Pierre Clairé et Sean Scull pour Valeurs : « Donald Trump peut-il mettre fin à la guerre en Ukraine ? »

Le président américain, qui rencontrera son homologue russe Vladimir Poutine ce vendredi 15 août en Alaska, aux Etats-Unis, semblerait vouloir aller dans son sens et en finir avec la guerre en Ukraine par le biais d’une paix durable, analysent Pierre Clairé, directeur adjoint des Études du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes, et Sean Scull, analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de « Le Populisme, symptôme d’une crise de la démocratie, comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède » (éditions L’Harmattan).

Après de multiples va-et-vient, Donald Trump et Vladimir Poutine vont finalement se rencontrer ce vendredi 15 août en Alaska. Cette rencontre historique, première entre deux présidents depuis le début de la guerre en Ukraine, doit déboucher sur une résolution du conflit. Alors que les négociations sont au point mort depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, le président américain dispose-t-il réellement de leviers pour convaincre son homologue russe d’accepter la paix ?

Malgré ces gesticulations, Vladimir Poutine reste aux commandes et impose le tempo.

Après de nombreux échecs dans les négociations, Donald Trump semble avoir perdu patience et a posé un ultimatum à Vladimir Poutine. Ses menaces, comme l’idée d’imposer des droits de douane de 100 % aux pays commerçant avec la Russie si aucun cessez-le-feu n’était conclu dans les 50 jours ont évolué rapidement, signe d’une urgence croissante. Le sommet d’Anchorage, revêt donc une portée symbolique : c’est l’occasion pour Donald Trump de reprendre la main sur le récit et d’arracher une percée diplomatique. Il veut montrer à Vladimir Poutine que l’Amérique a aussi les moyens de faire valoir ses intérêts en faisant jouer le rapport de force. Malgré le fait qu’il fasse monter la pression, Donald Trump semblerait vouloir aller dans le sens de Poutine, et en finir avec la guerre en Ukraine par le biais d’une paix durable.

Malgré ces gesticulations, Vladimir Poutine reste aux commandes et impose le tempo. Aucune concession tangible n’a été enregistrée avant la rencontre, ce qui fait craindre la poursuite d’une guerre d’attrition avec des avancées limitées mais constantes vers les objectifs russes. Alors que le président russe fixe l’agenda, son homologue américain manifeste sa hâte d’aboutir. Cette asymétrie dans les négociations réduit les chances d’un véritable accord parce qu’elle place le président américain dans une position de faiblesse. Cela pourrait forcer Trump à offrir plus que par le passé, pour tenter de parvenir à un « deal », qui permettrait de sauver la face. Trump semble rechercher davantage une porte de sortie à travers un « succès diplomatique ». Son obsession est d’éviter que les Américains ne sortent humiliés du conflit comme lors de la chute de Saigon en 1975 ou de Kaboul en 2021.

Trump peut-il faire plier Poutine ? 

Une voie possible pour Trump consiste à exercer une pression militaire, alternant soutien à l’Ukraine et menaces voilées. Il a déjà brandi la menace de guerre nucléaire mais cette menace relève davantage d’une pression communicationnelle, fidèle à sa logique de surenchère théorisée dans son ouvrage « l’art du deal » que d’une stratégie géopolitique. Une autre approche consisterait à adopter une méthode ayant fait ses preuves, celle de « la paix par la force », qui a permis à Ronald Reagan de vaincre l’Union soviétique. Cela impliquerait de renforcer l’aide militaire avec davantage de renseignements et de livraisons d’armes, mais cela reste insuffisant pour que les Ukrainiens reprennent l’initiative sur le front rapidement. Pour des effets plus rapides, il faudrait soit que les Américains renforcent de manière substantielle leur soutien militaire donc avec plus d’armes en qualité et en quantité soit que les Européens puissent aider l’Ukraine de manière cohérente, mais cela n’est pas réaliste à court terme…

