Pierre Clairé pour Atlantico : « Congrès du PPE : la droite européenne dans tous ses états »

Le congrès du Parti Populaire Européen s’est ouvert depuis mercredi en Roumanie. Le PPE élabore la stratégie pour les élections au Parlement européen et va désigner le principal candidat à la tête de la Commission européenne.

1- Quels sont les principaux enseignements du Congrès de deux jours du PPE qui s’est ouvert ce mercredi ? Quels sont les premiers faits marquants ? Qu’est-ce que cela traduit sur l’avenir de la droite européenne ?

Même si le Congrès n’est pas terminé, nous pouvons déjà dresser un bilan positif de ces deux jours roumains. Tout d’abord, le manifeste du parti en vue des élections européennes de juin a été adopté facilement, les questions qui fâchent n’ayant pas été abordées. Ensuite, Ursula Von Der Leyen devrait être choisie ce jeudi comme spitzenkandidat, ou tête de liste du centre droit en vue des élections européennes de juin, sans aucune difficulté sachant qu’elle ne disposait d’aucune forme de concurrence et faisait déjà l’unanimité. En plus des postes de président de la Commission et de président du Parlement, les discussions ont aussi porté sur l’identité du Haut Représentant aux affaires étrangères et à la sécurité, sans aboutir réellement. 

Ces deux jours de Congrès ont plutôt été l’occasion de resserrer les rangs au sein du PPE, et ainsi d’offrir une photo de famille de belle facture. En d’autres termes, nous avons eu le droit à un incubateur des idées du premier parti au parlement européen, un parti qui reste en tête des sondages et qui ne devrait pas avoir besoin de faire campagne de manière intensive. La montée de l’extrême droite faisait craindre le pire quant à l’unité des membres du Parti Populaire Européen, mais il n’en fut rien. On craignait pour l’avenir de VDL (surnom d’Ursula Von Der Leyen à Bruxelles) alors que ses prises de décisions sont vues comme trop verticales et alors que sa politique environnementale est décriée par certains partis nationaux. Mais ce premier test pour cette dernière s’est bien passé et elle a une autoroute devant elle en vue d’une reconduction pour 5 années supplémentaires. 

On ne peut pas dire grand chose de l’avenir des droites européennes après ce Congrès, mais en tous cas le centre droit (PPE) apparaît comme uni derrière sa candidate, ce qui n’était pas le cas il y a quelques mois (on se souvient de la loi sur la préservation de la nature, que le chef du PPE, Manfred Weber, avait dans sa ligne de mire et voulait faire capoter, ce qui explique son alliance de circonstance avec des partis plus à droite). La possible alliance avec des partis plus à droite ne fut pas abordée, même s’il semble qu’en adoubant VDL, les partis de centre droit ont implicitement fait un pas vers le renouvellement de l’alliance traditionnelle centre-droit/libéraux/centre-gauche

2- A l’occasion du Congrès du PPE, où va la droite européenne en termes de ligne politique et sur les objectifs de politique européenne ?

3 axes principaux ressortent du manifeste voté ce mercredi, et qui servira de base à la campagne de VDL et tiendra lieu de feuille de route en vue de son nouveau mandat: Immigration, Environnement et Défense. 

Sur l’immigration, la question de l’envoi des immigrés à des pays tiers, sur le modèle de ce qui est fait par le Royaume-Uni, a été abordée. Le PPE veut renforcer la « forteresse » Europe en externalisant les demandes d’asile vers des pays tiers, s’inspirant du « modèle rwandais » britannique. Ils proposent également de renforcer Frontex, l’agence européenne des frontières, et de conclure des accords avec les pays d’origine et de transit pour réduire les flux migratoires. Cette tendance a été dictée par la montée de l’extrême droite, qui a érigé l’immigration en thème de campagne, ce qui appelait à une réponse forte du PPE pour éviter d’être dépassé sur une préoccupation majeure des électeurs.

Malgré des critiques antérieures, le PPE s’engage à soutenir la « prochaine phase » du Green Deal européen. Ils veulent prioriser les technologies « fabriquées en Europe » pour stimuler la compétitivité et proposent d’offrir  un soutien financier aux agriculteurs, pêcheurs et PME pour s’adapter à la transition climatique. Cependant, des frictions sont possibles, notamment sur des politiques environnementales clés. La question de la fin des moteurs thermiques, point de friction avec la CDU/CSU allemande (parti de VDL et de Weber) a été passée sous silence. 

