Pierre Clairé pour Valeurs Actuelles : « Vers un Parlement européen penchant à droite ? »

TRIBUNE. À en croire les intentions de vote, les députés de droite au Parlement pourraient obtenir plus de 340 sièges, un score historique. S’ils gagneront en influence, ils ne pourront pas révolutionner les institutions, analyse Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaire et spécialiste des questions européennes et internationales.

Les résultats des élections européennes, qui se tiennent du 6 au 9 juin, sont attendues avec impatience tant ils pourraient chambouler l’échiquier politique européen. Depuis de longs mois, les différents sondages réalisés promettent une montée en force de la droite au sein du Parlement. Ainsi, avec un Parlement penchant à droite, l’Union européenne pourrait vivre les prémices d’une révolution conservatrice qui se traduirait par une nouvelle ligne politique ou encore par un pouvoir de nuisance dans les nominations des « Tops Jobs ».

Les Européens regardent vers la droite

La poussée des partis de droite est indiscutable en Europe. De nombreux partis politiques de droite sont récemment arrivés au pouvoir, soit en remportant les élections seuls, soit dans le cadre de coalitions d’union des droites. La perspective d’unions des droites a ouvert les portes du pouvoir à de nombreuses formations de droite radicale et d’extrême droite comme le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni. À cette victoire retentissante, on peut ajouter les victoires de la droite en Finlande, où l’extrême-droite est entrée au gouvernement après avoir aidé les forces conservatrices à infliger une défaite à l’égérie de la social-démocratie Sanna Marin, ou en Suède, où l’extrême droite soutient le gouvernement de droite sans pour autant y participer. La dernière victoire en date est à mettre au crédit du PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, qui a réussi à former un gouvernement avec l’aide de partis de droite, après les élections de novembre dernier.

Ces victoires électorales sont le résultat d’une droitisation des électorats européens. Cette droitisation des Européens puise ses ressorts dans trois dynamiques. Tout d’abord, les peuples européens sont demandeurs de protection face aux crises traversées par l’Europe (crise économique et financière de 2008, crise migratoire de 2015, etc.) (1). Or, le logiciel européen néolibéral et fédéral est jugé faible par les opinions publiques européennes pour enrayer le déclassement et l’affaissement civilisationnel. Selon les enquêtes d’opinion, les formations d’extrême-droite et de droite nationale et souverainiste sont celles qui sont jugées les plus crédibles pour apporter des réponses à ces enjeux. Ensuite, les droites libérales et modérées ont opéré des révolutions internes pour s’adapter à cette nouvelle donne (2). Sur le plan tactique, l’union des droites n’est plus un tabou et sur le plan technique, elles n’hésitent plus à proposer des remèdes proches des droites nationales sur les questions migratoires ou sécuritaires. Enfin, l’institutionnalisation de ces partis (la présence de 89 députés RN) voire les expériences de gouvernement local (Vox en Espagne) ou national (Italie, Pologne) offrent une crédibilité gouvernementale qui a longtemps manqué à ces formations politiques (3).

Des enquêtes d’opinion qui confirment cette tendance

La France ne déroge pas à cette règle, même si le centre-droit incarné par les Républicains n’est pas en grande forme. Le RN caracole en tête des sondages en vue des Européennes étant donné structurellement au-dessus des 30% d’intentions de vote, ce qui constituerait le deuxième plus gros score électoral aux européennes après la liste d’union UDF-RPR de Simone Veil. La liste Bardella est portée par trois carburants électoraux. Premièrement, le RN incarne désormais le parti de l’ordre face à Renaissance qui symbolise le désordre dans les comptes publics et LFI qui symbolise le désordre dans la rue. De plus, à droite, le RN est devenu le parti du quotidien des Français alors que Reconquête parle de l’avenir de la civilisation et LR de son expertise technique et programmatique. Enfin, le parti à la flamme incarne également le vote sanction contre Emmanuel Macron dans une élection de « mi-mandat » et dont les thèmes ont été largement nationalisés. Ainsi, le 9 juin, le RN, pourrait casser le « double plafond des 30 » (30% et 30 députés, records européens) .

