Atlantico : Cette semaine, le Sénat a publié un rapport analysant les incidents de stade de France et de la responsabilité politique de l’événement. Ce travail va-t-il suffisamment loin dans ses conclusions et ses interrogations ?
William Thay : Sur la forme, le Sénat a privilégié le choix d’une mission d’information plutôt que d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur le fiasco des événements du Stade de France à l’occasion de la finale de la Ligue des Champions. La mission d’information est plus souple dans son installation et dans sa réalisation que la commission d’enquête mais elle est moins solennelle. Normalement, elle se limite à un rôle d’information même si elle peut avoir les mêmes prérogatives qu’une commission d’enquête. Ainsi, ce choix d’une mission d’information plutôt que d’une commission d’enquête limitait déjà la portée des conclusions et des interrogations.
Sur le fond, le rapport analysant les incidents du Stade de France se limite à retracer les événements pour rétablir les faits afin de proposer des recommandations de politiques publiques sur les défaillances occasionnées. Il faut rappeler qu’une grande partie des Français voulait comprendre ce qu’il s’était passé mais également voir la responsabilité politique dans ce fiasco. Le rapport du Sénat permet de comprendre partiellement ce qu’il s’est passé même s’il manque un volet important, notamment sur les violences des bandes de Seine-Saint-Denis. Cela s’explique notamment parce que les vidéos qui permettent d’attester les faits ont été supprimés. Pourtant, cette suppression aurait dû conduire à un contrôle plus fort du Sénat sur la responsabilité des acteurs. De plus, la responsabilité politique n’est pas assez pointée, tout comme les erreurs manifestes de Gérald Darmanin à travers ses mensonges sur le déroulé des événements.
Ainsi, la mission d’information du Sénat pourrait être considérée davantage comme une mission technique qu’une mission politique. Elle se limite à la restitution des faits pour comprendre les erreurs administratives et d’organisation pour y formuler des recommandations de politiques publiques pour éviter de produire les mêmes erreurs. On remarque ainsi que c’est l’accumulation de petites erreurs à chaque niveau de l’organisation qui a conduit à ce désastre. De plus, il y avait une multitude d’organisateurs sans réelle oordination, ce qui n’est pas la solution la plus adaptée pour mettre en évidence un seul responsable.
Le pouvoir de contrôle du Sénat a notamment été mis en avant à l’occasion du scandale autour de l’ancien collaborateur du président de la République, Alexandre Benalla. Pourtant, nous sommes encore loin de ce qu’il peut se passer dans les commissions d’enquête dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cela repose notamment sur la lecture des institutions de la Vème République qui confère une primauté importante à l’exécutif ainsi que notre tradition politique.
Le rapport fait le constat de dysfonctionnements majeurs, mais personne ne semble se préparer à assumer des responsabilités politiques. Est-ce le signe d’un manque de culture de la responsabilité chez nos responsables politiques ?
William Thay : Nous assistons à un paradoxe très important dans notre régime politique. La Constitution de la Vème République confère une primauté au pouvoir exécutif afin de lui donner le pouvoir de gouverner. Cette primauté est presque sans équivalent dans les démocraties libérales. Seulement, cette constitution était adaptée lorsque vous aviez une personnalité comme le Général de Gaulle à la tête de l’État qui avait un grand sens des responsabilités, notamment en démissionnant de ses fonctions lorsqu’il était battu à un référendum. Désormais, vous avez toujours un pouvoir très fort de l’exécutif sans contre-pouvoir très important, mais les responsables politiques n’ont pas autant le sens des responsabilités.
La démocratie représentative repose sur le fait que des électeurs confèrent un mandat à des représentants. Si ces derniers ne sont plus en accord avec ce mandat, ils doivent en tirer les conclusions nécessaires. Pourtant, nous assistons depuis plusieurs années à une culture de l’irresponsabilité de la part des politiques. Vous trouvez à chaque reprise dans la parole publique une raison extérieure qui justifie un échec. Si l’économie ne va pas bien, c’est la faute de la crise, du peuple ou d’un autre pays. Si telle ou telle politique publique n’a pas fonctionné, c’est la faute de quelqu’un qui l’a mal appliqué, etc. Vous ne trouvez ainsi presque aucune remise en cause de la part de ces responsables.
Cela est d’abord dommageable sur le plan des politiques publiques, puisque vous ne pouvez pas analyser correctement un échec pour changer efficacement les dysfonctionnements. Cela nuit ensuite à la démocratie, dans la mesure où cette logique casse celle de la démocratie représentative. En effet, la démocratie représentative doit conduire à l’élection de représentants du peuple pour gouverner le plus grand nombre, à leur conservation s’ils réussissent dans leurs missions ou à leur éviction s’il échoue. Cette logique doit également ruisseler dans tout l’appareil administratif pour conduire à une logique de performance. Seulement, nous assistons davantage à un report des responsabilités du haut sur le bas. Le Gouvernement se défausse soit sur quelqu’un d’extérieur soit sur les exécutants en dessous-d’eux dans la hiérarchie. Comment ne pas conduire à la réplique d’une telle logique de l’administration qui ferait de même ? Un directeur d’administration centrale pourrait ensuite reporter la faute quelqu’un d’autre, etc. Nous assistons à l’émergence d’une culture d’irresponsabilité par l’incapacité du personnel politique à se remettre en cause.
