À quelques jours d’une élection qui s’annonce être la plus serrée de l’histoire des États-Unis d’Amérique, Donald Trump et Kamala Harris sont au coude à coude. La bataille électorale fait rage et les deux candidats concentrent toutes leurs forces dans les fameux États clés. À ce jour, il semble difficile de distinguer un vainqueur. Toutefois, une question légitime se pose : Quels sont les enjeux de cette fin de campagne ?
Une élection très serrée autour de 7 États clés
Véritable particularité américaine, comme toutes les élections par le passé, celle-ci va se jouer dans un petit nombre d’États, appelés swing states ou États clés. Il s’agit d’États qui peuvent basculer d’un camp à l’autre. Cette particularité est liée au système politique américain où le président est élu par les 540 grands électeurs, désignés dans chacun des 50 États. Le candidat qui arrive en tête dans un État remporte tous ses grands électeurs, c’est le système du winner-take-all. En raison des données historiques, sociologiques et des sondages, Kamala Harris devrait obtenir au moins 226 grands électeurs et Donald Trump 219. L’élection présidentielle 2024 va se jouer dans 7 États clés qui représentent 93 grands électeurs : le Nevada (6), l’Arizona (11), la Géorgie (16), la Caroline du Nord (16), la Pennsylvanie (19), le Michigan (15) et le Wisconsin (10).
Or, à ce jour, il semble impossible de distinguer un vainqueur tant les sondages sont serrés. D’après la moyenne des sondages sur le site Real Clear Polling (RCP), Trump devance légèrement Harris (48,4% contre 48,1%). A titre de comparaison, au même moment, en 2020, Joe Biden devançait Donald Trump de 7.9 points et en 2016, Hillary Clinton le devançait de 1.6 point[1]. Ainsi, pour mettre toutes les chances de leur côté et mobiliser les électeurs, les deux candidats opèrent une dernière tournée dans les 7 États clés qui sont tous dans la marge d’erreur des sondages, au 1er novembre selon RCP : Nevada ( Trump +0,9) ; Arizona (Trump +2,3) ; Georgie (Trump +2,6) ; Caroline du Nord (Trump +1,4), Pennsylvanie (Trump +0,3), Michigan (+0,8), Wisconsin (Harris +0,3).
Quelle route de la victoire pour Kamala et Trump ?
Donald Trump semble dominer les États clés dans la Sun Belt qui regroupe le Nevada, l’Arizona, la Géorgie et la Caroline du Nord. Ces États sont marqués par un climat ensoleillé, un dynamisme économique et la présence des baby-boomers. L’avance de l’ancien président s’explique ainsi notamment sur les questions économiques et migratoires en tête des sujets de préoccupations des électeurs de ces États. Sur l’économie, 52% des Américains jugent que Donald Trump sera meilleur que Kamala Harris contre 45% qui pensent le contraire selon un sondage Siena pour le New York Times[2]. Sur l’immigration, sujet sensible pour des États du sud, Donald Trump est jugé plus crédible que Kamala Harris (49% contre 35%) selon un sondage YouGov[3]. Surtout, Donald Trump enregistre des meilleurs scores que ses prédécesseurs républicains auprès des minorités. Au sein de la Géorgie et de la Caroline du Nord qui possèdent des communautés afro-américaines importantes (33,2% de la population en Géorgie[4] et 22,1% en Caroline du Nord[5]), l’ancien président récolterait près de 20 à 25% des suffrages soit deux fois qu’il y a 4 ans, selon AtlasIntel[6] qui était l’institut le plus proche des résultats en 2020[7]. De même, Donald Trump enregistre des bonnes intentions de vote de la part de la communauté hispanique qui représente 31,6% de la population en Arizona[8] et 29,9% au Nevada[9]. Dans cet État, Donald Trump pourrait remporter le vote latino et être au coude à coude avec Kamala Harris, toujours selon AtlasIntel[10]. Seulement, même si Donald Trump confirme ces bons sondages, et remporte ces 4 États clés, il ne disposerait que de 268 grands électeurs sur les 270 nécessaires.
De son côté, Kamala Harris adopte une tactique défensive pour protéger le Blue Wall composé des États clés du Michigan, du Wisconsin et de la Pennsylvanie. Cette région constituait la zone la plus prospère des États-Unis en étant le cœur industriel au point d’être appelé « Manufacturing Belt » jusqu’en dans les années 70. Le changement de nom vers « Rust Belt » ou « ceinture rouillée » marque le déclassement de cette zone en raison de la désindustrialisation et donc de la dépopulation urbaine. La ville de Détroit, siège de General Motors dans le Michigan est passée de 1,8 millions d’habitants en 1950 à 639 000 en 2021. Ce déclassement a conduit le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin à devenir des États à enjeux. Ces 3 États votent pour les candidats démocrates depuis 1992, sauf à une reprise en 2016, lorsqu’ils ont choisi Donald Trump à moins de 1% d’avance dans chacun des 3 États. Biden les avait repris en 2020 avec seulement 130 000 voix d’avance sur les 16 millions de votants des trois États. Pour cette édition 2024, Kamala Harris place une grande partie de son temps, de ses ressources sur ces trois États, puisque Donald Trump ne peut être élu, s’il ne remporte pas au moins l’un d’entre eux.
