William Thay pour Marianne : « Le deuxième tour montrera si l’appel au barrage anti-RN, moins efficace, fonctionne toujours »

Politologue et président du think tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, William Thay analyse l’effritement progressif du front républicain, malgré l’appel du Nouveau Front populaire, d’une partie de la majorité présidentielle et de LR, à faire barrage au Rassemblement national. Il l’explique notamment par la stratégie de dédiabolisation du RN mise en place par Marine Le Pen, tandis que d’autres partis extrémistes ont vu le jour, tels qu’Éric Zemmour.

Le Rassemblement national a remporté le premier tour des élections législatives en se qualifiant dans 447 circonscriptions, soit près de toutes les circonscriptions métropolitaines, sauf en Ile-de-France et dans quelques grandes métropoles (Lyon, Marseille, Bordeaux, Rennes, etc.). Seulement, pour convertir ce score important en majorité absolue, il doit encore affronter le front républicain alors que l’on pouvait penser que ce dernier était en voie de disparition.

Un front républicain contre le Rassemblement national

Depuis sa percée électorale dans les années 1980, le Front national, devenu le Rassemblement national (RN), doit affronter le front républicain. Il s’agit pour « l’arc républicain » (la droite, le centre et la gauche), d’isoler le parti à la flamme considéré comme opposé au régime républicain en convoquant l’imaginaire des votes barrages protégeant la République lors de la percée de l’extrême droite fasciste des années 1930. Cela s’est traduit par le « cordon sanitaire » de Jacques Chirac distinguant la droite républicaine de l’extrême droite infréquentable et empêchant toute union des droites au niveau local et national à la différence de Silvio Berlusconi qui opère une alliance avec Fratelli d’Italia en 1994.

Le vote barrage est le second levier du front républicain contre le Rassemblement national. L’arc républicain se mobilise systématiquement contre le RN au second tour lorsque ce dernier peut obtenir des fonctions exécutives. Ce fut le cas lors de l’élection présidentielle de 2002, où la gauche appelle à voter unanimement contre Jean-Marie Le Pen, mais aussi de 2017 et 2022 où droite et gauche appellent à faire barrage. Les régionales de 2015 ont constitué le point culminant du vote barrage. En effet, le Front national est proche de gagner plusieurs régions (40,64% des voix en Hauts-de-France, 40,55% en PACA et 36,07% en Grand-Est). Au second tour, la gauche décide soit d’appeler à voter pour la liste de droite, soit de retirer ses propres listes comme en Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur quitte à perdre des élus au conseil régional.

Un effritement progressif du front républicain

Le front républicain n’a pas permis d’enrayer la percée électorale du Rassemblement national. En 2012, Marine Le Pen enregistre 17,90% des suffrages, soit 6,4 millions de voix ; en 2017, 33,90%, soit 10,6 millions de voix ; et en 2022, 41,45%, soit 13,2 millions de voix. Seulement, cette progression ne concerne plus uniquement la présidentielle, puisque le RN a enregistré près de 12 millions de voix aux dernières législatives. Cela s’explique par la forte diffusion du vote dans tous les électorats quel que soit l’âge/sexe (1), la sociologie (2) ou la géographie (3). Sur le premier point, en 2012, l’électorat de Marine Le Pen est plutôt masculin et plutôt âgé entre 35 ans et 50 ans. Les dernières élections ont confirmé que le gender gap n’existe plus et que, sur le plan de l’âge, le RN a conquis les jeunes et même les retraités, des catégories considérées comme réfractaires au parti lepéniste. Sur le deuxième point, en 2012, son électorat est plutôt populaire et peu diplômé alors que désormais il comprend aussi les cadres supérieurs. Enfin, sur le dernier point, en 2012, il est concentré géographiquement dans un « Grand-Est » allant des Hauts-de-France jusqu’en PACA. Or, désormais, toutes les régions sont marquées par un fort vote RN puisque plus de 90% des communes ont placé la liste du RN en tête des européennes.

