L’ascension politique d’Emmanuel Macron a reposé sur le déclin des grands partis de gauche et de droite incapable de répondre aux aspirations des Français malgré les alternances successives depuis 1981. Sa réélection en 2022 a contribué à rompre avec l’équilibre politique en cours depuis l’avènement de la Vème République avec notamment le passage d’un bipartisme à un tripartition de la vie politique. En effet, celle-ci est désormais constituée autour d’un bloc de gauche dominé par Jean-Luc Mélenchon, un bloc de droite dominé par le Rassemblement national et un bloc central autour d’Emmanuel Macron. Cependant, l’effondrement du macronisme, voire sa mort, pourrait conduire à un retour du duel entre un bloc de gauche et un bloc de droite à l’occasion des prochaines élections.
Un effondrement du macronisme
Les élections européennes ont été catastrophiques pour le camp présidentiel. La liste de la majorité présidentielle a perdu 8 points par rapport aux européennes de 2019, soit 1,4 million d’électeurs. Surtout, son socle électoral s’est très largement réduit tant socialement que géographiquement. Selon un sondage IFOP pour Le Figaro, il est dominé dans toutes les catégories socio-professionnelles par le Rassemblement national. Il enregistre un écart de 11 points chez les catégories supérieures (20% contre 31% pour le RN), de 20 points chez les professions intermédiaires (13% contre 33%) et de 34 points chez les catégories populaires (12% contre 46%). De plus, il est dominé dans tous les territoires puisque 90% des communes ont placé le Rassemblement national en tête.
Le camp présidentiel a un problème majeur : la personne du président de la République. D’un côté, les meilleurs résultats du macronisme sont lorsque les Français peuvent voter pour Emmanuel Macron. En 2017, le chef de l’Etat récolte 24% des suffrages contre 22% pour la liste aux européennes de 2019 ; et en 2022, plus de 28% contre 14% pour la liste de Valérie Hayer. De même, toutes les élections locales, pour lesquelles Macron évite de faire campagne, ont été des camouflets pour le parti présidentiel qui enregistre les pires scores pour un parti au pouvoir. Aux municipales de 2020 et aux régionales de 2021, les candidats macronistes ont enregistré des scores très faibles, y compris dans les grandes métropoles (17,26% à Paris ou 14,92% à Lyon) et dans des régions favorables à Emmanuel Macron : 15,53% en Bretagne ; 11,81% en Île-de-France ou 11,97% en Pays de la Loire.
En conséquence, Renaissance n’a jamais réussi à gagner sans Emmanuel Macron, puisque ses électeurs votaient pour sa personne, seulement, le Chef de l’État est rejeté (environ 30% d’opinions favorables) et nuit électoralement à son camp. 7 Français sur 10 considèrent que le chef de l’État est plus un inconvénient pour son propre parti qu’un avantage. Ainsi, nous sommes en train d’arriver à une impasse au sein de la macronie, puisqu’ils ne peuvent plus afficher Emmanuel Macron sur les campagnes nationales. Dans le même temps, ils n’ont pas gagné une élection majeure sans le Chef de l’État. Ce dernier étant devenu un repoussoir, il est légitime de se demander si le macronisme ne pourra pas survivre à Emmanuel Macron et qu’il est peut-être en train de vivre ses dernières heures.
Le retour du duel gauche-droite
Dans le cadre de l’actuelle recomposition politique, le bloc de gauche est dominé par LFI mais de manière moins imposante qu’en 2022. En effet, le Nouveau Front Populaire rassemble davantage la gauche que la NUPES. Cette dernière a surtout été une OPA de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche, rendue possible par son score de 22% réalisé à l’élection présidentielle. Or, si le Nouveau Front Populaire reste dominé par LFI, il est désormais plus équilibré en raison du bon score de Raphaël Glucksmann aux européennes de 2024 et des voix dissonantes au sein de LFI (François Ruffin, Alexis Corbière, etc.) contre la ligne de Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, si nous avons une bataille pour le leadership de ce bloc, LFI domine tant sur le fond que sur la forme. D’une part, le programme du Front populaire n’est pas éloigné du programme de la NUPES tant il semble s’inspirer des idées de la France Insoumise. D’autre part, si, LFI n’a obtenu que 40% des investitures contre 56% des investitures avec la Nupes, il devrait malgré tout constituer le groupe parlementaire le plus important soit celui qui doit proposer le nom du Premier ministre en cas de succès. Donc, même si Mélenchon est contesté, il reste la figure dominante du Front populaire.
