William Thay, Emeric Guisset et Clément Perrin dans Marianne : « Trump aura déjà réussi à faire muter le monde vers une nouvelle ère »

Pour William Thay, Clément Perrin et Emeric Guisset, du think tank Millénaire, quel que soit le résultat des élections américaines, une nouvelle ère est ouverte et l’Union européenne doit s’y adapter.

Aujourd’hui, les États-Unis se prononcent pour reconduire ou non Donald Trump à la tête de la maison blanche. Mais quel que soit le résultat, le président américain aura déjà réussi à muter son pays, l’Occident et même le monde vers une nouvelle ère. C’est une véritable seconde révolution conservatrice qui est à l’œuvre, qui modifie les relations entre les nations, notre rapport à la mondialisation avec le retour des États nations forts. Pour s’assurer une place de choix dans le concert des nations, l’Europe doit comprendre les changements profonds qui sont en cours et ne peut pas faire l’économie d’une véritable remise en question.

LA FIN DU NÉOLIBÉRALISME

Dès les années 80, Donald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni ont orienté l’Occident vers les thèses de Friedrich Hayek et Milton Friedmann et mettent en œuvre la première révolution conservatrice. Le néolibéralisme est parvenu à atteindre son objectif : élever le niveau de vie moyen des populations. Le PIB mondial a été multiplié par 4 entre 1980 et 2020 alors que sur la même période la population mondiale a à peine doublé. Pourtant, dans le même temps, les inégalités se sont accrues et les tensions sociales exacerbées. L’ère néolibérale, glorifiant les libertés individuelles d’un citoyen devenu seulement un consommateur, aura aussi participé au désenchantement du monde. Les indicateurs financiers deviennent prioritaires lors des arbitrages et provoquent des comportements économiques parfois contraires aux intérêts de la nation.

Depuis le début du millénaire, nous vivons l’automne de cette mondialisation qui n’est plus adaptée aux enjeux de son temps. La paupérisation des classes moyennes remet en question la stratégie de délocalisation de l’appareil productif occidental vers les pays en développement pour en assurer le maintien du pouvoir d’achat. Alors que le néolibéralisme annonçait la fin de l’Histoire, un monde sans guerre où les échanges économiques garantiraient la paix, un triple événement va faire basculer le monde dans une nouvelle ère. Le 11 septembre va faire prendre conscience à l’Occident qu’il n’en a pas fini avec les conflits qui fabriquent l’Histoire. La crise de 2008 va ensuite remettre en question les fondements mêmes de l’économie de marché et la répartition des revenus. En révélant la fragilité et l’impuissance occidentale à faire face à une crise majeure, c’est finalement la crise du coronavirus qui sonne le glas de l’ère néolibérale.

TRUMP : LE FONDATEUR DE LA NOUVELLE ÈRE

À la tête de la première puissance occidentale, Donald Trump a fait basculer le monde dans cette nouvelle ère économique et stratégique. Avec un « America First », les États jouent un rôle central dans cette nouvelle ère conflictuelle. Le retour d’un État fort et stratège, incarné par le slogan « Make America Great Again », répond à une volonté des peuples de reprendre en main leur destin face aux échecs de la mondialisation à gérer les crises de 2008 et 2020. Économiquement, redevenir maître de son destin se caractérise par la mise en œuvre de processus de relocalisation et la fin d’un libre-échange caractérisé par une concurrence faussée et déloyale.

Sur le plan diplomatique et géopolitique, Donald Trump a tourné le dos à l’ »impérialisme américain » des néoconservateurs, pour adapter les États-Unis à l’ère des Etats-nations comme puissance régionale. Nous observons le retour d’états, comme la Chine, l’Inde, la Turquie ou la Russie, qui agissent comme de véritables acteurs stratégiques dans leur zone d’influence, et qui font évoluer leur administration d’un simple rôle de régulateur de l’économie à un rôle de soutien total de leurs intérêts. Donald Trump utilisent ainsi tous les leviers possibles pour soutenir ses acteurs économiques (politique budgétaire, monétaire, commerciale et judiciaire avec l’extraterritorialité). Cette mutation est symbolisée par la crise entre les États-Unis et la Chine, où tous les coups ont été permis pour défendre des entreprises comme Microsoft ou Huawei.

NOUVELLE ÈRE : UNE CHANCE POUR EN FINIR AVEC UNE EUROPE IMPUISSANTE

L’Union européenne semble être la grande perdante de cette nouvelle donne mondiale. En effet, sans volonté européenne franche de s’armer adéquatement pour entrer dans cette nouvelle ère, déchirée entre Chine et États-Unis, nous allons vraisemblablement sortir de l’Histoire. Prisonnière de ses théories néolibérales, l’Europe semble bloquée dans la position du spectateur d’un monde en mutation. Incapable d’imposer des protections à ses frontières, le marché commun se retrouverait coincé entre d’un côté les exportations chinoises qui menacent nos producteurs par une concurrence souvent déloyale et de l’autre côté par les mesures américaines si notre balance commerciale restait bénéficiaire.

Pour faire cette révolution l’Europe doit réussir à réconcilier deux visions. Celle portée par les pays du Nord, d’une zone de prospérité économique, mais qui nécessite une industrie puissante que seule l’Allemagne a su véritablement conserver. Et l’autre française qui a une visée davantage politique et stratégique et qui compte utiliser l’UE comme un acteur stratégique capable de soutenir les intérêts de ses États membres ainsi que protéger les menaces qui pèsent sur elle. L’objectif est de concilier la vision nordique et française pour disposer d’un Europe politique et économique apte au combat sur la scène mondiale.

Sur le plan pratique, il s’agit ainsi de développer les atouts européens : faire de l’euro une arme monétaire pour rompre avec la suprématie du dollar, faire du droit continental la référence dans les affaires, et un modèle de vie fondé sur une économie prospère et durable pour faire émerger la dimension environnementale héritée des Accords de Paris. La prise en compte de cette dimension, et de la crise du Coronavirus nous oblige également à basculer d’un modèle focalisé sur la seule consommation vers un modèle équilibré entre la production et la défense des intérêts des consommateurs, permettant de favoriser l’emploi et limiter notre dépendance tant vis-à-vis de la Chine que des USA.

Par mépris intellectuel pour Ronald Reagan, la France a manqué son entrée dans la mondialisation dans les années 80. Pour rompre avec les quarante piteuses, la France doit jouer le rôle de locomotive d’une Europe en état de mort cérébral incapable d’avoir une orientation économique viable et absente de la scène internationale. Pour renouer avec les jours heureux, l’Europe doit à tout prix prendre la mesure de cette mutation et enfin agir en acteur stratégique.

Crédit photo : Gage Skidmore, CC BY-SA 2.0

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