Cet effritement du front républicain s’explique, d’une part, par la stratégie de dédiabolisation du Rassemblement national. En effet, le rejet du RN reposait à la fois sur son image sulfureuse liée à celle de la famille Le Pen et son incompétence liée à son manque d’expérience gouvernementale. Or, Marine Le Pen a entamé à partir de 2011 un processus de normalisation de son parti en lissant la ligne (condamnation de l’antisémitisme, exclusion de son père, position en faveur l’avortement, non-présence aux manifestations contre la Loi pour le mariage pour tous à la différence de certains élus LR, ou encore l’abandon de la sortie de l’Euro). Ainsi, cela a permis au parti de progressivement attirer de nouveaux cadres de droite, de gauche ou encore de la société civile, comme l’ancien directeur de Frontex, qui n’aurait vraisemblablement pas rejoint le parti du temps où il était diabolisé.

D’autre part, Marine Le Pen a entamé un processus de professionnalisation du parti pour le rendre crédible dans son accession au pouvoir. D’abord avec le gain de mairies lors des municipales de 2014, conservées en 2020, et puis un renforcement de son institutionnalisation à l’Assemblée en 2022. Avec 89 députés, il dispose d’un socle de personnalités capables désormais de maîtriser les dossiers tout en parachevant de lisser l’image du parti : il ne menace ni les institutions républicaines, ni la démocratie parlementaire. Cette dédiabolisation s’est également accélérée en contraste du comportement des députés de La France insoumise dans l’hémicycle ainsi que l’irruption d’Éric Zemmour sur la scène politique. Ainsi, au fur et à mesure que le RN se dédiabolisait, la vie politique rencontrait des extrémistes rendant le parti de Marine Le Pen moins effrayant en comparaison.

Vers un nouveau front républicain ?

Néanmoins, malgré sa percée électorale, sa dédiabolisation et son institutionnalisation, le RN n’a pas forcément brisé le fameux plafond de verre qu’il rencontre depuis sa création. Les dernières législatives de 2022 ont vu un effritement du front républicain car la principale menace d’alternance était Jean-Luc Mélenchon et la NUPES, alors que le RN ne menaçait pas d’obtenir une majorité. Or, la situation actuelle est inverse puisque le Nouveau Front Populaire ne peut pas obtenir de majorité absolue. De plus, le RN ne peut l’emporter que dans des conditions particulières : soit disposer d’une avance trop importante au premier tour pour ne plus être rattrapé au second tour ; soit affronter un adversaire plus effrayant comme LFI par exemple. Or, LFI n’est plus un adversaire plus effrayant que le RN puisque le camp présidentiel par la voix de Gabriel Attal a changé de règle sur son « cas par cas » entre RN et LFI. En 2022, la règle était de ne pas appeler à voter LFI face au RN, or désormais, la règle est d’appeler à voter LFI (sauf dans le cas de candidats problématiques comme Louis Boyard).

Ce front républicain se matérialiserait de deux façons : par les dirigeants politiques et par le peuple. D’un côté, les dirigeants politiques de la gauche appellent à voter contre le RN lorsqu’ils ne sont pas présents au second tour et/ou retirent leur candidat lorsqu’il n’a aucune chance d’empêcher une victoire d’un candidat soutenant Jordan Bardella. En miroir, on observe un retour à l’ADN originel des dirigeants de la majorité présidentielle en faveur du front républicain : ceux en provenance du centre-gauche ont donné les mêmes consignes que le NFP et ceux en provenance de la droite apportent une nuance le cas LFI. De l’autre côté, alors que nous avons eu une participation record depuis 1986, il n’est pas exclu qu’elle augmente entre les deux tours à l’image de ce que nous avons connu lors des élections régionales de 2015 pour empêcher la prise d’une région par Marine le Pen ou Marion Maréchal.

Le second tour de ces élections législatives est un test pour la résistance du front républicain. Il s’agit de savoir si le parti de Marine Le Pen a enfin brisé le plafond de verre ou si l’appel au barrage fonctionne toujours même s’il est moins efficace que par le passé, car la résistance du front républicain est le dernier levier capable d’empêcher Jordan Bardella de disposer d’une majorité absolue le soir du 7 juillet.

William Thay, Politologue et Président du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire

William Thay, Président du think-tank indépendant Le Millénaire

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Crédit photo : Le Pen in State Duma 2, Duma Gov.Ru, sous licence Attribution 4.0 International, via Wikimedia Commons.

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