Pierre Clairé pour Atlantico : « Crise politique : la France sur le chemin de l’Italie ? »

La majorité relative à l’Assemblée nationale pourrait créer une instabilité en France digne de celle vécue par l’Italie.

Après un vote de confiance gagné de justesse au Sénat italien le 14 juillet dernier, Mario Draghi a présenté sa démission au président Mattarella qui la dans un premier temps refuser. Cette énième crise politique nous rappelle à quel point les coalitions peuvent être instables. La confiance est définitivement rompue au sein de la coalition gouvernementale et l’Italie se dirige vers de nouvelles élections législatives. Si cette situation semble habituelle en Italie, abonnée à l’instabilité et aux gouvernements éphémères, elle ne l’est pas en France mais la composition de la nouvelle Assemblée Nationale pourrait changer beaucoup de choses…

Une énième crise politique en Italie

Le 13 juillet, quelques heures avant le vote de confiance, Giuseppe Conte, président du Mouvement 5 Étoiles (M5S), avait déclaré que ses Sénateurs ne voteraient pas la confiance au gouvernement Draghi et refuseraient d’approuver les aides prévues pour faire face à l’inflation galopante. Le M5S, pourtant membre de la coalition au pouvoir, signait ainsi la fin du « pacte de confiance » sur lequel le gouvernement d’Union Nationale était bâti. Des tensions étaient visibles depuis le début de la Guerre en Ukraine car le M5S critiquait ouvertement et depuis de longs mois la politique gouvernementale. Ainsi le 21 juin, l’actuel ministre des Affaires Étrangères et ancien leader du Mouvement 5 Étoiles avait décidé de se désolidariser de son ancien parti, en créant le mouvement « Ensemble pour le Futur ». Ce parti, centriste et pro-européen, a amputé le M5S de 51 députés et 10 sénateurs et cette scission a permis à Mario Draghi de faire voter son paquet d’aides.

Mais l’entente transpartisane semble durablement brisée, à Droite, Silvio Berlusconi (Forza Italia) et Matteo Salvini (Lega) ont annoncé ne pas vouloir soutenir un autre gouvernement dans lequel le M5S serait partie prenante, appelant ainsi à de nouvelles élections. Giorgia Meloni, leader du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, première force politique du pays selon les derniers sondages, appelle quant à elle à de nouvelles élections depuis des mois. Giuseppe Conte n’est lui pas revenu sur ses déclarations lors du week-end, rendant la chute du gouvernement d’Union Nationale inévitable. Mario Draghi s’exprimera sur sa démission devant le Parlement le 20 juillet et le M5S devra expliquer les raisons l’ayant poussé à faire tomber le gouvernement alors que celui-ci doit faire face à une situation très compliquée.

Pourquoi la France risque de vivre le même scénario ?

Au lendemain des élections législatives du 19 juin dernier, de nombreuses personnes voulaient croire que le modèle allemand de coalition pourrait fonctionner en France. Pourtant, il semblerait que le compromis entre Ensemble ! et les autres partis soit impossible et qu’une coalition cohérente et stable ne puisse pas voir le jour. Emmanuel Macron ne disposant que d’une majorité relative au Parlement, il y a fort à parier que la France embrasse l’instabilité politique dans un futur proche. Ceci est d’autant plus vrai que le Président ne semble pas prêt à négocier et faire des concessions, ce qui risque de le mettre dans une situation similaire à Mario Draghi qui est incapable de tenir « sa » majorité. On peut donc imaginer que comme en Italie, des votes symboliques touchant au budget, à la réforme des retraites ou à la lutte contre le réchauffement climatique mettent à mal l’équilibre précaire sur lequel est construit le gouvernement d’Élisabeth Borne. Ainsi dès la rentrée, lorsque des textes importants seront discutés à l’Assemblée nationale, il est fort probable que le gouvernement Borne tombe faute de consensus.

Avec ses élections législatives, la France a embrassé un régime parlementaire, ce que nous n’avions plus connu depuis des décennies. Les différents partis et les jeux politiciens vont donc redevenir réalité, alors même que Charles de Gaulle s’était battu corps et âme pour empêcher cela. Il est possible que devant l’impossibilité de gouverner le pays, Emmanuel Macron décide de dissoudre l’Assemblée comme c’est actuellement le cas en Italie.

Les dernières semaines ont montré que toute forme de compromis est impossible en France à l’heure actuelle. Il faut également se montrer réaliste, la France semble plus proche de l’Italie que de l’Allemagne et l’exemple transalpin a démontré que même en obtenant une Union dans la douleur, celle-ci est amenée à s’effondrer dès que la crise pointe le bout de son nez. Emmanuel Macron risque de chercher à gouverner tant bien que mal en trouvant des soutiens chez les députés LR « constructifs » ou chez les socialistes en marge de la NUPES, mais cette union de fortune ne pourra pas durer bien longtemps, ouvrant la voie à une probable dissolution…

Pierre Clairé, spécialiste des questions européennes, diplômé du Collège d’Europe, directeur adjoint du pôle étude au Millénaire

Crédit Photo : Parlement Italien, par Ffeeddee — Travail personnel, sous licence CC BY-SA 3.0, via WikimediaCommons

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