Trump dispose d’un second levier qui est économique en promettant qu’en contrepartie d’une paix, la Russie réintègrera l’économie mondiale. Ce serait appliquer la stratégie Nixon mais à l’envers cette fois, en détachant la Russie de la Chine pour la faire rentrer dans le giron occidental. Le président américain a déjà fait des déclarations en ce sens en affirmant qu’à la suite d’une paix en Ukraine les échanges commerciaux allaient reprendre avec la Russie et que le potentiel économique entre les deux pays est inexploité. La Russie est affaiblie : inflation élevée, déficit budgétaire qui explose, rouble instable, taux d’intérêt en hausse, exode massif des jeunes… Ces difficultés rendent cette méthode attractive pour le chef du Kremlin.

Le temps presse pour Trump qui joue sa crédibilité

Pour éviter de passer pour Chamberlain ou Daladier, Donald Trump ne peut accepter d’abandonner complètement l’Ukraine. Ainsi, indépendamment de la stratégie adoptée, Trump fait face à un dilemme car il doit jongler entre les conditions exigeantes de Poutine et en même temps rassurer les craintes ukrainiennes qu’une nouvelle invasion russe n’aura pas lieu. Si Donald Trump accepte une paix au rabais et que l’Ukraine subit de nouvelles menaces russes dans les années à venir après avoir accepté des conditions douloureuses, il sera difficile de ne pas établir le parallèle avec les accords de Munich de 1938. Cette situation risque d’entacher durablement l’image et l’héritage du président américain, ce qu’il ne peut accepter.

Sur la même ligne, l’accord passé avec Vladimir Poutine ne doit pas affaiblir la puissance américaine comme gendarme du monde. Si Trump donne l’impression de récompenser l’agression par des concessions, il affaiblira la crédibilité de la dissuasion américaine, notamment face à la Chine sur Taïwan, face à l’Iran ou face à d’autres nations-empires. Un règlement ferme, assorti de garanties de sécurité solides montrerait que Washington reste capable de fixer les règles. À l’inverse, une paix bancale serait perçue comme une invitation à tester davantage la volonté américaine.

Donald Trump est confronté à un exercice d’équilibriste stratégique.

Sur le plan interne, Trump doit tenir ses promesses de campagne, qui sont d’en finir avec la guerre en Ukraine pour se concentrer sur l’Amérique afin de lui rendre sa grandeur. Or, avec la guerre qui dure malgré son souhait d’en finir, Donald Trump passe pour le contraire d’un deal maker, ce qui serait tragique pour lui. Cette situation le décrédibilise auprès de son électorat pour qui il est un demi-dieu parce qu’il deviendrait ce qu’il exècre à savoir : être un « loser ». Au niveau national c’est son bilan qui risque d’être entaché et cela représente du pain béni pour les démocrates qui ne rateront pas l’opportunité d’exploiter cette faille pour le mettre à mal d’ici les élections de mi-mandat en 2026.

Donald Trump est confronté à un exercice d’équilibriste stratégique. Il veut conclure rapidement la guerre pour revendiquer un succès, mais Poutine conserve l’initiative et dicte les conditions. Pour ressortir crédible, non seulement comme négociateur, mais aussi comme garant des intérêts américains, Trump devra conjuguer fermeté et intelligence : éviter les échanges territoriaux irréalistes, inclure l’Ukraine et les européens comme partenaire dans les discussions, garantir des clauses de sécurité contraignantes. Sans cela, l’« accord d’Alaska » pourrait bien ressembler davantage à un écho de 1938 qu’à une paix solide.

Pierre Clairé, Directeur adjoint des études du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes

Sean Scull est analyste du Millénaire, spécialiste de la politique américaine et auteur de le Populisme, symptôme d’une crise de la démocratie, comment le néolibéralisme a triomphé en France et en Suède, aux éditions L’Harmattan.

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Crédit photo : Donald Trump avec Volodymyr Zelensky via Wikimedia sous licence « Domaine Public »

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