William Thay et Clément Perrin pour L’Express : «Budget : Pourquoi la France a besoin d’une révolution fiscale »

Alors que les débats sur le projet de loi de Finances pour 2024 vont débuter à l’Assemblée nationale, la France a encore renoncé à mettre à plat son système fiscal ubuesque, dénoncent les experts du think tank Le Millénaire.

La France se retrouve face à un paradoxe : jamais les impôts et les dépenses publiques n’ont été aussi élevés, et pourtant les services publics n’ont jamais semblé aussi inefficients. Nous manquons de services publics en termes de qualité, mais également en quantité avec des manques divers dans des domaines régaliens comme l’éducation, la santé et la sécurité. La France doit rompre avec son addiction pour les taxes et sa logique de moyens pour trouver comment faire mieux sans forcément avec plus !

Une fiscalité excessive qui appauvrit

La France souffre d’un excès de fiscalité. Par mépris intellectuel pour la révolution néolibérale des années 1980 et par réflexes socialistes lors de chaque crise, les décideurs publics ont alourdi notre fiscalité pour permettre à l’Etat de tout gérer quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte. Depuis 60 ans, chaque crise s’est résolue par une augmentation du niveau des prélèvements obligatoires passant de 34 % du PIB en 1973 à 42 % en 1983 après les chocs pétroliers, de 42 % en 2008 à 46 % en 2014 après la crise économique de 2008 et la crise des dettes souveraines, et de 44,1 % en 2019 à 45,4 % en 2022 après la crise sanitaire. Ainsi, la France est la championne du monde des prélèvements obligatoires avec 11 points de plus que la moyenne des pays de l‘OCDE et surtout un écart de 5 à 20 points dans toutes les catégories d’impôts et de taxes, ce qui pénalise toute la société.

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Notre fiscalité appauvrit la France du travail. En effet, les Français qui travaillent subissent la double peine : la socialisation des revenus du travail qui capte l’effort fourni au travail et la charge de l’impôt qui accroît les dépenses contraintes. D’une part, les cotisations sociales représentent 102 % du salaire net alors que la moyenne au sein de l’Union européenne est de seulement 52 %. Ainsi, les Français doivent vivre avec un revenu net qui figure dans la moyenne basse des pays de l’OCDE, soit 30 % de moins que les salariés des pays les plus riches. D’autre part, la France du travail supporte la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu puisque 44 % des ménages sont imposables. Cela renchérit les dépenses contraintes de la France du travail, déjà fortement affectée par l’inflation énergétique et alimentaire ainsi que par la hausse du coût du logement ou des transports.

Une dépense publique inefficiente

Le niveau élevé des dépenses publiques en France s’explique essentiellement par la taille de son État social. La France est championne du monde de la dépense publique avec plus de 1 480 milliards d’euros en 2022, soit 58,1 % du PIB, contre 50 % en Allemagne et 43 % pour les pays du G7. La France se distingue par son nombre élevé de fonctionnaires – 5,67 millions en 2021 -, la taille de son État providence ainsi que ses nombreuses collectivités publiques ou parapubliques – millefeuille territorial, structures administratives indépendantes… -, et un niveau très important de dépense sociale. En effet, sur 1 000 euros d’argent public, l’État dépense aujourd’hui 572 euros en protection sociale.

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De plus, la France dépense plus que ses voisins pour des services publics de qualité similaire ou inférieure. A titre d’exemple, l’action publique française concernant l’enseignement secondaire est moins efficiente que les autres pays de la zone euro. En effet, les dépenses moyennes par élève pour le secondaire dépassent la moyenne de l’OCDE, tandis que celles pour le primaire sont inférieures. Pourtant, nos résultats en baisse constante dans les classements PISA montrent que la France dépense mal l’argent dédié à l’éducation de ses enfants. L’exemple dans l’éducation peut s’étendre à d’autres services publics comme la police qui manque d’effectifs ou la santé avec un personnel soignant moins bien rémunéré que chez nos voisins allemands, avec pourtant le même niveau de dépense par habitant.

Construire un nouvel horizon

Cette fiscalité obèse est paradoxalement un frein à son objectif initial : la lutte contre les inégalités et la pauvreté. Alors que nous assistons à une augmentation des prélèvements obligatoires, de la dépense publique et des dépenses sociales, nous voyons également un accroissement des inégalités, de la pauvreté, et une moindre qualité et quantité des services publics.

Nous devons rompre avec le dogme consistant à dépenser et imposer toujours plus pour faire en sorte que la fiscalité ne soit pas un frein à l’innovation, à la réussite, et à la croissance économique. Pour cela, il est primordial de procéder à un triple choc : un choc de confiance, un choc de simplification et un choc d’attractivité, avec pour objectif général de baisser la pression fiscale en France. Il s’agit de diminuer l’écart avec les pays comparables, en visant comme objectif de ramener notre taux de prélèvement obligatoire à 41 %, soit une baisse de 110 milliards d’euros.

La fiscalité doit être efficace et doit poursuivre un objectif plutôt que d’être utilisée à des fins démagogiques. Ainsi, elle doit répondre à trois priorités : être lisible, simple et juste. Actuellement, la fiscalité est tentaculaire et illisible en raison d’un nombre élevé de taxes – plus de 400 selon les différents organismes – alors que huit prélèvements rapportent 80 % des recettes : cotisations sociales, TVA, CSG, impôts sur les sociétés et sur le revenu, TICPE, CVAE et CFE. Nous pourrions ainsi supprimer un ensemble de taxes pour se concentrer sur 10 grands impôts et simplifier notre système fiscal. De plus, la France devrait arrêter de changer de politique fiscale à chaque alternance politique pour essayer de mettre en place une politique du temps long fondé sur l’attractivité. Cette illisibilité décourage les investisseurs étrangers et français qui ne peuvent pas s’inscrire sur le long terme pour encourager la production en France. Enfin, le système fiscal devrait être plus juste plutôt que de se concentrer sur certaines catégories fiscales. En effet, 10 % des ménages paient environ 70 % de l’impôt sur le revenu. De plus, la fiscalité française est concentrée sur les producteurs de richesse, à savoir le travail à travers les charges sociales et les entreprises avec les impôts de production ainsi que l’impôt sur les sociétés.

Un chèque pour chaque problème » : la France dépense-t-elle trop ?

On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré ce problème. Ainsi, une réelle révolution fiscale est nécessaire. Parmi nos propositions : un impôt sur le revenu universel, une simplification des versements aux entreprises – supprimer 118 prélèvements sur les 233 existants -, une suppression de l’IFI, une convergence du taux de l’IS vers un objectif de 20 % d’ici 2027, la création de zones franches pour soutenir nos entreprises et une augmentation de l’investissement citoyen au sein des PME en portant à 50 % la réduction d’impôt IR-PME, contre 25 % aujourd’hui.

Les différentes crises que nous rencontrons peuvent être l’occasion de rompre avec le dogme qui a gouverné la France depuis une quarantaine d’années pour construire un nouvel horizon. Un horizon où l’on ne pensera pas que notre inventivité fiscale permettrait de résoudre l’ensemble des maux de la France.

William Thay, président du Millénaire, think tank indépendant spécialisé en politiques publiques

Clément Perrin, Directeur des études du Millénaire

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Crédit photo : Zairon sous licence CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

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