Pierre Clairé pour Valeurs Actuelles : « Législatives en Argentine : Milei conspué, Milei décrié, mais Milei libéré »

TRIBUNE. Pierre Clairé*, directeur adjoint des études du think tank Le Millénaire et spécialiste des questions internationales et européennes, analyse les ressorts de la victoire du président argentin Javier Milei aux élections législatives de mi-mandat et les prochaines étapes de sa politique de rupture libérale.

Les législatives du 26 octobre ont fait office de référendum sur la stabilisation : poursuivre l’ajustement et consolider le pouvoir de veto, ou risquer un retour au mix de politiques d’avant-2023. Les électeurs ont choisi la continuité, offrant à La Libertad Avanza (LLA) de Javier Milei une première place au-delà de 40 % au niveau national, une performance solide dans la province de Buenos Aires, et suffisamment de sièges pour protéger les vetos présidentiels et les décrets. Ce n’est pas un chèque en blanc, mais bien un mandat pour continuer.

Milei gagne en dynamique et déjoue les sondages

Deux faits structurent le résultat. D’abord, le score : avec approximativement 40,7 % au niveau national, LLA devance une opposition péroniste fragmentée (un peu au-dessus de 30 %) et réalise une percée dans la province de Buenos Aires, où des comptages fiables placent LLA autour de 41–42 %, renversant un bastion péroniste historique qui l’avait sanctionné en septembre. Ensuite, l’arithmétique parlementaire : LLA remporte 64 des 127 sièges en jeu à la Chambre ; combiné aux alliés existants, cela hisse le gouvernement au-dessus du tiers nécessaire pour protéger les décrets et maintenir les vetos face à une majorité des deux tiers. Le Sénat s’est aussi déplacé en sa faveur, sans basculer. Résultat : un Congrès plus gouvernable, avec LLA première minorité et un Milei renforcé qui peut continuer les réformes.

Début octobre, les différents sondages et analystes parlaient encore d’un duel serré, en avertissant que la défaite provinciale du 7 septembre à Buenos Aires pouvait annoncer un revers national. À l’arrivée, la progression de LLA au-delà du seuil d’un tiers, objectif affiché de la soirée et baromètre de la gouvernabilité, a déjoué la dérive des sondages et transformé un objectif défensif (préserver le veto) en objectif offensif (imposer l’agenda depuis une première minorité renforcée). Politiquement Milei sort renforcé de cette élection, il déstabilise l’opposition péroniste, qui doit se remettre en question après une défaite dans ses bastions historiques.

Un Milei moins radical (changement de méthode) face à une opposition incohérente

En fin de campagne, Milei a donné l’assurance que l’ère présidentielle et le gouvernement par décrets était révolu. Cela a rassuré et montré qu’un cap clair était fixé, cela s’est traduit par un pacte de fait LLA–PRO (alliance avec le centre droit) qui s’est consolidé : listes coordonnées et messages harmonisés dans les circonscriptions clés, exposition de Patricia Bullrich et d’autres figures du centre-droit, signaux explicites qu’après le vote la gouvernance mêlerait priorités libertariennes et importance donné au processus institutionnel. 

Cela prépare une “deuxième étape” du mandat Milei avec de nouvelles réformes qui font consensus. Cela devrait être séquencé sur : (1) l’énergie avec la normalisation tarifaire, les cadres d’investissement à moyen terme ; (2) le travail : incitations à la formalisation, réforme des indemnités, filières d’apprentissage ; (3) les entreprises publiques : gouvernance, privatisations ciblées ; (4) les transferts fédéraux : règles stables de dotation aux provinces. Politiquement, le signal est clair : la rhétorique de la tronçonneuse laisse place à l’ingénierie de coalition, ce qui réduit la prime de risque que les électeurs associent à la vitesse des réformes. Milei est devenu un politicien et plus pragmatique, et cela a rassuré… 

Face à cela, le péronisme s’est divisé entre Fuerza Patria (niveau national dominé par Cristina Fernandez) et des marques provinciales (comme Kicillof en Province de Buenos Aires), oscillant entre l’anti-ajustement maximaliste et un pragmatisme ponctuel. Cette fragmentation a comprimé la participation dans les fiefs électoraux et brouillé le message national (relief de l’inflation vs douleur sociale) au moment où LLA martelait un contraste simple. Il se présentait avec des alliés stables alors que l’opposition n’était ni clair sur son incarnation ni sur son offre politique. Le résultat fut sans appel un peu plus de 30 % au national et perte d’élan dans la province de Buenos Aires et d’autres fiefs. Tant que l’opposition ne rebâtit ni banc de leaders ni alternative crédible, elle négociera en position de faiblesse, circonscription par circonscription.

Le peuple a clairement validé Milei et ses réformes

Le succès de LLA tient à une stabilisation livrée et un message clair. L’inflation annuelle, explosive fin 2023, a nettement reculé en 2025, avec des taux mensuels à un chiffre dès le milieu d’année contre plus de 200% avant l’arrivée au pouvoir de Milei ; le Trésor a affiché le premier excédent primaire en plus d’une décennie ; et la balance commerciale est repassée fortement dans le vert. Cela va s’accentuer avec un soutien des marchés financiers ainsi que celui des États-Unis par l’intermédiaire des aides de Donald Trump. Ce sont autant de raisons pour les classes moyennes et les provinces exportatrices de continuer le traitement de choc de Javier Milei, plutôt que de risquer un retour en arrière.

Malgré l’élan mileiste, cette victoire doit être nuancée par un mode de scrutin particulier où  aucune force ne détient la majorité absolue. Le caucus élargi de LLA peut défendre décrets et vetos, mais pour voter les lois ordinaires il faudra des coalitions au cas par cas. Cette coalition pourra regrouper aussi bien le PRO naturellement, des péronistes non-kirchnéristes et des blocs provinciaux comme partenaires de bascule. Le plus probable est que le Gouvernement commence sur des sujets transpartisans comme la fiabilité énergétique, la création d’emplois formels et séquencer les privatisations sensibles pour éviter l’affrontement frontal. Milei va être aidé par une opposition en recomposition et en crise de leadership après un revers dans ses bastions. À l’international, la poursuite de l’appui américain dépendra de la prévisibilité de la situation politique.

Les électeurs ont validé une direction (discipline budgétaire, déréglementation, priorité anti-inflation) en soutenant massivement LLA qui obtient la majorité des sièges en jeu. Cela s’explique par l’évolution de Milei, de l’iconoclaste afueriste au chef d’orchestre de coalition, conjuguée à l’incapacité de l’opposition à formuler une contre-offre politique cohérente. Cependant, le mandat est conditionnel : Milei a obtenu un soutien pour poursuivre sa politique mais il doit prendre en compte une situation politique où il ne peut gouverner seul. Ainsi, il doit avancer sur sa ligne politique tout en restant suffisamment pragmatique pour ne pas être vu comme un idéologue.

Pierre Clairé, directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes, auteur du rapport « Pourquoi Javier Milei gagne en Argentine ? »

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Crédit photo : Javier Milei will Argentinien mit massiven Deregulierungen aus der Krise ziehen, de EMILIANO LASALVIA, via Heute, sous licence CC BY 4.0.

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