William Thay et Sean Scull pour Le JDD : « Le bilan de Joe Biden, une force ou une faiblesse pour Kamala Harris ? »

TRIBUNE. Le retrait de Joe Biden en faveur de Kamala Harris a relancé la course à la Maison Blanche. C’est désormais elle qui portera le bilan de l’administration démocrate de ces quatre dernières années. Or, ce bilan est loin d’être plébiscité par les Américains.

Le retrait de Joe Biden, affaibli par un débat raté et de mauvais sondages, en faveur de Kamala Harris a relancé la course à la Maison Blanche. Le choix de sa Vice-Présidente implique désormais que c’est elle qui portera le bilan des actions réalisées par l’administration Biden des 4 dernières années. Le bilan du président sortant est loin d’être plébiscité par les Américains, et pourrait handicaper la candidature de Kamala Harris, alors qu’elle va être investie par les Démocrates lors de la prochaine convention.

Kamala Harris bénéficie d’un élan avec le retrait de Biden

Le retrait de Joe Biden a mis du temps en raison de l’incertitude portée sur Kamala Harris. Cette dernière ne séduisait pas spécialement les démocrates comme l’a démontré son échec lors des primaires en 2020 ainsi qu’un début de mandat de Vice-présidente où elle a été particulièrement impopulaire. De plus, l’aile gauche du parti a critiqué ses antécédents en tant que procureur en Californie car elle a été trop dure envers les criminels. Cependant, la politique est en partie un choix porté entre plusieurs options et celle de Joe Biden commençait à être de plus en plus difficile à soutenir pour les démocrates. Tout d’abord, le Président était en retard dans tous les sondages depuis le début de l’année que ce soit sur le vote populaire ou sur celui des États-clés qui font l’élection. Ensuite, il commençait à démontrer des signes de faiblesses évidents en raison de son âge comme lors du débat du 27 juin face à Donald Trump. Enfin, la tentative d’assassinat sur l’ancien président a achevé la candidature de Joe Biden. Pour la plupart des observateurs et des soutiens du parti, avec Joe Biden, la campagne était perdue d’avance.

La tendance s’est totalement renversée, puisque Kamala Harris bénéficie d’un élan sur l’ensemble des indicateurs. En effet, la future candidate des Démocrates a complètement relancé la campagne en bénéficiant d’une popularité en hausse, de meilleurs sondages face à Trump et même des bookmakers qui misent sur sa victoire. Alors qu’elle bénéficiait de très mauvais sondage de popularité (environ -15 points entre ceux qui ont une bonne image et ceux qui en ont une mauvaise), elle est devenue populaire (plus de personnes qui ont une bonne image que l’inverse). De plus, la future candidate démocrate fait désormais jeu égal avec Donald Trump que ce soit au niveau du vote populaire et au niveau des États clés où elle peut l’emporter à la différence de Joe Biden. Enfin, la Vice-Présidente est devenue la favorite de plusieurs modèles (JHK Forecast ou celui de Nate Silver) et même des bookmakers comme Polymarket. Dans ce dernier modèle prédictif, Kamala Harris est passé de 17% de chances de gagner le jour du retrait de Biden, le 21 juillet, à 47% le 7 aout.

Mais un bilan Biden mitigé et désapprouvé par les Américains

Le bilan de Joe Biden n’est pas approuvé par ses compatriotes mais il a porté des projets de grande ampleur. Si, selon FiveThirtyEight 55,5 % des Américains le désapprouvent toujours, le bilan de Biden contient des réformes intéressantes. Sur le plan intérieur, il a réussi à sortir le pays de la pandémie de la Covid -19 à travers le American Rescue Plan Act, un plan de relance fédéral d’un montant de 1 900 milliards. Sur le plan économique, Joe Biden a compris l’importance de sécuriser et de relancer les industries stratégiques. Sous son mandat il a mis en place le Inflation Reduction Act, une loi protectionniste qui subventionne les industries souhaitant se relocaliser sur le sol américain. Sur le plan extérieur, il a renoué avec les partenaires historiques des États-Unis et ancrer la protection américaine en Europe avec le soutien à l’Ukraine. Ainsi, il a repris le clivage entre les démocraties et les régimes autoritaires pour s’opposer aux ambitions de Poutine et de Xi Jinping. D’ailleurs, il a affirmé et confirmé la protection américaine de Taiwan pour solidifier la présence américaine dans le Pacifique.

