Une victoire retentissante
Javier Milei a remporté les élections de ce dimanche en terminant en tête dans toutes les provinces clés. Mieux, le président argentin dispose désormais du seuil du tiers législatif qui suffit à protéger les vétos présidentiels. Il s’agit du pivot de la gouvernabilité en Argentine. En effet, passer un veto exige les deux tiers des deux chambres ; contrôler plus d’un tiers dans l’une d’elles suffit donc à empêcher le renversement des piliers du programme. Dans ce renouvellement de mi-mandat, la moitié de la Chambre des députés (127 sur 257) et un tiers du Sénat (24 sur 72), les gains de LLA, et de ses alliés potentiels, se traduisent par un pouvoir défensif durable, même sans majorité simple. Les marchés y ont vu la promesse d’une adoption (ou d’une protection) plus fluide des mesures de déréglementation et de rigueur qui ont enclenché la désinflation et le premier excédent depuis 2010.
Surtout, cette victoire est une défaite de son opposition. Le péronisme est arrivé divisé lors du scrutin, ce qui lui a coûté cher. Le succès d’Axel Kicillof le 7 septembre à Buenos Aires, cœur électoral du mouvement, a masqué une fracture stratégique avec le camp plus dur de Cristina Fernández de Kirchner, division prolongée au niveau national et qui a brouillé le message. Dans le même temps, Javier Milei a resserré ses liens avec le PRO de Mauricio Macri, formalisés à Buenos Aires et répliqués au Congrès, offrant un seul couloir réformiste face à un statu quo fragmenté. Résultat : le péronisme demeure un gros minoritaire mais perd l’initiative, tandis que le tandem LLA-PRO affiche une compétence de coalition et un récit cohérent. Le contraste politique a pesé davantage que la tentative adverse de nationaliser un élan provincial.
Le bilan de Milei validé
La désinflation est la signature du gouvernement. En mai, l’inflation mensuelle était de 1,5%, un record alors qu’elle était de 25,5 en décembre 2023. Côté finances publiques, l’Argentine a affiché en 2024 un excédent global, une première en quatorze ans, avec un excédent primaire proche de 2 % du PIB : preuve qu’une rationalisation des subventions et une discipline de dépense peuvent rompre avec les déficits chroniques. Ces éléments ont offert à Milei un récit de gouvernement qui a prévalu sur la lassitude et la controverse ; même un imbroglio estival de soupçons de pots-de-vin n’a pas suffi à délégitimer l’affirmation selon laquelle inflation et budget ont été durablement infléchis. Les électeurs ont récompensé la trajectoire, pas la douleur, préférant une stabilisation crédible à une volonté péroniste de détricoter ce qu’a entrepris Javier Milei depuis 2 ans.
La victoire de Javier Milei est certes celle de son bilan, mais celle des conditions dans lesquelles il l’a mis en œuvre. En effet, sans majorité simple, Javier Milei doit rechercher des compromis avec la droite traditionnelle. Cela emporte deux conséquences positives du point de vue de ses électeurs : d’une part, sa révolution s’opère dans un cadre fixé par celui de son alliance électorale permettant d’éviter toute “extrême radicalité”, et d’autre part, un axe centre-droit/libertarien s’est consolidé dans les ceintures urbaines de classes moyennes et les provinces exportatrices. C’est pourquoi le lendemain, les marchés ont envoyé un signal de soulagement : actions en hausse, peso brièvement raffermi.
Que faut-il attendre de Javier Milei ?
Place à une présidence plus transactionnelle. Javier Milei a déjà signalé sa volonté d’élargir l’exécutif à des figures du PRO et de prioriser des paquets susceptibles d’agréger l’UCR et des voix provinciales (modernisation de la législation sur le travail, simplification fiscale, élagage réglementaire, facilitation de l’investissement…) plutôt que des ruptures maximalistes. L’arithmétique parlementaire pousse aux deals séquencés, il faudra sécuriser des minorités capables de préserver les vétos ; rallier des gouverneurs pragmatiques via le fédéralisme fiscal ; garder les décrets d’urgence en levier, pas en réflexe. En effet, le scrutin de dimanche a récompensé la construction de coalitions et une modération qui a rassuré. Ainsi fini la tronçonneuse et les décrets, Javier Milei va davantage séquencer et s’appuyer sur le Congrès, ce qui constitue un changement de style plus que de fond.
Mais le président argentin fera face à trois vents contraires. D’abord, le peso : malgré l’appui américain, un swap signé d’environ 20 milliards de dollars et l’évocation d’un dispositif plus large, jusqu’à 40 milliards, la monnaie reste vulnérable. Une dévaluation est possible pour réaligner les prix relatifs et réparer une monnaie surévaluée. Ensuite, l’investissement : débloquer l’IDE suppose un calendrier crédible d’assouplissement des contrôles de capitaux, de stabilité fiscale et d’accélération des filières d’exportation (énergie, agriculture). Avant l’élection, les investisseurs doutaient, mais ils pourraient être rassurés de cette victoire qui conforte la stabilité et les grandes orientations de Javier Milei. Enfin, l’endurance sociale : les salaires courent derrière les prix, et les retraites sont inflammables politiquement, le gouvernement a déjà frôlé des revers sur des tentatives de passage en force, preuve qu’il faut séquencer, partager les gains et éviter l’hubris.
Tout n’est donc pas gagné pour Javier Milei et il faudra poursuivre les réformes, mais ces élections ont ôté une sacrée épine de son pied. La révolution se poursuivra pour sortir l’Argentine du socialisme, mais elle s’effectuera dans un cadre politique plus classique.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, spécialiste des questions internationales et européennes et auteur du rapport “Pourquoi Javier Milei gagne en Argentine ?” Pour soutenir nos analyses ou nous rejoindre pour rendre sa grandeur à la France
Crédit photo : Javier Milei will Argentinien mit massiven Deregulierungen aus der Krise ziehen, de EMILIANO LASALVIA, via Heute, sous licence CC BY 4.0.

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