La démission de Thierry Breton, Commissaire au Marché Intérieur, a provoqué un mini-séisme dans les institutions européennes. Si certains à Bruxelles ne sont pas surpris, voire sont même soulagés par ce départ fracassant en raison des mauvais rapports entre l’ancien commissaire et Ursula von der Leyen. Pourtant, cet épisode révèle autre chose qu’un simple désaccord entre deux personnalités, il s’agit de la perte d’influence d’Emmanuel Macron sur la scène européenne et le déclassement de la France face à l’Allemagne.
Une démission surprenante mais prévisible
La démission de Thierry Breton a pris Bruxelles par surprise, bien que certains initiés la voyaient venir. Personnalité indépendante, notamment sur des dossiers sensibles comme la transformation numérique et la défense, Breton s’était fréquemment retrouvé en désaccord avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Leur relation, tendue depuis plusieurs mois, a été marquée par des désaccords publics, comme sur le dossier qui opposait Thierry Breton à Elon Musk, où von der Leyen ne l’a pas soutenu. Une autre fracture s’est produite lorsque Breton s’est opposé publiquement à la reconduction de von der Leyen pour un second mandat. La tentative de von der Leyen de pousser Breton vers la sortie, en proposant à la France un portefeuille plus avantageux en échange de son retrait, a révélé son inconfort face à la nature combative et indépendante de Breton.
Cette démission révèle un leadership centralisé, voire autoritaire, de von der Leyen, souvent critiqué dans les couloirs européens. De plus en plus de voix, notamment à Paris ou dans d’autres capitales, accusent la présidente de négliger les intérêts nationaux au profit d’une vision centralisée de la gouvernance européenne. Cela a entraîné des conflits, non seulement avec des dirigeants nationaux comme Emmanuel Macron, mais aussi au sein du Parlement européen, où ses tendances autoritaires ont été mal perçues. Elle veut limiter l’influence du Parlement qui est pourtant la seule Institution élue au suffrage direct. L’élimination de Thierry Breton montre comment von der Leyen conçoit sa gouvernance où elle ne peut personne qui puisse contester son influence au sein de la Commission.
Au-delà de cet événement, une perte d’influence de Macron à Bruxelles qui est criante
Sur le plan diplomatique, cette démission est un coup dur pour Emmanuel Macron qui voit son influence à Bruxelles, déjà mal en point, diminuer encore un peu plus alors qu’il avait réussi à se rendre incontournable auparavant. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Macron s’était imposé avec brio à Bruxelles, notamment par son opposition à l’illibéralisme incarné par Viktor Orbán. En 2019, Macron avait pourtant su imposer ses choix, facilitant l’accession de von der Leyen à la tête de la Commission à la place de Manfred Weber, pourtant tête de liste du PPE, mais dont le principal crime était de ne pas plaire à Macron. Son discours de la Sorbonne en 2017 avait été perçu comme porteur d’une vision prometteuse pour l’avenir de l’Europe, une rupture avec des années d’inertie alors que même la toute puissante Angela Merkel n’avait jamais formulée un tel programme ambitieux.
En 2024, la dynamique est bien différente puisque l’influence de Macron à Bruxelles est désormais faible. Avant les élections européennes de 2024, le président français avait échoué à empêcher la reconduction de von der Leyen, en préférant des personnalités comme Margrethe Vestager, Roberta Metsola ou Mario Draghi. De plus, l’instabilité politique en France, exacerbée par la dissolution de l’Assemblée nationale, a affaibli sa capacité à négocier sur la scène européenne, ses priorités étant accaparées par les crises internes. Cette vacance de l’influence française a été mise à profit par Ursula von der Leyen qui voit ses garde fous disparaître. Ainsi, Macron, pris par la politique nationale, peine à s’imposer face à von der Leyen. Contraint de remplacer Thierry Breton par Stéphane Séjourné, un profil moins influent et incapable de peser face à la présidente de la Commission, Macron révèle son affaiblissement. Le transfert de compétences clés, comme la défense ou le spatial, du portefeuille français vers celui du commissaire lituanien, illustre cet affaiblissement.
Une nouvelle mandature d’Ursula Von der Leyen qui pourrait signer le glas des ambitions françaises
La nomination de Stéphane Séjourné à la place de Breton souligne les difficultés croissantes de la France à faire entendre sa voix à Bruxelles. Ancien président du groupe Renew Europe et ministre démissionnaire, Séjourné a donné une image pour le moins mitigée. Il est ainsi peu attendu comme une figure capable de contrer l’autorité de von der Leyen. Cette stratégie d’évitement de Macron tranche avec son attitude plus affirmée de 2019. À l’époque, il avait su placer ses pions et orienter le leadership européen. Aujourd’hui, il semble plus en retrait, laissant la voie libre à von der Leyen, qui renforce son emprise sur la politique européenne. Macron, au lieu de se confronter à la présidente de la Commission, préfère éviter le conflit et rentrer dans le rang, cassant son image de Président dont l’Europe était la priorité.
L’avenir de cette nouvelle Commission, composée de personnalités moins enclines à contester l’autorité de von der Leyen, suscite de nombreuses interrogations. Ce groupe, avec des portefeuilles moins définis, voire vagues, et parfois redondants, pourrait rencontrer des difficultés lors de son vote de confirmation au Parlement. Ce développement contraste avec les Commissions passées, plus dynamiques et souvent marquées par des voix dissonantes comme celle de Breton. Le retrait de Macron du devant de la scène européenne laisse assurément la France dans une position de faiblesse.
Avec la montée d’un pouvoir plus centralisé et moins transparent à Bruxelles, et un Parlement européen relégué à un rôle secondaire, les inquiétudes grandissent dans plusieurs capitales européennes. À Paris, cette situation est perçue comme une menace pour l’influence française sur des dossiers stratégiques comme la défense et la régulation numérique. Tandis que von der Leyen semble confortée dans sa position, le rôle de la France dans les futurs arbitrages européens pourrait être considérablement réduit. Ursula von der Leyen pourrait renforcer encore davantage son contrôle sur la politique de l’UE, notamment dans des domaines comme la régulation numérique et la défense, tout en achevant d’avoir un plus grand contrôle sur le budget.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions européennes et internationales
William Thay, Président du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire
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Crédit photo : Emmanuel Macron par Пресс-служба Президента Российской Федерации sous licence CC BY 4.0
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