Si le bilan de Joe Biden n’est pas forcément mauvais, il est jugé très sévèrement par les Américains. Sur le plan intérieur, il n’a pas été capable de sécuriser les frontières pour lutter contre l’immigration illégale ni répondre à la montée des violences dans le pays. Sur le plan économique, ses résultats macroéconomiques satisfaisants se sont fait balayer par une forte inflation qui a pénalisé le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires. In fine, seul 20% des Américains selon la moyenne des sondages recueilli par RealClearPolitics, estimait que l’Amérique allait dans la bonne direction avec Joe Biden. De plus, il faut ajouter que les Américains ont encore en mémoire le retrait catastrophique des troupes d’Afghanistan qui est comparé aux pires débâcles militaires des États-Unis.

Vers un référendum contre Harris ou contre Trump

L’élection du 47ème président des Etats-Unis se dirige vers un référendum anti-Trump ou contre l’administration sortante soit anti-Harris. Depuis le retrait de Joe Biden, on assiste plutôt à un référendum anti-Trump, puisque les deux anciens présidents étaient rejetés par une grande partie des Américains qui ne souhaitaient que ni l’un ni l’autre ne soient réélu. Ainsi Outre-Atlantique, on va jusqu’à présenter cette élection comme celle du procureur contre le criminel. Le retrait du locataire actuel de la Maison Blanche a offert un élan à sa Vice-Présidente qui n’aura besoin ni d’interview ni de grande prise de parole pour monter dans les intentions de vote jusqu’à rattraper Donald Trump. Cela s’explique notamment par la remobilisation des Démocrates qui n’avait pas un moral élevé à l’idée d’une nouvelle candidature de Joe Biden et qui sont satisfait de son retrait. On assiste également à une bascule des indépendants en faveur de Kamala Harris, soulignant la dynamique contre l’ancien président.

Cependant, ce lot de bonnes nouvelles en faveur de Kamala Harris risque d’être plus limité lorsque nous rentrerons dans le dur de la campagne soit à partir de la rentrée et après la convention Démocrate. En effet, l’administration Biden est sortante donc Kamala Harris va en faire les frais lorsqu’on passera le moment de grâce. En tant que Vice-Présidente, elle va devoir assumer, justifier et défendre le bilan de Biden à sa place alors qu’il est très sévèrement jugé sur plusieurs indicateurs clés. Ainsi, on va assister à une critique du bilan portant au moins sur sa mauvaise gestion de la crise migratoire à la frontière Mexicaine. Comme dans toutes les élections récentes, la prochaine présidentielle va se jouer à une poigné d’États clés à conquérir. Ainsi, Trump et Harris sont au coude à coude dans les États clés du Michigan, du Pennsylvanie, de l’Arizona, du Wisconsin, de Géorgie et dans le Nevada. Dans ces États, les électeurs indécis vont probablement s’exprimer sur les questions économiques. Sur ce point, les Américains ont exprimé dans les sondages que le mandat de l’ancien président était meilleur que celui de l’actuel.

Le bilan de Biden loin d’être mauvais mais sévèrement jugé par les Américains, était un boulet dans la volonté de l’actuel président de briguer un second mandat. Le retrait de Joe Biden en faveur de Kamala Harris, semble donner un nouveau souffle aux Démocrates. En effet, les Américains ne collent pas pour l’instant le bilan de l’administration à sa Vice-Présidente. Pour autant, on risque de voir les Républicains lui rappeler ce bilan au cours de la campagne électorale pour renverser la dynamique. Il s’agit en effet, d’une des meilleures clés pour permettre à Donald Trump de revenir à la Maison Blanche.

William Thay, Président du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire

Sean Scull, Analyste international au Millénaire

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Crédit photo : GOTV Event with Senator Kamala Harris at Renaissance High School – Detroit, MI – March 9, 2020, Adam Schultz, sous licence Attribution-NonCommercial-ShareAlike 2.0 Generic, via Flickr.

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