William Thay et Sean Scull pour Marianne : « Quel plan pour la création d’un État en Palestine ? »

La décision du président Emmanuel Macron de reconnaître un État palestinien doit s’appuyer sur un plan réfléchi de la création de la Palestine. William Thay, président du think-tank Le Millénaire et Sean Scull, analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de « Le Populisme » (l’Harmattan, 2024), en proposent un.

Emmanuel Macron a suscité la surprise générale en annonçant qu’il allait reconnaître un État palestinien en septembre prochain à l’ONU. Situation inédite, la France serait le premier pays du G7 à le faire. Face à cette annonce, les réactions internationales ne se sont pas fait attendre, avec d’un côté Trump pour qui les propos de Macron « n’ont pas beaucoup de poids » et de l’autre Keir Starmer allant dans le sens de Macron qui affirme que la Grande-Bretagne pourra également reconnaître un État palestinien. Cette annonce a été suivie par d’autre pays comme le Canada. Si le président de la République espère faire bouger les lignes, à quoi pourrait ressembler une feuille de route vers la création d’un État palestinien ?

L’INTÉRÊT DE CHACUN

Paradoxalement, la volonté de Trump est un facteur clé dans ce processus. Bien qu’il ne se soit jamais vraiment exprimé sur la question de la création d’un État Palestinien, Donald Trump souhaite un processus de paix durable au Moyen-Orient en organisant une sorte de Pax Americana comprenant les accords d’Abraham et Israël comme superpuissance régionale. Trump veut absolument pacifier la région car il est conscient que s’il y parvient le Prix Nobel de la paix ne pourra pas lui être refusé dans la mesure où il aura réussi là où tous ses prédécesseurs auront échoué depuis plus de 30 ans.

Sur le plan de la politique interne, il est constamment sous la pression de son électorat qui est fatigué de guerres interminables au Moyen-Orient où, à tout moment, Washington risque de se faire embarquer. Il faut également noter l’évolution de l’action d’Israël par l’opinion publique américaine. L’institut Gallup a interrogé les Américains sur l’action militaire israélienne à Gaza, qui est désapprouvée par 60 % de la population, dont 71 % parmi l’électorat républicain.

« Pour rester au pouvoir, Netanyahu a deux solutions : soit aboutir à la suprématie militaire d’Israël dans la zone en éliminant toutes les menaces (Iran et ses proxys notamment) soit marquer l’Histoire ».

La création d’un État palestinien jouerait également en la faveur d’Israël et de Netanyahu, qui pourraient l’accepter en fonction des conditions et de la situation. Israël verrait conforter sa mainmise régionale, puisque la création d’un État palestinien ne se fera jamais à son détriment. En effet, la création d’un État palestinien ne peut se faire sans l’accord d’Israël. Cela pourrait permettre à l’État hébreu d’utiliser ce levier pour normaliser ses relations avec les pays arabes de la région et d’en finir pour de bon avec le Hamas. 

En effet, la position des pays arabes vis-à-vis d’Israël a évolué ces dernières années et ils pourraient accepter un plan qui irait dans la poursuite des accords d’Abraham de 2020. À ce titre, pour être pleinement efficace, il faudrait a minima que l’Arabie saoudite rejoigne ces accords, or Mohammed Ben Salmane souhaite qu’Israël avance sur la question palestinienne. Enfin, Benjamin Netanyahu a besoin de marquer l’histoire pour ne pas finir comme Golda Meir qui, face à la pression de l’opposition après la guerre du Kippour, fut contrainte de démissionner en 1974. Pour rester au pouvoir, Netanyahu a deux solutions : soit aboutir à la suprématie militaire d’Israël dans la zone en éliminant toutes les menaces (Iran et ses proxys notamment) soit marquer l’Histoire.

METTRE TOUT LE MONDE AUTOUR DE LA TABLE

Pour créer un État palestinien, il est nécessaire d’avoir l’accord de plusieurs parties indispensables à une telle opération : Israël, l’Autorité palestinienne, les États-Unis et la ligue arabe représentée par un acteur régional comme l’Arabie saoudite. La France et le Royaume-Uni, ainsi que les Européens, peuvent jouer un rôle et pousser les États-Unis à aller dans ce sens, en prenant des initiatives qui isoleraient les États-Unis et Israël en cas de refus. Cela peut passer par la reconnaissance de la Palestine, comme les condamnations morales sans exclure les sanctions contre Israël. L’objectif est d’obliger Netanyahu et sa coalition gouvernementale à accepter cette solution comme un moindre mal parmi l’ensemble de leurs options.