Quels sont les enjeux de la fin de la campagne ?
Les prochains jours vont être fatidiques, car c’est bien lors de cette dernière ligne droite que peut se jouer l’issue de l’élection présidentielle. Kamala Harris va devoir rattraper son retard pris sur le vote par avance. Selon les données publiques des États[11], 38,4% des électeurs qui ont voté par avance, sont enregistrés comme démocrates au 1er novembre 2024. Ils étaient 44,8%, il y a 4 ans pour soutenir Joe Biden. Surtout au-delà du score relatif, Kamala Harris perd un grand nombre d’électeurs, puisque 101 millions de personnes avaient voté avant le scrutin en 2020 contre 66 millions pour cette édition. L’objectif de Kamala Harris est de mobiliser les électeurs qui avaient soutenu Joe Biden pour faire rempart face à Donald Trump, en récupérant les déçus démocrates comme les minorités afro-américaines et hispaniques. De plus, elle doit récupérer les électeurs clés qui ont fait le succès de Joe Biden et qui hésitent comme les habitants des banlieues et la classe moyenne blanche.
Si Donald Trump est en avance dans les sondages, il doit faire face à plusieurs enjeux. Tout d’abord, il doit mobiliser son électorat, car celui-ci à la différence des démocrates, se déplace beaucoup plus le jour du vote. En Pennsylvanie, les indicateurs du vote par avance rapportent que Trump est à la traîne dans le vote anticipé auprès des personnes âgées, un électorat qui lui est essentiel et qui vote traditionnellement républicain. Ainsi pour espérer gagner cet État stratégique, il doit avoir plus de 12 points d’avance sur Kamala Harris sur les électeurs qui vont voter le jour même en raison du retard accumulé par le vote par avance[12] qui donne près de 400 000 voix de retard pour les républicains. Ensuite, il doit verrouiller beaucoup d’État, parce qu’il doit remporter presque tous les États du Sud (Arizona, Géorgie, Caroline du Nord) tout en remportant au moins un État de la Rust Belt (Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin) pour atteindre le seuil des 270 grands électeurs. Enfin, sa clé doit être un juste équilibre en polarisant suffisamment le scrutin pour motiver ses partisans à se déplacer tout en n’effrayant pas trop les indépendants et les démocrates pour ne pas susciter un vote barrage qui pourrait lui couter de précieuses voix dans des États clés qui vont se départager à quelques points.
Cette élection présidentielle a été marquée par les rebondissements comme une tentative d’assassinat ou le retrait d’un président sortant. Elle est suffisamment serrée pour imaginer les scénarios les plus invraisemblables comme une égalité au collège électoral, et conduire chaque camp à ne pas être surpris par la victoire ou la défaite. Surtout, elle interroge puisque les 31 millions d’électeurs du Michigan, de Pennsylvanie, du Wisconsin, de l’Arizona, de Géorgie, du Nevada et de Caroline du Nord vont choisir pour le destin de plus de 330 millions d’Américains et même au-delà au regard de l’impact de la 1ère puissance sur les affaires du monde.
William Thay, Président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques Co-auteur de la note « Présidentielle américaine, les enjeux de l’élection »
Sean Scull, Analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de « Le populisme, symptôme d’une crise de la démocratie. Comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède » aux Éditions l’Harmattan.
[1] https://www.realclearpolling.com/polls/president/general/2024/trump-vs-harris
[2] https://www.nytimes.com/2024/10/30/us/elections/trump-harris-economy-poll.html
[3] https://today.yougov.com/politics/articles/50846-donald-trump-leads-on-immigration-and-inflation-kamala-harris-on-abortion-and-health-care
[4] https://www.census.gov/quickfacts/fact/table/NC/PST045223
[5] https://www.census.gov/quickfacts/fact/table/NC/PST045223
[6] https://cdn.atlasintel.org/ff8a5b86-e293-44f4-8162-166002248f55.pdf
[7] https://x.com/NateSilver538/status/1375095262516027392
[8] https://www.census.gov/quickfacts/fact/table/AZ/PST045223
[9] https://www.census.gov/quickfacts/NV
[10] https://cdn.atlasintel.org/ff8a5b86-e293-44f4-8162-166002248f55.pdf
[11] https://election.lab.ufl.edu/early-vote/2024-early-voting/
[12] https://election.lab.ufl.edu/early-vote/2024-early-voting/2024-general-election-early-vote-pennsylvania/
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Crédit Photo : Kamala Harris par Tim Reckmann sous licence CC BY-NC 2.0 DE
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