Cette culture de l’irresponsabilité est poussée à l’extrême par le macronisme et ses représentants. À chaque moment du précédent quinquennat, nous avons assisté à des responsables politiques de la majorité présidentielle qui se sont défaussés sur un autre pour expliquer leur échec. Si la France est ingouvernable, ce n’est pas parce que la méthode de Gouvernement est mauvaise, mais parce que le peuple n’est pas bon, notamment car il est « réfractaire ». Si nous avons eu un fiasco au Stade de France, ce n’est pas à cause de l’organisation mais en raison de l’afflux des supporters anglais de Liverpool. Pourtant, si nous observons en détail ce qu’il s’est passé, nous voyons que cet afflux était prévu par les renseignements. Ainsi, qui est responsable pour ne pas avoir su correctement apporter une analyse des renseignements et une organisation adéquate ?
Quand un pays se fait humilier devant des milliards de téléspectateurs pour ne pas savoir organiser un événement sportif comme un pays du tiers-monde, il devrait normalement en tirer les conclusions par une responsabilité politique. Ainsi, dans un pays nordique ou anglo-saxon, l’ensemble des responsables de cette organisation aurait déjà démissionné et on poserait même la question de la responsabilité et la démission du Gouvernement dans son ensemble. Il faut rappeler ainsi que Boris Johnson au Royaume-Uni, va quitter ses fonctions en raison notamment du « Party gate ». Est-ce plus grave pour un pays d’avoir des responsables politiques qui ne respectent pas leurs propres consignes de politique sanitaire ou de voir un pays humilié ? Je trouve que le second cas est plus grave que le premier mais que les deux doivent conduire à la mise en cause du Gouvernement. Cela doit être le cas dans toutes les démocraties pour conserver l’essence même du régime politique.
Le Sénat a-t-il saisi l’opportunité de vérifier si les informations du ministère de l’Intérieur étaient confirmées dans les faits ? Comment expliquer la posture adoptée par le ministère et son ministre ?
William Thay : Il y a plusieurs dysfonctionnements qui ont été mis en lumière par la mission d’information du Sénat notamment sur : la multitude d’organisateurs, une sécurité défaillante, et le manque de reconnaissance des responsables. On observe ainsi que le discours du Gouvernement sur la responsabilité des supporters anglais ne tient pas la route, et que nous avons assisté à une faillite collective des pouvoirs publics. Chaque organisateur a failli dans la réalisation de sa tâche que ce soit sur la mobilité avec les transports publics, sur l’organisation pour l’entrée des supporters ou bien la sécurité autour du stade. Le Gouvernement est dans l’incapacité d’organiser un événement sportif, et la France a été humiliée devant le monde entier. En effet, la France a été replacée comme un pays du tiers-monde incapable d’organiser un match de foot et de garantir la sécurité des supporters étrangers dans le cadre d’un événement sportif.
Seulement, nous assistons à une limite sur les événements avec la suppression des vidéos de surveillance. Cela ne permet pas de retracer l’ensemble des échecs avec notamment les violences des bandes de Seine-Saint-Denis. Cette limite ne permet pas de poser une question essentielle dans ce fiasco qui est la violence dans les territoires perdus de la République. Il s’agit d’un sujet tabou depuis les émeutes de 2005, et nous préférons nous voiler la face plutôt que d’affronter le problème à la source.
Le ministre de l’Intérieur poursuit la logique du macronisme que je décrivais tout à l’heure avec la culture de l’irresponsabilité. Tout d’abord, il profite de la multitude d’acteurs pour déporter la faute sur un autre. Ainsi, dans son discours, ce n’est pas forcément la faute de ses services et donc la sienne, parce que d’autres acteurs ont failli. Ensuite, on peut observer notamment que la version de Gérald Darmanin sur la responsabilité des supporters anglais dans les dysfonctionnements n’était qu’un moyen de se couvrir de ses propres échecs. Cela s’explique notamment par une double volonté. La première est celle d’éviter de pointer les violences des bandes de Seine-Saint-Denis notamment pour ne pas « stigmatiser ». Pourtant, s’il ne rencontrait aucune difficulté à souligner la nationalité des supporters de Liverpool, Gérald Darmanin a refusé de donner la nationalité des personnes interpellés par les forces de l’ordre. La seconde volonté s’explique une nouvelle fois par la culture d’irresponsabilité. Il rejette la faute du fiasco sur les supporters anglais pour éviter de souligner ses propres échecs. Pourtant, une note du renseignement montrait avant le match qu’il y aurait plus de 40 000 supporters avec des faux-billets et sans billets. Gérald Darmanin a commis une erreur d’analyse puisqu’une grande partie de ces supporters se sont retrouvés dans une fan zone à Nation (entre 30 000 et 35 000 personnes), et il commet une confusion entre faux-billets et sans billets. Les supporters avec des faux-billets (un très faible nombre selon le rapport du Sénat, environ 3000) pouvaient poser problèmes pour l’organisation de l’événement, alors que les autres ne le pouvaient pas puisqu’ils n’étaient pas aux abords du stade. Enfin, Gérald Darmanin a choisi de se défausser sur les supporters anglais pour éviter de lâcher ses troupes, notamment pour ne pas pointer la faillite sécuritaire aux abords du stade. Cela lui permet à la fois de ne pas se froisser avec sa propre administration et également d’éviter qu’on pose la question de la responsabilité politique du ministre de l’Intérieur.
William Thay, président du Millénaire, think-tank gaulliste spécialisé en politiques publiques.
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Crédit Photo: Sénat par Romain Vincens sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
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