Pierre Clairé pour Causeur : « Espagne : Sans majorité claire, de nouvelles élections devraient avoir lieu l’année prochaine »

Les dernières élections en Espagne n’ont pas dégagé de majorité permettant de gouverner.

C’était prévisible au soir des élections générales de juillet dernier, c’est dorénavant proche d’arriver : de nouvelles élections vont être organisées en Espagne faute de majorité claire. En effet, la semaine dernière les Conservateurs ont échoué par deux fois à former un gouvernement, ce qui signifie vraisemblablement que le Parlement se dirige vers une dissolution. Ces nouvelles élections pourraient modifier beaucoup de choses et déboucher sur une prise de pouvoir de la droite.

Sans majorité claire, la droite ne peut pas gouverner

Lors des élections générales du 23 juillet dernier, le Partido Popular (PP, centre-droit) d’Alberto Núñez Feijóo est arrivé en tête avec 137 députés. Ce bon score mais sans pour autant disposer de la majorité absolue, ne permet pas la formation d’un nouveau gouvernement. Face à cette situation inconfortable, une alliance avec d’autres partis était nécessaire. Seulement, le parti d’extrême droite Vox, que beaucoup voyaient comme un allié possible de la droite, a enregistré de mauvais résultats lors des élections générales, passant de 52 à 33 députés. Ainsi l’alliance PP-Vox n’a pas obtenu la majorité absolue, nécessaire à la formation d’un Gouvernement.

Malgré cela, le roi Felipe VI a tout de même chargé Alberto Núñez Feijóo de former un gouvernement. Pour cela, il devait se présenter devant la Chambre Basse du Parlement pour se soumettre à un vote de confiance. Avant cela, Santiago Abascal, chef de file de Vox, avait annoncé qu’il soutiendrait le gouvernement présenté par le PP sans demander pour autant à y participer. Ce cadeau empoisonné à certes rapproché Feijóo de la majorité absolue, mais il a également rendu impossible tout rapprochement avec le PNV basque qui est viscéralement opposé à toute entente avec l’extrême droite. Ainsi, comme on pouvait le penser, l’investiture de Feijóo a été rejetée par deux fois, le PP restant bloqué à 172 députés, insuffisant pour espérer gouverner le pays.

C’est maintenant au tour de Pedro Sánchez de tenter sa chance

Après ces deux échecs consécutifs de la droite, il revient au socialiste Pedro Sánchez de tenter de former un nouveau gouvernement, mais ses chances de réussite sont extrêmement réduites. Alors que le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) est arrivé en deuxième position lors des élections avec 121 députés, Pedro Sánchez peut également compter sur les 31 députés de la gauche radicale de Sumar ou les 6 députés des régionalistes basques de Bildu. Ce n’est pas suffisant, puisque le Premier ministre sortant a besoin du soutien des partis régionalistes catalans de l’ERC (gauche indépendantiste) et de Junts (centre droit indépendantiste à l’origine du référendum d’indépendance de 2017) et aussi, ce qui semble plus complexe, du soutien du PNV, plus proche du PP.

Alors que cette investiture de Pedro Sanchez est peu probable, une nouvelle élection risque d’avoir lieu le 14 janvier prochain. En effet, depuis le premier vote d’investiture, un compte à rebours de 2 mois a débuté en Espagne, et si aucun gouvernement ne peut être formé dans cette période, alors le roi devra dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections. Ainsi Sánchez doit se dépêcher s’il compte séduire les différents régionalistes, alors  que les Catalans demandent l’amnistie pour les personnes impliquées dans l’organisation du référendum d’indépendance jugé illégal ainsi que la promesse d’organiser un nouveau référendum. Les basques du PNV ont bien voté contre le gouvernement Feijóo mais cela ne signifie pas qu’ils sont favorables à Sánchez, et sans leur accord il est impossible de voir le socialiste reconduit.

Vers de nouvelles élections, mais le résultat pourrait être bien différent

Sauf coup de poker politicien, il semblerait que Sánchez ne soit pas non plus en mesure de former un gouvernement, même minoritaire car une majorité de la Chambre lui est hostile. Mais sa politique qui l’amène à se rapprocher des régionalistes et à leur faire des concessions pour tenter de rester en place va surement laisser des traces. Il semble donner plus d’importance à son avenir politique qu’à celui de l’unité de l’Espagne alors que le pays est encore traumatisé par les évènements de 2017. À ce moment,  l’unité nationale était attaquée par les indépendantistes catalans. De nombreux Espagnols pensaient que ces problèmes étaient derrière eux et voient d’un mauvais œil les pourparlers entre socialistes et indépendantistes catalans.

Alors que de nombreux experts s’attendaient à une marée bleue lors des élections générales et l’entrée de l’extrême droite au gouvernement, ce ne fut pas le cas. Pour autant l’organisation de nouvelles élections pourrait être une bénédiction pour Vox. En effet, ce parti a émergé avec les velléités d’indépendance de la Catalogne, faisant campagne sur la défense de l’unité du pays et de ses valeurs traditionnelles qui étaient attaquées par les régionalistes. Toutefois les indépendantistes catalans ont été moins présent sur la scène politique ces dernières années, ce qui a provoqué une baisse d’influence de Vox car c’était le seul thème sur lequel ils étaient vraiment audibles et cohérents. 

Seulement le retour en force des indépendantistes et l’hypothèse du désordre qu’ils apporteraient dans une coalition au pouvoir, pourrait conduire Vox, le parti d’extrême droite, à retrouver un espace politique. Cet espace pourrait conduire à l’avènement d’un gouvernement de droite en Espagne, allié à Vox. Cela accompagnerait la tendance que l’on observe sur la scène européenne avec le retour de la droite de Gouvernement et l’émergence d’une droite plus radicale.

Pierre Clairé, Directeur adjoint des études du Millénaire, spécialiste des questions européennes et internationales.

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Crédit photo : Comparecencia de Pedro Sánchez tras la reunión telemática con los presidentes de comunidades y ciudades autónomas (12/04/2020), La Moncloa – Gobierno de España, sous license Flinckr.

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