Entretien de Pierre Clairé pour Atlantico « Législatives : la Pologne rebat les cartes de l’équilibre des droites européennes »

L’opposition centriste pro-européenne a remporté la majorité parlementaire aux législatives de dimanche en Pologne.

Atlantico : L’opposition centriste pro-européenne a remporté la majorité parlementaire aux législatives de dimanche en Pologne. Comment expliquer cette victoire ? 

Pierre Clairé : Il est vrai que le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir depuis 8 ans n’est pas capable de former un gouvernement seul car le parti n’a recueilli que 36,8% des voix ce qui représente 200 sièges à la Sejm ou Diète (Chambre Basse du Parlement). L’absence d’un parti capable de former un gouvernement de coalition avec eux met le parti au pouvoir dans l’impasse. Il est aussi vrai que l’opposition au contraire a réussi à obtenir la majorité absolue, grâce aux 31,6% du Parti Coalition Civique (KO) de l’ancien président du conseil européen Donald Tusk. Pour autant l’opposition ne dépasse les conservateurs que parce que les libéraux de KO peuvent compter sur les centristes de Troisième Voie (13%) et de la Gauche (8,6%). Le PiS est arrivé en tête, ce qui fait que le Président Duda va demander au premier ministre sortant de tenter de former un nouveau gouvernement. Cela devrait échouer, mais c’est un passage obligé. Ensuite les 3 partis de l’opposition devront être capables de former un gouvernement rapidement. Enfin, il est nécessaire de souligner que ces résultats ne sont issus que de sondages à la sortie des urnes, qui restent en Pologne relativement précis il faut bien l’avouer (si on s’en fie aux élections précédentes) mais que cela pourrait changer avec le dépouillement. En Slovaquie il y a quelques semaines, les sondages avaient annoncé une défaite de Robert Fico, mais c’est bien lui aujourd’hui qui va gouverner. Ces élections polonaises ont aussi recueilli une forte participation (73%), du jamais vu dans le pays, et surtout les Polonais de l’étranger (favorables à l’opposition) n’ont jamais autant voté. Ces différents facteurs peuvent changer la face des résultats dans le courant de la journée. 

Mais pour le moment nous devons dire que Donald Tusk, revenu en Pologne en 2021 après son passage à Bruxelles, a réussi son pari. C’est principalement son charisme et sa maîtrise de l’exercice politique qui ont permis la réussite de KO. Il faut se rappeler la manifestation du 1er octobre dans les rues de Varsovie qui a rassemblé 1 million de personnes, une prouesse que seul Donald Tusk pouvait réaliser. En effet, depuis son départ pour devenir Président du Conseil européen en 2014, aucun membre de l’opposition n’a réussi à faire oublier l’ancien premier ministre, ce qui explique les mauvais résultats depuis 2015 et le retour au pouvoir des conservateurs du PiS. Cette manifestation géante avait pour but de montrer le rejet de la population, opposée aux conservateurs et à leur politique illibérale et antidémocratique qui en 8 ans au gouvernement ont accentué leur mainmise sur le pouvoir et sur les institutions, imposant leurs propres règles et surtout leur idéologie conservatrice. Nous pouvons citer la loi de 2020 sur l’avortement qui a presque interdit la pratique dans le pays avec une des législations les plus dures d’Europe. La jeunesse polonaise soutient massivement l’opposition alors qu’elle se sent délaissée et maltraitée par le pouvoir en place. La victoire de Tusk montre le rejet des conservateurs par les Polonais qui ont voulu dire stop et demandent une autre politique, moins illibérale et plus démocratique et soucieuse des droits, alors que le PiS a souvent été vu comme trop clivant et en perpétuelle opposition avec l’UE et même l’Ukraine dernièrement.

Cette défaite de la droite conservatrice est-elle de mauvaise augure pour les droites dans les autres pays européens ? 

Pierre Clairé : Il faut rester mesuré car même si les résultats du PiS ne lui permettent pas de former un gouvernement seul, le parti conservateur de Jarosław Kaczyński (ennemi intime de Donald Tusk et véritable maître de la Pologne depuis 8 ans) a tout de même rassemblé 36,8% des voix, ce qui le place en tête. Ainsi nous ne pouvons pas parler d’une défaite complète, mais plutôt d’une défaite partielle, car le PiS ne devrait pas pouvoir se maintenir au pouvoir mais conserve une base solide et reste le premier parti de Pologne. Proportionnellement le PiS se trouve dans une position semblable à celle des élections de 2015 (les conservateurs avaient alors remporté les élections, mais cela s’explique par le mode de scrutin polonais) et aux élections européennes de 2024 cela ne devrait pas se traduire par une perte importante de sièges vu que le scrutin se déroule à la proportionelle. 

Certains disent que ce scrutin marque un coup d’arrêt pour la politique illibérale en Europe et isole Viktor Orbán, ce n’est pas forcément faux sachant que le PiS était au pouvoir depuis 8 ans et bien installé. De plus, la Pologne reste un pays d’envergure en Europe, fort de ses 38 millions d’habitants et Orbán perd ici un allié de choix. Mais il faut souligner que les électeurs slovaques ont permis le retour de Robert Fico au pouvoir et que celui ci se fait sans cesse remarquer par son caractère pro-russe et ses valeurs illibérales (il n’a en effet de socialiste que le nom, ce qui pousse les socialistes européens à demander l’exclusion de son parti du parti socialiste européen). L’illibéralisme en Europe n’est pas mort hier soir et il est important de le souligner. De plus, les relations entre Orbán et Mateusz Morawiecki (premier ministre officiel de la Pologne) étaient glaciales ces dernières années, laissant croire que le Groupe de Visegrad était mort. La coordination des mouvements à l’Est était morte depuis bien longtemps, mais il est vrai que si les résultats sont confirmés et si Tusk revient au pouvoir il y aura beaucoup moins de bruit à l’Est… 