A droite, « l’union des droites » profite au Rassemblement national car il est en train de gagner la bataille du leadership au sein du bloc. Le temps semble loin où les sondages plaçaient Valérie Pécresse, Eric Zemmour et Marine Le Pen aux coudes à coudes en début d’année 2022, et que l’ancienne patronne du Rassemblement national subissait des défections de cadres en faveur d’Éric Zemmour. En effet, les dernières élections ont conforté la place prédominante de Marine Le Pen et du Rassemblement national. Ainsi, les européennes ont acté la domination du RN sur la droite en attirant l’ensemble des électeurs de droite qui veulent une rupture avec Emmanuel Macron. En effet, il capte près d’un tiers des électeurs de Valérie Pécresse et plus de la moitié des électeurs d’Eric Zemmour. De plus, la dynamique d’union le renforce puisqu’à la différence du Nouveau Front Populaire, les partis soutiens de l’union nationale (Debout La France, LR-Ciotti, proches de Marion Maréchal) sont davantage des « partis-satellites », au moins pour l’instant, que des alliés aspirant à partager le pouvoir avec le RN s’il était porté à Matignon.
Nouvelle droite contre nouvelle gauche : un duel qui structure le débat public
Nous assistons à un retour de la bipolarisation de la vie politique française autour d’une nouvelle droite dominée par le Rassemblement national et d’une nouvelle gauche alliant gauche extrême et sociaux-démocrates. Ces deux blocs structurent le débat public sur le même modèle que le duel entre l’UMP et le PS naguère pour deux raisons. D’abord, ce sont ces partis qui imposent leurs idées dans le débat public. Le Rassemblement national, en tant que « parti du quotidien » impose dans le débat public les thèmes du pouvoir d’achat, de l’insécurité et de l’immigration tandis que LFI, en tant que parti wokiste et indigéniste, impose ses thèmes et sa grille de lecture à gauche. Du côté droit de l’échiquier politique, une partie des Républicains menée par Eric Ciotti et une partie de Reconquête menée par Marion Maréchal se sont ralliés au Rassemblement national de Jordan Bardella. Ils l’ont fait dans les mêmes conditions que les Verts et les socialistes en 2022, à savoir, sauver quelques circonscriptions, et en se ralliant sans condition au programme du Rassemblement national. De l’autre côté, une partie de la gauche essaie de contester le leadership de Jean-Luc Mélenchon au sein même de LFI et également au sein de l’alliance. Cependant, la victoire idéologique de LFI conduit une grande partie de l’électorat de gauche à le soutenir excepté les sociaux-démocrates situés entre Mélenchon et Macron qui se cherchent une incarnation.
Le duel des nouvelles gauche et droite dominera le débat public, mais ils ne constituent pas encore des blocs majoritaires tant que le macronisme subsistera. En effet, les deux blocs sont encore loin de pouvoir organiser toute la vie politique sur le modèle du duel UMP-PS. En effet, les exemples passés montrent qu’il faut près de 40% des voix au premier tour des législatives pour obtenir une majorité absolue (45,5% des voix pour Nicolas Sarkozy en 2007 et 39,9% pour François Hollande en 2012). Or, le Front populaire est très éloigné de ce score et semblent très loin de les obtenir. Ses seuls réservoirs de voix sont au centre et dans l’abstention sauf que l’électorat centriste rejette fortement LFI et les abstentionnistes sont toujours difficiles à mobiliser. Le Bloc national dominé par le Rassemblement national a un problème différent : son socle électoral est important (entre 31% et 35%), mais l’union des droites est incomplète. Il faut rappeler que le parti gaulliste (RPR) de Jacques Chirac était allié avec les chrétiens-démocrates (UDF) de Valéry Giscard d’Estaing pour constituer une majorité solide. Le Rassemblement national s’est élargi mais pas encore suffisamment pour constituer une majorité stable et absolue.
Le retour du duel gauche droite dépend des circonstances de la mort du macronisme puisque la seule certitude que nous avons depuis le 9 juin dernier est que le macronisme est mort. Première hypothèse : nous assistons à la résurgence d’un autre bloc central autour d’une autre personnalité pour lutter contre les deux « extrêmes ». Deuxième hypothèse : le bloc central devient une force d’appoint pour l’un des deux grands blocs. Troisième hypothèse : nous assistons à la résurrection des deux partis de Gouvernement avec une sociale démocratie et une UMP 2.0 pour arriver à ce que nous avons connu en 2017 ou en 1981 à savoir 4 forces politiques capables de prendre le pouvoir. Réduit au silence par le rejet d’Emmanuel Macron, le macronisme disparaitra ainsi peu à peu du champs politique puisqu’il ne constitue plus une utilité de vote. Cette mort ouvre une nouvelle recomposition de la vie politique à de nouvelles forces d’émerger ou de confirmer leur prise de pouvoir.
William Thay, Politologue et Président du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire
Matthieu Hocque, Directeur adjoint des études du Millénaire
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Crédit photo : Photo de Marine Le Pen à la tribune d’un meeting organisé le 1er juin 2012 à Paris, dans le cadre de la campagne législative du Rassemblement Bleu Marine (RBM). Gauthier Bouchet, sous licence Attribution-Share Alike 3.0 Unported, via Wikimedia Commons
Meeting Mélenchon Parc des expos, Blandine Le Clain, sous licence Attribution 2.0 Generic, via Wikimedia Commons
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