Au niveau européen, les sondages ouvrent la perspective des prémices d’une révolution conservatrice. Selon le dernier baromètre Europe Elects, les seuls groupes du PPE (droite modérée), CRE (droite conservatrice) et ID (droite souverainiste) regrouperaient près de 46% des intentions de vote des Européens. Même s’il est complexe de définir des estimations viables pour ce scrutin, devant la multiplicité des pays et des lois électorales, il est très probable que la somme des députés de droite au Parlement dépasse le seuil des 340 sièges, un record pour ce Parlement historiquement dominé par les forces libérales et de centre. Le Parti Populaire Européen (PPE) de centre-droit devrait encore être le premier en nombre de députés avec approximativement 180 sièges, suivent le parti des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) de Giorgia Meloni, à qui les sondages promettent approximativement 80 députés, enfin le parti Identité et Démocratie (ID) de Marine Le Pen est crédité de 70 députés. À cela, il faut ajouter les sièges des non-inscrits du Parlement, comme le FIDESZ de Viktor Orban, dont les voies sont extrêmement convoitées.

Un nouvel équilibre politique à Bruxelles ?

Les peuples européens qui aspirent à un virage à droite ne seront pas à 100% comblés par cette nouvelle Union européenne, mais des avancées notables auront lieu. En effet, cette droitisation des électorats européens replace le barycentre de l’Europe entre la droite modérée et la droite conservatrice. Ainsi, Giorgia Meloni ou dans une moindre mesure Viktor Orbán, qui ont dû renoncer à leurs ambitions face à la machine bruxelloise disposeront d’un capital politique encore plus fort au sein des institutions européennes avec ce nouveau Parlement. C’est pourquoi Giorgia Meloni est devenue un interlocuteur de choix pour Emmanuel Macron, Ursula Von der Leyen ou Manfred Weber, chef de file du PPE au Parlement. Ainsi, cela emporte deux conséquences. D’une part, le probable bon score de la droite pourrait permettre la nomination de nombreuses figures de la droite à des postes clés voire à influencer la nomination des « top jobs » de l’Union européenne. D’autre part, les droites souverainistes et nationales obtiendront une minorité de blocage au Parlement Européen si elles parviennent à convertir en voix les 20% et 25% d’intentions de vote.

Pourtant, une dernière incertitude reste à lever sur les droites européennes : leurs divisions. En effet, nous sommes encore loin de l’union des droites voulue par certains. Devant une Meloni gagnant en importance, Marine Le Pen a tenté de se rapprocher de la présidente du conseil italien, en espérant former avec elle un « super-parti » de droite conservatrice au Parlement, afin de mieux peser. Meloni ne semble pas enchantée par l’idée, qui lui ferait perdre sa place centrale, en lui ôtant un parti à sa droite qui pourrait servir de repoussoir ultime. Les divisions se ressentent à trois niveaux : au niveau interne des partis politiques nationaux (en France, il existe plusieurs lignes au sein de Reconquête ou de LR), au niveau des groupes du Parlement européen (les délégations nationales ont du mal à se coordonner au sein du PPE ou même d’ID entre les partisans du super-groupe et ceux de l’autonomie) et enfin entre les trois groupes PPE-CRE-ID où aucune majorité de droite ne peut émerger. De même, l’ajout des députés non-inscrits de droite (la délégation soutenue par Orban) n’y changerait pas grand-chose, mais rajouterait de la complexité à cet édifice pour le moins bancal.

A défaut de pouvoir mener une révolution conservatrice au sein de l’Europe, les droites européennes auront un pouvoir de nuisance fort jusqu’au choix de la Commission européenne sans pour autant avoir accès aux fameux « Top Jobs ». En 2019, la gauche et les écologistes avait été nécessaire à von der Leyen pour parvenir à la présidence de la Commission, cette année cela pourrait ne pas être le cas, ce qui constitue déjà une bonne nouvelle pour les Européens.

Pierre Clairé, directeur adjoint des études du Millénaire et spécialiste des questions européennes et internationales

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Crédit photo : Meeting with the President of the Council of Ministers of the Italian Republic in Kyiv, President of Ukraine, sous licence CC0 1.0 UNIVERSAL, via Flickr

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