Ainsi, il ne peut y avoir d’État palestinien sans l’accord d’Israël, ce qui nécessite un plan comprenant un volet politique et sécuritaire poussé et initié par les États-Unis. De leur côté, les autorités palestiniennes n’ont plus trop le choix, car la situation s’aggrave pour eux et, à terme, il risque de ne jamais y avoir d’État. Du côté américain, au-delà de la dimension personnelle pour Donald Trump qui se dirigerait vers le Prix Nobel de la paix en cas de réussite, il y a la nécessité de compléter et faire durer les accords d’Abraham qui restent incomplets sans la création d’un État palestinien et la reconnaissance d’Israël par l’ensemble des pays de la Ligue Arabe à commencer par l’Arabie saoudite. Pour cette dernière, Mohammed Ben Salmane souhaite un accord de sécurité de la part des Américains ainsi qu’une avancée sur la cause palestinienne.

LES POINTS NON NÉGOCIABLES

Pour aboutir à la création d’un État palestinien, il est nécessaire que ce soit les Américains qui initient et poussent la conclusion d’un accord avec les autorités palestiniennes et Israël. Or, Donald Trump avait déjà proposé une résolution en janvier 2020, dans un document appelé « Peace to Prosperity » qui comprenait plusieurs volets sur les frontières, les lieux saints, la sécurité des deux États, l’accueil des réfugiés et un plan économique pour développer la Palestine. Plusieurs points risquent de ne pas bouger dans l’éventualité d’un accord : la reconnaissance d’Israël par les pays arabes et la Palestine ; Jérusalem capitale et contrôlée par les Israéliens, et l’État de Palestine démilitarisé.

D’autres points doivent être tranchés comme les frontières, le sort du Hamas, l’avenir de Gaza et de sa population, les colonies israéliennes en Cisjordanie, et la (re)construction de la Palestine. Sur les frontières, l’État palestinien serait principalement concentré en Cisjordanie tandis que la bande de Gaza passerait sous administration internationale pendant une période nécessaire à la reconstruction. Israël reconnaitrait l’existence d’un État et donc d’une autorité palestinienne en contrepartie d’une reconnaissance d’Israël comme un État juif.

Cela implique la nécessité d’une légitimité politique palestinienne à travers un gouvernement reconnu de tous reposant d’abord sur l’autorité palestinienne le temps d’organiser des élections. Par conséquent, les dirigeants du Hamas seraient contraints à l’exil et politiquement cette organisation cesserait d’exister. Bien évidemment, l’intégralité des otages israéliens devra être libérée.

RECONSTRUCTION ET COMPENSATION

La bande de Gaza serait démilitarisée et transformée en une possession internationale a minima de manière temporaire avec une mise sous contrôle d’une autorité morale indépendante à travers la Ligue arabe ou l’ONU. La reconstruction de la bande de Gaza serait financée par un fonds international sous l’égide des États-Unis, qui récoltera un retour sur investissement en transformant la zone en « Riviera du Moyen-Orient ». Puis, en contrepartie de la neutralisation de Gaza, soit Israël évacuerait ses colonies en Cisjordanie pour qu’y soit créé l’État palestinien, soit proposera d’autres terres en compensation du maintien des colonies. Les colons pourraient être indemnisés par le fonds international qui financera les investissements en Palestine. Pour le gouvernement israélien, cette localisation géographique a l’avantage de pouvoir être plus facile à contrôler que Gaza, qui est une petite enclave coincée entre Israël et la mer. Les réfugiés gazaouis auront le choix entre rejoindre le nouvel État palestinien en Cisjordanie ou être répartis dans les pays arabes.

Si ce plan n’est pas parfait, il semble être le seul compromis acceptable par les trois acteurs clés : les États-Unis, Israël et la Palestine. Les autorités palestiniennes ont peut-être une occasion historique d’avoir enfin un État ce qui les obligent à faire des concessions importantes. Israël a l’opportunité d’assurer sa domination régionale comme superpuissance de la zone, mais la situation interne appelle à une pression forte des États-Unis. 

William Thay, Président du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire

Sean Scull est analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de le Populisme, symptôme d’une crise de la démocratie, comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède, aux éditions L’Harmattan.

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Crédit photo : Donald Trump avec Benyamin Nétanyahou via Flick sous licence « Domaine Public »

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