FIGAROVOX. – Vous expliquez dans votre dernière note La Révolution Trump que la stratégie américaine de confrontation face à la Chine n’est pas prête de changer, même en cas d’élection de Joe Biden. Qu’est-ce qui vous pousse à affirmer cela?
William THAY – La confrontation entre les deux pays est principalement due à la position dominante américaine et à la montée en puissance de la Chine, qui veut contester cette suprématie acquise depuis la fin de la Guerre froide. Le Congrès du Parti Communiste chinois a fixé un mandat à Xi Jinping pour que la Chine retrouve son statut de première puissance mondiale, perdu depuis les guerres de l’Opium. Dans cette concurrence, la confrontation est inévitable, et ce quel que soit le Président américain élu.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le pivot américain vers l’Asie a déjà été acté par Barack Obama en 2011 alors que Joe Biden était Vice-Président, surtout sur les plans militaires et diplomatiques. Depuis, et aussi sous l’influence de Donald Trump qui a étendu la confrontation à la sphère économique et commerciale, c’est toute la technostructure démocrate qui a changé d’approche face à la Chine. Ainsi, avec Joe Biden, ce sont plutôt le style de l’affrontement, l’intensité et les moyens utilisés qui changeraient.
La question de la Chine est devenue centrale aux yeux des américains, et les démocrates ne pourraient donc pas mener une politique considérée comme faible vis-à-vis de la Chine, sinon ils finiraient comme Jimmy Carter, perçu comme faible face à l’Iran. D’autant plus que la classe moyenne blanche paupérisée de la Rust Belt (région industrielle du Nord-Est des États-Unis), victime des délocalisations vers l’Asie, était celle qui avait fait l’élection de Donald Trump en 2016, et représente toujours un poids électoral très important.
Les élections ont lieu ce soir. Votre rapport, publié dimanche dernier, explique que Trump peut encore gagner, malgré des sondages globalement défavorables. Pourquoi?
Les sondages placent toujours Joe Biden comme favori, toutefois il y a trois points qui expliquent que Donald Trump pourrait remporter l’élection. D’abord, Donald Trump bénéficie d’une dynamique en cette fin de campagne qui pourrait lui permettre de l’emporter puisque l’écart s’est réduit dans les derniers jours. En effet, selon le site RealClearPolitics qui effectue la moyenne des sondages, l’avance de Joe Biden est passée sur le plan national de +10,3 points à +6,5 points la veille du scrutin.
Ensuite, le système américain est particulier puisqu’il s’agit d’un suffrage universel indirect, où ce sont les 538 grands électeurs choisis dans chaque État qui choisissent le président des États-Unis. Or, dans chaque État, le candidat en tête rafle la totalité des grands électeurs (sauf dans deux petits États). Ainsi, le président sortant n’a pas besoin de gagner le vote populaire (il avait perdu le vote national de 2 points en 2016), et les sondages nationaux n’éclairent qu’imparfaitement la véritable situation. Trump pourrait très bien perdre le suffrage de 4 à 5 points et quand même être réélu s’il l’emporte dans les États clés. Dans ces «swing states» qui peuvent basculer d’un côté comme de l’autre, les sondages se resserrent dans la marge d’erreur.
Enfin, l’analyse des sondages et des données nous permettent d’établir des scénarios de victoire pour Donald Trump. Pour cela, il est presque obligé de l’emporter dans tous les États suivants: la Géorgie, l’Ohio, le Texas, la Floride, la Caroline du Nord, l’Iowa et l’Arizona. Les sondages placent le président sortant soit en tête dans ces États soit à moins d’un point de Joe Biden. En cas de respect de cette condition, il lui suffirait alors de remporter un État de la Rust Belt (Minnesota, Michigan, Wisconsin ou la Pennsylvanie) pour gagner l’élection.
On voit mal qui pourrait incarner le «trumpisme» après Trump. L’héritage intellectuel de Trump peut-il réellement perdurer au sein de la droite américaine?
Comme Ronald Reagan dans les années 80, Donald Trump, avec la seconde révolution conservatrice, ouvre une nouvelle ère pour la droite mais également pour la gauche américaines. Depuis la Seconde Guerre mondiale, nous assistons à une troisième mutation. La première a commencé avec les thèses keynésiennes imposées par Roosevelt et son New Deal qui ont eu un impact non seulement sur les États-Unis mais également dans tout le monde occidental sur le développement de l’État providence. Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont ensuite mis à mal les thèses keynésiennes et Ronald Reagan et Margaret Thatcher ont alors enclenché la seconde mutation vers l’ère néolibérale et libre-échangiste qui s’est poursuivie y compris sous les administrations Clinton et Obama.
En raison du système électoral américain qui donne un poids important aux États de la Rust Belt désindustrialisé, il semble compliqué pour tout prétendant à la Maison Blanche de revenir sur la logique notamment économique de Donald Trump de mettre tous les moyens de l’État (politique budgétaire, monétaire, judiciaire avec l’extraterritorialité) au service des agents économiques. On le voit notamment dans la campagne de Joe Biden qui a fait le lien entre son programme de la primaire et celui de Bernie Sanders.
L’équilibre mis en place dans les années 80 consistant à transférer une partie de la production vers les pays émergents pour préserver le pouvoir d’achat des classes moyennes ne tient plus, comme le démontre la crise sanitaire. Ainsi Donald Trump n’a pas uniquement bouleversé la droite américaine mais également la gauche pour faire passer le monde dans une nouvelle ère, qui est la troisième mutation.
Selon vous, le succès de Trump ouvre une «possibilité pour la droite [française] de retrouver un espace et un projet politique» Quels enseignements la droite française peut-elle réellement tirer du phénomène Trump?
La droite française doit comprendre d’abord que nous sommes entrés dans une nouvelle ère. Comme l’explique le philosophe Marcel Gauchet, «le malheur français» s’explique par les mauvaises conditions dans lesquelles la France est entrée dans la mondialisation, ce qui a conduit aux «quarante piteuses» entre 1980 et aujourd’hui. La France ne peut pas se permettre de rater son entrée dans la nouvelle ère qui s’ouvre sous les mêmes prétextes que dans les années 80, c’est-à-dire en raison d’un mépris intellectuel pour le président américain.
Or, dans cette nouvelle ère, Emmanuel Macron apparait comme le président de l’ère précédente, néo-libérale, comme François Mitterrand l’était en son temps pour l’ère keynésienne. Face au retour des états-nations forts, la crise de la Covid-19 et celle des Gilets jaunes, son logiciel politique n’est plus pertinent puisqu’il était celui de l’ère précédente. Pour reprendre son expression, il est le président d’un monde en état de mort cérébrale.
Face à l’incapacité de Marine Le Pen à constituer une alternance viable, la droite française peut s’inspirer des recettes de Donald Trump pour concilier la valeur fondamentale de liberté avec la nécessité de protection. Il s’agit ainsi d’une offre politique prometteuse pour la droite puisqu’elle permet non seulement de gagner des élections à nouveau, mais surtout de permettre à la France de retrouver un horizon plus en phase avec sa conception du rôle de l’État stratège et son souhait de grandeur.
Par William Thay, Président du Millénaire
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Crédit photo : Donald Trump par NASA HQ/Bill Ingalls, CC BY-NC-ND 2.0
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