Retrouvez la tribune de William Thay et Clément Perrin dans Les Echos : « Taxe GAFA : supprimons l’exigence d’unanimité en matière fiscale au niveau européen »
Alors que le projet de loi instituant la taxe GAFA est soumis à l’approbation du Parlement ce lundi 8 avril, le débat national va uniquement concerner une partie mineure du problème sans s’attaquer aux enjeux liés à la numérisation de l’économie. Si la mise en place de cette taxe est nécessaire en ce qu’elle vise à répondre à la nécessité de justice fiscale entre les entreprises, il est impératif de lancer le débat d’une révolution fiscale au niveau européen à l’horizon des prochaines élections le 26 mai prochain.
La numérisation de l’économie fait surgir plusieurs difficultés portant sur la répartition entre les pays du droit d’imposer des revenus provenant d’activités transfrontalières à l’ère du numérique ou encore l’optimisation fiscale agressive profitant de la concurrence fiscale entre les États membres (un phénomène accru dans un espace de libre échange comme l’UE). Il s’agit par conséquent de mener une révolution fiscale en s’attaquant aux déficiences de la construction de l’Union économique et monétaire par la suppression de l’exigence de l’unanimité.
Au niveau européen, la taxe GAFA fait resurgir la faiblesse du système fiscal européen avec une disparité fiscale entre les États membres de l’Union européenne. Les géants du numérique profitent à plein de cette disparité pour mettre en place des stratégies de transfert de profits pour réduire leur taux d’imposition. Les taux d’imposition sur les sociétés étant très variables à travers l’Union européenne, les géants du numérique localisent leur siège social et enregistrent la majorité de leurs revenus bénéfices dans les états qui les arrangent, via des échanges dématérialisés et/ou virtuelles entre leurs différentes filiales. Ce système est illustré par deux grands exemples : Google qui héberge la majorité de ses revenus en Irlande et Amazon au Luxembourg.
Au regard des contraintes de vote dans l’UE, avec l’unanimité des membres du Conseil européen requise pour les dispositions d’ordre fiscal, l’Europe a échoué à mettre en place une taxe GAFA commune. En effet, les défaillances de l’Union économique et monétaire ont conduit à la mise en place d’un système entre gagnant (Irlande, Luxembourg, Pays-Bas) et beaucoup de perdant. Sur ce point, les États membres sont à la fois concurrent pour attirer dans leur pays les sièges des sociétés par une baisse importante de leur fiscalité, et solidaire pour s’accorder avec d’éviter un nivellement vers le bas infini de leurs recettes fiscales.
L’échec récent de la mise en place d’une taxe GAFA au niveau européen, interroge à l’avenir sur la viabilité des règles de votes au sein de l’Union européenne avec l’exigence d’unanimité en matière fiscale, avec des États profitant largement des avantages du marché unique mais en conduisant tous les autres États membres à se confronter par une baisse successive de leur imposition au détriment du financement des services publics, du manque d’investissement et du défi du vieillissement de la population qui nécessite ainsi un financement croissant des dépenses sociales notamment de santé et de retraites. Ces deux derniers points concernent principalement les pays européens et notamment la France puisqu’elle est le cinquième pays de l’OCDE pour sa part des dépenses de santé par rapport au PIB (8,70% contre une moyenne de 6,50) et le troisième concernant ses dépenses de retraite par rapport au PIB (13,90% contre une moyenne de 7,50%)
Le contexte de crise sociale dans l’ensemble des pays européens avec à la fois une contestation accrue des partis de gouvernement classique conjuguée à la montée des mouvements populistes et le rejet progressif de la construction européenne actuel appelle à une réflexion sur les règles budgétaires européennes pour plus d’efficacité.
L’élargissement continue de l’UE rend impossible l’application du principe d’unanimité en matière fiscale provenant du Compromis du Luxembourg négocié par le général de Gaulle lors de la politique de chaise vide. En effet, lors de la négociation de cet accord, il n’y avait que les 6 pays fondateurs (France, Allemagne, Italie, Benelux), et non 28 États membres comme aujourd’hui. Cette situation doit conduire à mettre en place une majorité qualifiée (en prenant une proportion de pays représentant une proportion des citoyens européens) en matière fiscale.
Cette réforme du droit de vote est nécessaire afin de poursuivre une avancée européenne vers une plus grande justice fiscale avec notamment une lutte accrue contre la fraude fiscale. En effet, selon la Commission européenne, la fraude fiscale couterait chaque année 1000 milliards d’euros aux États membres et entre 60 et 80 milliards pour la France (ce qui permettrait par exemple d’éliminer le déficit public ou supprimer l’impôt sur le revenu intégralement). Seulement, l’exigence d’unanimité conduit certains États à en profiter pour attirer les capitaux en se prévalant de la règle pour empêcher toute réforme. Il s’agit d’un point crucial de la prochaine mandature au niveau européen, sans quoi, l’UE démontrera en effet qu’elle est incapable d’agir pour le bien commun.
Dans un contexte de mouvement des Gilets jaunes et d’euroscepticisme croissant, un changement au niveau européen répondrait partiellement au malheur français. En effet, comme le soulignait Marcel Gauchet dans son ouvrage, « Comprendre le malheur français », une partie de ce malheur repose sur l’impuissance de l’État dû à la mondialisation et à la construction européenne qui ne permettent pas de redonner à la France un pouvoir de décision sur les enjeux mondiaux. Une révolution fiscale permettrait alors de répondre de manière efficace à ces problèmes en faisant valoir notre conception de la justice fiscale par l’intermédiaire de nos leviers européens.
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Crédit photo : Commission européenne par Pixabay free image sous licence CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons
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