William Thay pour l’Express : « Trois étapes pour basculer vers une économie de guerre à la française »

Tribune. Le président du think tank le Millénaire voit dans le soutien militaire à l’Ukraine la condition du renouveau industriel de la France.

L’Europe est coincée dans un paradoxe : jamais ses dirigeants n’ont autant mis en avant la réindustrialisation et pourtant notre production industrielle a diminué de 2% en 2023. Nous n’arrivons pas à joindre les actes aux paroles car il manque un cap et un leadership européen clair. La France aurait tout intérêt à se distinguer en proposant un cap à l’Europe : transformer notre économie en économie de guerre pour soutenir l’effort de guerre ukrainien et parvenir à réindustrialiser l’Europe.

Notre économie est en ruine

La France est l’homme malade de l’Europe. En nous réfugiant systématiquement derrière l’Etat pour gérer chaque crise, notre système fondé sur le déficit et l’endettement est bout de souffle. Avec un déficit public à hauteur de 5,6% du PIB contre une moyenne à 2,8% dans l’Union européenne en 2024, nous dépensons et prélevons plus que nos voisins européens. Pourtant, nos résultats sont moins bons : nos services publics essentiels ne sont pas meilleurs, il n’y a pas moins de pauvres chez nous que dans le reste de l’Europe et nous n’investissons pas plus qu’ailleurs dans la réindustrialisation ou la transition écologique. Cette folie dépensière a ruiné nos finances publiques au point que la France soit devenue un fardeau pour l’Europe. En effet, elle pèse 22% de la dette publique des États-membres de l’Union européenne.

La ruine de notre économie est symbolisée par notre désindustrialisation. En 1980, l’industrie représentait 24% du PIB contre moins de 13% en 2019, s’illustrant par une perte de 2 millions d’emplois industriels. Or, l’industrie est une des clés pour gagner les batailles du plein-emploi et du commerce international, mais également pour résister aux crises exogènes comme des pandémies ou des guerres. En effet, pendant la crise sanitaire, nous avons dû réexpérimenter pour la première fois depuis 1945 le redéploiement industriel en urgence. Or, si les Etats est-asiatiques, les Etats-Unis ou encore l’Allemagne ont mis quelques semaines à redéployer leur tissu industriel vers des productions essentielles (masques, gel hydroalcoolique, fournitures hospitalières), la France a mis en moyenne plus d’un an à y parvenir, voire est restée dépendante d’importations pour de nombreux biens.

La France doit prendre les devants

Basculer en économie de guerre ne se fera pas en quelques semaines, mais il est urgent de commencer maintenant. L’Ukraine est en train de perdre la guerre malgré un important soutien militaire occidental, notamment américain, alors que celui-ci pourrait s’amoindrir en raison de la présidentielle américaine et des pressions de l’opinion publique américaine à rediriger l’aide vers les ménages américains. Cela emporterait deux conséquences pour la France et l’Europe : il faut augmenter massivement le soutien à l’Ukraine pour inverser le cours du conflit (1) et il faudra se préparer à se substituer à l’aide militaire américaine qui pourrait s’arrêter avec la victoire de Donald Trump à la fin de l’année (2). Autrement, nous sommes condamnés à voir Vladimir Poutine accomplir ses objectifs de guerre : conserver 20% du territoire ukrainien via des Républiques fantoches et neutraliser l’Ukraine.

La France doit prendre les devants car elle est le seul pays européen capable de le faire rapidement. Nous disposons de trois atouts pour opérer une transition vers une économie de guerre : la production énergétique avec notre parc nucléaire pour soutenir l’augmentation de la production industrielle, notre complexe militaro-industriel exportateur qui a conservé nos savoir-faire et enfin notre production agricole, notamment céréalière, qui doit nous prémunir des risques de pénuries liées à la mise en place d’une économie de guerre. Seulement, cela ne suffit pas. En effet, dans une France davantage industrialisée et agricole, Blum et Daladier ont mis 2 ans et demi à basculer en économie de guerre. Or, l’Ukraine ne peut se permettre d’attendre autant.

Comment basculer en économie de guerre ?

La France a survécu aux crises, aux guerres et aux occupations, nous pouvons faire mieux que Blum et Daladier. Pour cela, il ne suffit pas de décréter « produire plus et plus vite », mais mettre en œuvre une stratégie en trois étapes pertinentes pour y parvenir.

Première étape, nous devons créer les conditions d’une montée en charge de la production industrielle. Nous ne pouvons pas créer une économie de guerre dans un pays qui a plus besoin de juriste et de fiscaliste plutôt que d’ingénieurs et d’industriels. Cela passe par lever trois verrous : la fiscalité, les normes et le temps de travail qui ont rendu notre industrie moins compétitive et ont été responsables de la désindustrialisation. Par exemple, il serait judicieux : de porter l’effort militaire à 3% du PIB et de lever des contraintes réglementaires empêchant les banques françaises de prêter aux industriels de défense ; d’opérer un choc de simplification sur les normes industrielles ; et d’autoriser des augmentations de temps de travail à 42h dans des secteurs clés.

Deuxième étape, nous devons cibler les secteurs industriels clés pour soutenir un effort de guerre. Or, en France, ils sont tous en crise. Notre production s’est effondrée dans le textile (-51% depuis 2000) pourtant nécessaire pour les uniformes ; dans le raffinage (-34% depuis 2000) nécessaire pour le déplacement de troupes ; ou encore dans l’automobile (-28% depuis 2000) nécessaire pour fabriquer des véhicules motorisés, des blindés et des ambulances. Pour réussir cette transition, il nous faut facilement convertir des usines par proximité sectorielle.

Dernière étape, nous devons opérer une montée en gamme technologique au niveau industriel et au niveau de l’armée. Basculer en économie de guerre supposera de relancer de notre R&D. Or, chaque milliard d’euros investi dans l’industrie de défense génère 2 milliards d’activité (PIB) supplémentaire au bout de 10 ans et permet d’aboutir à des innovations de rupture au bénéfice de la société dans de nombreux domaines (robotique, GPS, médecine, etc.).

Mettre en œuvre une économie de guerre à la française conduira à libérer toutes les énergies du pays pour produire plus. Ainsi, nous ferons d’une pierre deux coups : nous sauverons l’Ukraine de la Russie et nous sauverons notre économie de la ruine.

William Thay, Président du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire

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Crédit photo : caesar, self-propelled howitzer, self-propelled howitzer, operational group « vagram », Antanasc, sous licence CC BY-NC 4.0 DEED, Attribution-NonCommercial 4.0 International

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