William Thay et Matthieu Hocque pour Le Figaro : « La crise énergétique va appauvrir durablement la France, quand allons nous réagir ? »

Pour William Thay et Matthieu Hocque, du think-tank Le Millénaire, la crise énergétique que nous traversons risque de se prolonger en raison du regain de violences au Moyen-Orient. D’où la nécessité, selon eux, de retrouver le chemin de la souveraineté énergétique.

Il y a 50 ans, la guerre du Kippour entre Israël et les pays arabes a mis fin aux Trente Glorieuses à travers le premier choc pétrolier. Il aura fallu plus d’une décennie pour que les économies occidentales puissent rattraper leur niveau de production de richesses. Après les chocs pétroliers de 1973 et 1979, nous vivons un 3ème choc pétrolier depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, qui pourrait s’accentuer avec les tensions dans le Moyen Orient entre Israël et le Hamas. Ainsi, la crise énergétique peut être amenée à durer, ce qui nous oblige de repenser notre mode de consommation et de production pour sortir par le haut.

Un troisième choc pétrolier

Nous vivons un 3ème choc pétrolier depuis les bouleversements provoqués par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. D’une part, la crise sanitaire a perturbé l’adéquation entre l’offre et la demande mondiale. L’arrêt de l’activité avec les restrictions sanitaires, notamment celle de la Chine avec la politique zéro Covid a affaibli les producteurs pétroliers qui ont décidé de baisser leur production pour enrayer la chute des cours. Cependant, ce maintien des quotas de production lors de la reprise économique a fait exploser le prix du baril de Brent à 130 dollars à l’été 2022 contre 45 dollars en janvier 2021. D’autre part, la guerre en Ukraine a ancré dans la durée ce 3ème choc pétrolier par le biais des sanctions à l’égard d’un des principaux producteurs énergétiques à savoir la Russie, notamment sur le gaz et le pétrole.

La crise énergétique est encore devant nous. Sur le plan économique, la reprise économique mondiale post-crise sanitaire tarde à revenir en raison des difficultés de la Chine. L’usine du monde souffre encore de sa politique zéro-covid et devrait enregistrer son pire niveau de croissance depuis 1979 hors pandémie (5% de croissance). Sans relance de la production mondiale, les producteurs énergétiques ne peuvent pas écouler leur production de pétrole et de gaz. Ainsi, l’Arabie Saoudite, en lien avec l’OPEP et la Russie réduisent leur production jusqu’à la fin de l’année pour maintenir un prix élevé afin de compenser ce manque à gagner. D’autant plus que sur le plan international, le regain des tensions géopolitiques entraînera des conséquences durables sur le prix à la pompe chez nous (+17% depuis septembre) ou sur le gaz (+40% depuis septembre). Ainsi, les conflits en Ukraine et en Proche-Orient risquent d’alimenter les tensions et ne permettent pas d’espérer une décision favorable de la part de l’OPEP dans les mois à venir.

La France du travail démunie

En pleine crise énergétique, la France a mis fin à son quoi qu’il en coûte énergétique. Sur le plan du carburant, l’exécutif a mis fin à la ristourne de 30 centimes sur le litre d’essence qui a coûté 8 milliards d’euros aux contribuables. A la place, le Gouvernement a choisi la politique du chèque, avec une aide carburant de 100€ pour les ménages les plus modestes, et surtout de répercuter la hausse des prix du carburants sur les stations-services par le mécanisme de la « vente à prix coûtants ». Sur le plan énergétique, il a choisi de maintenir son bouclier tarifaire à 15% qui avait été réhaussé au printemps dernier contre 4% auparavant. Cela n’a donc pas permis de contenir la hausse de l’électricité de 10% cet été alors que les prix du gaz flamberont à l’hiver.

Le Gouvernement abandonne les classes intermédiaires et les classes moyennes. Selon l’INSEE, les dispositifs de l’exécutif auraient davantage profité aux classes aisées qu’aux classes populaires, entre 64 et 115 euros pour les 25% les plus aisés, contre entre 29 et 48 euros pour les 25 % les plus modestes. Seulement, la France est le 5ème pays de l’Union européenne où le poids du transport dans le budget des ménages intermédiaires et moyens est le plus important. Il est une véritable dépense contrainte pour toute la France du travail en représentant près de 14% du budget d’un ménage. De même, sur l’électricité de nombreuses professions exclues des dispositifs se retrouvent démunies, comme les boulangers ou les artisans avec des hausses de factures allant parfois jusqu’à 500% sur l’année.

Sortons par le haut de l’impasse énergétique

La France doit sortir par le haut de la crise énergétique en adoptant une ligne claire sur sa stratégie. À court terme, la crise énergétique va appauvrir durablement la France et en particulier la France du travail. Ainsi, nous pouvons dresser deux postulats : la croissance économique est indexée sur la consommation énergétique et il est plus « rentable » de soutenir les classes populaires et intermédiaires sur un coup de pouce énergétique plutôt que de les abandonner. En effet, ces théories se sont démontrées pour la première après les deux chocs pétroliers, et pour la seconde lors des différentes crises économiques dont celle de 2008 et 2020. Cela coute moins cher à l’État de les soutenir par des aides ciblées plutôt que de payer in fine des aides sociales. Cela suppose d’activer un certain nombre de dispositifs comme : la sortie temporaire du marché européen de l’électricité pour approcher le cout de l’énergie par notre cout de production ; prolongation du bouclier tarifaire pour les TPE et PME qui représentent plus de 90% de l’emploi ; la baisse de taxes sur l’énergie (TICPE, TVA) ; clause de déclenchement sur le modèle japonais (dès que le prix à la pompe dépasse un montant fixe (par exemple 2€), il est affranchi de taxes.

À long terme, ces mesures ne permettront pas de répondre à ce choc majeur, la France doit retrouver le chemin de la souveraineté énergétique autour d’un objectif : faire de la France et de l’Europe une superpuissance énergétique et écologique. Notre souveraineté énergétique ne pourra se construire sans le développement d’une industrie écologique qui suppose que nous choisissons davantage une écologie de progrès plutôt que celle de la punition. En effet, ce n’est pas en punissant et en entravant qu’on attire et conserve les meilleurs talents qui ont une passion pour la mobilité et la liberté. De plus, comme le montre les exemples chinois et américains avec l’IRA, c’est en encourageant la production d’une industrie propre que nous entamerons notre transition énergétique. C’est à ce prix que nous pourrons accomplir nos deux objectifs : être souverain sur le plan énergétique et devenir le leader de la transition énergétique pour devenir une superpuissance climatique.

La France est à un tournant : soit de reproduire les mêmes erreurs que dans les années 80 qui nous ont conduit à ce qu’on appelle le Malheur français à la suite des mauvaises décisions adoptées dans cette période ; soit apprendre de nos erreurs pour faire émerger un nouveau modèle où nous pourrions être des leaders sur les plans du hard et soft power. Les différentes crises que nous rencontrons peuvent être l’occasion de construire un nouvel horizon.

William Thay, président du Millénaire, think tank indépendant spécialisé en politiques publiques

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire

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Crédit photo : Factory sky architecture outdoors. AI generated Image, sous
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