACA (52% contre 60%) ou Grand-Est (59% contre 48%).

Quels enjeux pour le second tour ?

Le premier enjeu pour mesurer l’efficacité du front républicain est le report des voix de gauche. En effet, avec 128 désistements, la gauche s’est le plus désistée et donc le niveau de report de voix de ses électeurs sera une des clefs les plus importantes du scrutin. Or, les reports de voix de gauche pourraient être bien plus importants que lors de la dernière présidentielle ou des dernières législatives pour trois raisons : d’abord, le Rassemblement national est aux portes de Matignon ce qui n’était pas le cas en 2022 ; ensuite, la raison de l’alliance du Nouveau Front Populaire est la lutte contre le Rassemblement national qui a surpassé les désaccords idéologiques ; enfin, à la différence de 2022, le Rassemblement national a été désigné comme l’adversaire numéro 1 par la quasi-totalité des formations politiques, notamment dans la majorité présidentielle.

Second enjeu, le report de voix de la coalition Ensemble vers la gauche et la droite. Or, on observe un retour à l’ADN originel des dirigeants de la majorité présidentielle en faveur du front républicain : ceux en provenance du centre-gauche (Gabriel Attal, Clément Beaune, etc.) ont donné les mêmes consignes que le NFP et ceux en provenance de la droite (Bruno Le Maire, Edouard Philippe, etc.) apportent une nuance sur le cas LFI avec le « ni-ni ». Seulement, au niveau des électeurs attachés à l’ordre, notamment les retraités qui constituent le socle électoral d’Ensemble, LFI pose un problème eût égard à ses propos et positions depuis le 7 octobre, à son programme économique, à ses candidats fichés S et autres infréquentables et à sa stratégie de bordélisation de la rue et de l’Assemblée nationale.

Dernier enjeu, la mobilisation d’électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes au premier tour sur le modèle des fronts républicains aux régionales de 2015. Or, avec un haut niveau de participation au premier tour (66%), ces réserves de voix sont moins conséquentes, même s’il n’est pas à exclure une remobilisation électorale contre le Rassemblement national tant l’enjeu est majeur. L’exemple des régionales de 2015 montre que cette remobilisation peut s’avérer décisive pour barrer la route au RN.

Nous assistons à un retour d’un front républicain efficace. Selon les différents scénarios, le Rassemblement national pourrait être privé d’entre 80 et 120 sièges en raison du front républicain, le reléguant ainsi loin d’une majorité absolue. Ainsi, tant que le RN n’aura pas brisé le plafond de verre du front républicain, l’accès aux responsabilités lui sera toujours fermé.

William Thay, Président du think-tank Le Millénaire

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Crédit photo : Front National 2010-05-01, Marie-Lan Nguyen, sous licence  Attribution 3.0 Unported, via Wikimedia Commons

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