Les élections anticipées en Allemagne pourraient marquer un tournant non seulement pour le pays, mais aussi pour l’Union européenne. Jadis pilier de stabilité et de prospérité économique, l’Allemagne affronte une crise économique et sociale, une instabilité politique et un chaos migratoire et sécuritaire sans précédent. Une Allemagne ingouvernable pourrait signer la fin de « l’Europe allemande » à un moment où un leadership fort est plus que jamais nécessaire.
Une élection annoncée sans vainqueur
Les élections de dimanche ne devraient pas résoudre les problèmes politiques de l’Allemagne, mais au contraire les aggraver. Depuis le départ d’Angela Merkel, une coalition fragile en « feu tricolore » rassemblant les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les libéraux du FDP gouvernait l’Allemagne. Néanmoins, les tensions internes entre les libéraux tenants d’une ligne pro-business et de rigueur budgétaire ont fait imploser la coalition avec les sociaux-démocrates et les écologistes partisans d’une atténuation du « frein à l’endettement » limitant l’emprunt public à 0,35 % du PIB. De plus, la coalition se dirige vers une claque électorale. Les sondages consolidés donnent un SPD perdant un tiers de son électorat de 2021 (16% vs. 25%), un FDP en perdant plus de la moitié (4-5% vs. 11,5%), seuls les Verts résistent autour de 14% grâce aux électorats des grandes métropoles, mais sans opportunité d’élargissement.
Seulement, l’alternative majoritaire n’existe pas. Plus précisément, elle n’existe qu’au niveau des électeurs et non des partis. En effet, plus de la moitié des Allemands pourraient voter pour un parti de droite : 30% pour la CDU/CSU (droite de gouvernement) et près de 25% pour l’AfD (droite radicale). Seulement, si la CDU/CSU est placée en tête, elle ne disposera pas de majorité absolue. La seule coalition envisageable semble être une alliance forcée soit avec l’AfD, soit avec le SPD. La première alliance est marquée par le cordon sanitaire et la seconde présente la difficulté de ne pas être majoritaire et de nécessiter la présence des libéraux du FDP qui pourraient disparaître du Bundestag s’ils enregistrent moins de 5% des suffrages. En effet, le FDP est le trait d’union par excellence d’une telle architecture. Sans cela, la CDU de Merz sera minoritaire et dans la même situation que François Bayrou.
Le moteur de l’Europe tombe en panne
Longtemps perçue comme le pilier économique de l’Europe, l’Allemagne fait face à une triple crise : économique, industrielle et sociale. Sur le plan économique, le PIB allemand a reculé de 0,3 % en 2023, puis de 0,2 % en 2024. À titre de comparaison, l’Espagne, souvent considérée comme plus fragile, a affiché une croissance de 2,1 % sur la même période. De plus, la production industrielle allemande a chuté de 1,6 % en 2024, en grande partie en raison des coûts énergétiques élevés et de la baisse de la demande en provenance de la Chine, son principal partenaire commercial. Enfin, sur le plan social, l’Allemagne a atteint 6,1% de chômage en janvier 2025, son plus haut niveau depuis 10 ans hors années Covid. Il n’y a plus qu’un point de chômage d’écart avec la France contre plus de 4 points en 2017 !
Une Allemagne instable et ingouvernable affaiblira l’Europe. Pendant des décennies, l’Allemagne a façonné les politiques européennes, qu’il s’agisse de la gestion de la crise des dettes souveraines ou du plan de relance post-COVID. Les débats cruciaux sur les nouvelles règles budgétaires européennes et la défense commune stagnent en raison de l’indécision allemande. Alors que l’Europe doit faire face à des pressions économiques croissantes, à des États-Unis ou une Chine plus agressifs que jamais et à la guerre en Ukraine, l’absence d’un leadership fort en Allemagne entrave la capacité de l’UE à réagir de manière coordonnée. La campagne électorale nationale allemande a monopolisé l’attention de ses dirigeants, qui délaissent ainsi les enjeux européens. Historiquement moteur de l’intégration européenne, l’Allemagne devient un facteur de blocage, privant l’UE de sa boussole habituelle.
La fin de l’Europe allemande ?
Une Allemagne ingouvernable pourrait signer la fin de l’Europe allemande et offrir une opportunité à la France de prendre le leadership de l’Europe. Seulement, cette idée souffre de deux écueils. D’une part, les Allemands ne semblent pas prêts de revenir sur les erreurs qui ont conduit à faire du pays européen le plus puissant, un pays dépendant. Dépendant sur le plan militaire des Américains, dépendant sur le plan économique et commercial de la Chine et dépendant sur le plan énergétique de la Russie. Or, une Allemagne dépendante conduit naturellement le reste des pays européens d’Europe du Nord et de l’Est à suivre ce même chemin néfaste. D’autre part, la France d’Emmanuel Macron est un pays affaibli par une crise politique marquée par une dissolution qui aura coûté un trimestre de croissance économique et une censure qui aura coûté 12 Mds € aux finances publiques. Sans compter qu’Emmanuel Macron espère que l’éventuelle accession de Merz (CDU) à la chancellerie relancera le couple franco-allemand alors que ce dernier soutient l’accord commercial UE-Mercosur.
Avec une Allemagne et une France en difficulté, d’autres pays prennent l’initiative. La Pologne, dont les dépenses militaires atteignent désormais 5% du PIB, s’impose comme un pilier stratégique en Europe de l’Est, notamment vis-à-vis des États-Unis. L’Italie de Giorgia Meloni affiche une croissance dynamique et s’impose comme un acteur économique de premier plan dans l’UE. Si la ligne économique de l’Union européenne devrait revenir à une ligne plus frugale avec le retour de la CDU, le nouvel équilibre des pouvoirs en Europe suggère que Berlin ne sera plus automatiquement le centre de gravité du Vieux-continent.
Si l’on peut se réjouir de la fin de l’Europe allemande, une Europe sans cap pourrait être pire à l’heure où les grandes puissances se réarment. Si les grands pays européens (France, Espagne et maintenant Allemagne) entrent en instabilité politique permanente alors qu’ils doivent se redresser, la question de dégager à tout prix une majorité se posera. D’un point de vue électoral, elle existe dans les trois pays : c’est l’union des droites. D’ailleurs, l’Italie, seul grand pays qui l’expérimente, est devenu en deux ans le nouveau pôle de stabilité de l’Europe. Ainsi, ces élections pourraient signer la fin d’un modèle politique centré sur la stabilité et le consensus en Allemagne et, par ricochet, en Europe qui pourrait basculer dans une nouvelle ère.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes, auteur du rapport « L’Allemagne dans le camp des ingouvernables ? »
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Crédit Photo : Reichstag, via PXHere, sous Licence Creative Commons CC0.
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