Ensuite, il faut souligner que la Coalition Civique de Tusk est une alliance de différents partis politiques, mais que son principal membre est la plateforme civique (PO), un parti membre du Parti Populaire Européen (PPE). Ainsi un Tusk premier ministre signifierait que la droite européenne récupérerait un nouveau pays dans l’Union et serait davantage représentée au Conseil. Nous avons tendance à oublier l’affiliation de Tusk car il était opposé à des conservateurs souverainistes et nationalistes, pourtant il reste bel et bien de droite et a même dirigé le PPE entre 2019 et 2022, ce qui en fait un fin connaisseur des affaires européennes. Le PPE restant le premier parti de droite au Parlement européen et en Europe, je ne dirai pas que c’est une mauvaise nouvelle pour la droite européenne, bien au contraire. Le PiS était inclassable au niveau européen et ne disposait pas de réels alliés hors des pays de Visegrad. La victoire de Tusk marque la victoire d’une droite modérée, libérale et pro-européenne comme on a pu le voir en Espagne avec les bons résultats du Partido

Popular en juillet dernier. Ainsi la droite modérée se renforce en Europe, au détriment d’une droite illibérale et conservatrice, ce qui peut donner des leçons à quelques mois des élections européennes… 

Dans quelle mesure cette victoire des pro-européens va changer les relations entre l’UE et la Pologne et entre l’Ukraine et la Pologne ? 

Pierre Clairé : Les relations entre l’UE et la Pologne étaient véritablement exécrables ces dernières années et il ne se passait pas un mois sans que Bruxelles ne se plaigne de la politique menée à Varsovie. La principale source de discorde était la réforme de la Justice, que le PiS voyait comme corrompue et qui devait être changée, alors que l’UE voyait ces réformes comme allant contre l’état de droit et les valeurs européennes. Pour la petite histoire c’est Mateusz Morawiecki qui devait porter cette réforme en 2017, il avait été choisi car expert en droit européen (il a d’ailleurs écrit un des premiers livres en langue polonaise sur le sujet) et on pensait qu’il serait capable d’arrondir les angles en tant que premier ministre. Alors que celui-ci avait démarré sa carrière politique au cabinet de Donald Tusk (cela ne s’invente pas) c’est tout le contraire qui arriva avec une opposition de principe constante entre Varsovie et Bruxelles. C’est pour cela qu’un référendum sur l’immigration avait été organisé hier pour signifier le rejet de la politique européenne de répartition des migrants (mais ce référendum n’a pas rassemblé plus de 50% des votants, le rendant nul, ce qui constitue une autre défaite pour le PiS). 

On peut penser qu’avec l’arrivée de Tusk il y aura une normalisation des relations entre la Pologne et l’Union européenne, alors que celui-ci défend une politique pro-européenne. On ne verra pas par exemple Donald Tusk s’opposer à la répartition des migrants ou à d’autres politiques défendues à Bruxelles. Il endossera plutôt le rôle de facilitateur et mettra un terme à la Politique polonaise de ces 8 dernières années, évitant de se placer en marge en adoptant une posture d’opposition automatique. Tusk et la Pologne vont se montrer davantage pragmatiques et vont surtout revenir sur les politiques de ces dernières années, ce qui devrait plaire à Bruxelles. 

Concernant les relations entre la Pologne et l’Ukraine il faut se montrer mesuré encore une fois, nous avons entendu en Europe que la Pologne ne souhaitait plus envoyer d’armes à l’Ukraine ce qui n’est que partiellement vrai. Le Gouvernement a en effet fait comprendre qu’il ne voulait pas affaiblir la Pologne et trop envoyer en Ukraine, ce qui les rendrait incapables de réagir en cas de problème. Pour autant il n’ont pas remis en cause les promesses déjà faites et comptaient rester un allié fort de Zelynsky. De plus, j’ai pu entendre hier soir qu’on assistait à la défaite d’un parti pro-Poutine, ce qui n’est pas vrai et provient du discours de Volodymyr Zelynsky aux Nations Unies quand il a parlé de la complaisance et surtout de la bêtise de certains qui voient dans la critique de Zelensky une preuve d’allégeance au Kremlin. Dire que les Polonais, de n’importe quel bord politique, sont

pro-Russes est une preuve d’inculture car de par son histoire la Pologne s’est toujours opposée à Moscou, le PiS restant viscéralement opposé au Kremlin. Ils se montraient ici critiques envers une aide illimitée à l’Ukraine ce qui pourrait désarmer la Pologne (rien de plus normal pour un parti nationaliste en campagne), mais ils ont massivement aidé l’Ukraine par le passé, étant les premiers à fournir des chars et avions et continuent à aider tant que possible. Avec Tusk les bonnes relations vont continuer et il n’y aura pas de vagues, c’est le seul changement que je peux voir dans un avenir proche. Les problèmes venaient surtout de l’Ukraine qui ne supportait pas de voir le PiS mettre son pays en avant et le faire passer en priorité… 

Pour conclure, il faut rappeler que le Président Andrzej Duda, qui est fortement soutenu par le PiS, dispose d’un droit de véto ce qui pourrait rendre la tâche du futur gouvernement complexe et rendre difficile tout changement radical…

Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du Millénaire et spécialiste des questions internationales et européennes.

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Crédit photo : Donald Tusk, 2014, Kancelaria Prezesa Rady Ministrów, WarszawaMateusz Włodarczyk – www.wlodarczykfoto.pl, sous license  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

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