Matthieu Hocque et Florian Gérard-Mercier pour Valeurs Actuelles : « Macron-Mélenchon : vers l’alliance de la honte ? »

TRIBUNE. Comment les législatives devraient rebattre toutes les cartes à l’Assemblée nationale.

Les législatives devraient rebattre toutes les cartes à l’Assemblée nationale. Alors qu’il a longtemps été question d’une alliance entre la macronie et Les Républicains, une alliance entre la macronie et le Nouveau Front Populaire pourrait voir le jour, motivée par un argument : battre le Rassemblement national. Une véritable alliance de la honte entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon qui permettrait au président de la République de renouer avec ses modèles en formant une grande alliance des gauches et du centre sur le modèle du parti Démocrate aux Etats-Unis.

La macronie est désorientée idéologiquement

La macronie change de boussole au fil du vent et selon les configurations. Cela s’explique car elle est dénuée de socle idéologique puisqu’elle a été bâtie sur la volonté d’Emmanuel Macron de dépasser le vieux clivage entre Les Républicains et le Parti Socialiste en réunissant le centre gauche, le centre (Modem de François Bayrou) et le centre droit. Ainsi, le projet macroniste devait réunir « les meilleurs de la droite », soit les juppéistes (Edouard Philippe) et « les meilleurs de la gauche », soit les personnalités du PS de François Hollande les plus en vue sous le gouvernement Valls (Richard Ferrand, Christophe Castaner ou Gérard Collomb). Or, à partir de 2019, la macronie opère un tournant en devenant le parti de l’ordre face aux crises (Gilets jaunes, crise sanitaire, guerre en Ukraine), devenant de plus en plus un parti de centre droit sur le modèle de l’UDF. Les figures dominantes (Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Edouard Philippe, etc.) ancrent ainsi le macronisme plus à droite.

Seulement, les législatives de 2022 ont rebattu les cartes au sein du camp présidentiel. En effet, la macronie a été contrainte de tendre encore davantage à droite puisqu’elle ne disposait plus de la majorité absolue. Afin de faire passer ses principales réformes (réforme des retraites, loi immigration), elle a eu besoin de négocier avec Les Républicains et donc de leur donner des gages. Seulement, ces réformes ont fait décrocher une partie des dirigeants de l’aile gauche (Clément Beaune, Aurélien Rousseau), et une partie de l’électorat puisqu’aux élections européennes, la macronie a perdu près d’un tiers de ses électeurs vers la liste de Raphaël Glucksmann. Ainsi, lors de ces élections législatives, chaque dirigeant ou électeur macroniste revient à ses origines : ceux provenant du centre-gauche (Gabriel Attal, Clément Beaune, etc.) ont donné les mêmes consignes que le NFP pour battre le Rassemblement national et ceux provenant de la droite (Bruno Le Maire, Edouard Philippe, etc.) privilégient le « ni-ni » qui est l’ADN de la droite républicaine depuis les cantonales 2011.

La macronie n’est plus un rempart au RN ce qui nécessite d’invoquer le front républicain

La macronie a échoué à être un rempart au Rassemblement national. En 2016, Emmanuel Macron fait le diagnostic que les partis de gouvernement, dont les différences programmatiques se gommaient progressivement (rappelons-nous du slogan « UMPS »), ne protègent plus le pays de la montée du Rassemblement national. En effet, l’absence d’offre politique nouvelle et claire ainsi que de résultats sur les thèmes du Rassemblement national (paupérisation, insécurité, immigration) ont contribué à la progression du parti de Marine Le Pen. Seulement, le macronisme a échoué sur ces trois thèmes, et a contribué à la montée du Rassemblement national depuis 7 ans. Le revenu disponible brut a augmenté moins vite que l’inflation ; les chiffres de l’insécurité, notamment contre les personnes, sont tous en hausse ; et il n’y a jamais eu autant d’entrées en France et aussi peu de migrants expulsés.

La majorité présidentielle n’a plus les armes pour battre le Rassemblement national. Son socle électoral s’est effondré, notamment lors des élections européennes passant de 23% en 2019 à près de 15% en 2024. Le rétrécissement électoral est à la fois sociologique (CSP + et retraités) et géographique (grandes métropoles et régions de l’arc du « Grand-Ouest »). En comparaison, la liste du Rassemblement national a enregistré plus du double de voix de celle de la majorité présidentielle. Celle-ci est donc désormais obligée de nouer une alliance de la honte avec le Nouveau Front populaire autour d’un unique argument : battre le Rassemblement national grâce aux consignes de vote et aux désistements respectifs.

Vers une alliance de la honte au troisième tour ?

Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon pourraient chacun être contraints à renier leurs principes (anti-populisme pour Emmanuel Macron et anti-libéralisme pour Jean-Luc Mélenchon) car la pression est maximale pour battre le Rassemblement national. D’une part, il s’agit de la dernière porte de sortie par le haut pour Emmanuel Macron qui pourrait se racheter une image inspirée de celle de Barack Obama. En effet, le chef de l’Etat s’est coupé des écosystèmes de gauche (élites intellectuelles, culturelles, sportives, médiatiques, jeunes, etc.) qui lui reprochent son illibéralisme, ses réformes et ses renoncements sociaux. D’autre part, il s’agit pour la gauche de pouvoir accomplir la promesse du Nouveau Front Populaire : battre le Rassemblement national, ces derniers ayant démontré qu’ils pouvaient enterrer tous leurs différends en quelques heures pour s’unir contre le parti lepéniste.

Cette alliance de la honte peut déboucher sur deux scénarios. Premier scénario, le front républicain ne permet pas à cette alliance d‘empêcher le Rassemblement national d’obtenir une majorité relative. Ainsi, dans l’opposition jusqu’à la prochaine dissolution dans un an, le front républicain devra repartir à la conquête des mêmes électeurs anti-RN sous une bannière commune afin de mettre fin à un gouvernement Rassemblement national. Second scénario, le front républicain permet à cette alliance contre nature d’obtenir plus de 289 députés. Dans ces circonstances, une grande coalition fragile pourrait parvenir à former un gouvernement dirigé par une figure qui pourrait incarner le plus petit dénominateur commun comme Raphaël Glucksmann, Boris Vallaud chez les socialistes ou un macroniste de gauche non clivant comme Aurélien Rousseau ou Clément Beaune. Ce gouvernement pourrait inclure des personnalités Insoumises moins clivantes à des postes clés comme Manuel Bompard ou encore Clémence Guetté ou ces derniers pourraient soutenir passivement ce gouvernement comme le PCF en 1936 lors du Front Populaire.

Face au Rassemblement national, les partis de gauche et du centre ont démontré qu’ils étaient prêts à toutes les concessions et compromissions. Un tel attelage pourrait conduire à la formation d’un grand parti sur le modèle du parti Démocrate aux Etats-Unis regroupant une ligne radicale comme celle d’Alexandra Ocasio-Cortez incarnée par les insoumis et une tendance centriste pro-business comme celle de Joe Biden incarnée par les macronistes.

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du think-tank Le Millénaire

Florian Gérard-Mercier, Directeur adjoint des Etudes du think-tank Le Millénaire

Pour soutenir nos analyses ou nous rejoindre pour rendre sa grandeur à la France

Crédit photo : Meeting Mélenchon Parc des expos, Blandine Le Clain, sous licence  Attribution 2.0 Generic, via Wikimedia Commons

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.