Alors que la question de la défense est très présente dans le débat actuellement, notamment avec la Guerre en Ukraine et l’incapacité pour les pays européens de produire et fournir en masse Kiev, le thème a été qualifié comme très important. Le PPE met l’accent sur la défense, appelant à des mesures supplémentaires telles qu’un commissaire européen dédié à la sécurité et à la défense, la priorité aux achats européens d’équipements militaires, et des restrictions aux exportations d’armes. Ils soutiennent également la création d’un fonds européen dédié à la défense dans le budget pluriannuel de l’Union, visant à terme un « marché unique de la défense ». La possibilité d’un emprunt collectif pour soutenir l’industrie de défense et permettre la fourniture à l’Ukraine, sur le modèle de ce qui à été fait durant la crise du coronavirus, a été éludée pour ne pas froisser, notamment les membres du Nord de l’Europe. 

3- Quelle est l’attitude au cœur du PPE sur le plan de l’union des droites ?

Cette question est très problématique et n’a pas été abordée lors du Congrès de Bucarest, principalement pour ne pas fâcher. Pour autant, pour certains partis nationaux, cette question n’est plus taboue… 

Manfred Weber, le chef du PPE, a souvent été critiqué par la gauche et les libéraux pour ses tentatives de rapprochement (il a rencontré Giorgia Meloni à de nombreuses reprises, et a voté contre VDL et la gauche pour la loi de conservation de la nature). Pourtant il a répété qu’il ne pouvait pas s’allier avec des gens anti Union Européenne, anti soutien à l’Ukraine et qui menacent l’état de droit. Mais certains dans le parti, surtout de l’aile droite, pourraient être tenté de briser le cordon sanitaire qui a tenu l’extrême droite éloignée du pouvoir jusqu’à maintenant (même si aucun accord officiel ne pourrait exister, comme ce fut le cas dans le cadre à l’opposition à la loi de préservation de la nature). Ainsi, certains pourraient être tentés de répondre aux appels de l’extrême droite qui se veut constructive et non destructrice, à la différence des précédentes législatures. 

Les partis les plus souvent cités comme repoussoirs sont l’AfD allemande (groupe ID), le PiS polonais (CRE), le VVD néerlandais (ID) et le Rassemblement National (ID). Mais dans ces cas précis, tous ne sont pas sur la même longueur d’onde. Les italiens de Forza Italia ne sont pas opposés à une alliance qu’ils connaissent à la maison, mais la plateforme civique du Polonais Donald Tusk y est catégoriquement opposé par exemple, pareil pour la CDU/CSU allemande, le premier contingent PPE au Parlement européen, qui ne veut pas entendre parler de l’AfD. 

Une autre question reste celle de l’adhésion au sein du PPE de certains partis conservateurs. C’est le cas des Italiens de Forza Italia, qui verraient d’un bon œil l’arrivée des députés de Giorgia Meloni du parti Fratelli d’Italia, ce qui renforcerait le poids italien au sein du PPE. Cette idée, qui ne date pas d’hier, déplaît à certains qui se sentent inconfortables devant certaines idées des conservateurs. Manfred Weber a déclaré une coopération possible si certaines règles (pro-Ukraine, pro UE, pro OTAN) sont respectées, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. Mais d’autres freinent des deux pieds. 

En définitive, on reste sur un non global à un accord de coalition, mais certains sont d’accord pour des partenariats de circonstance, au cas par cas. Un agrandissement de la famille de centre-droite reste difficilement envisageable par ailleurs. 

4- Eric Ciotti a annoncé que Les Républicains voteront contre Ursula von der Leyen à l’issue du Congrès de Bucarest, tout en affirmant vouloir se maintenir dans le groupe politique européen et en espérant un autre candidat « de dernière minute ». Où va la droite européenne électoralement parlant au regard des enjeux de l’élection européenne ?

Il faut souligner que les Républicains sont marginaux au sein du parti, avec seulement 8 députés (et les derniers sondages ne laissent pas penser à une augmentation), et qu’ils n’ont pas de réels moyens de pression. Les LR sont les seuls députés ayant fait entendre leurs critiques, ce qui montre un certain consensus pour soutenir VDL. Et encore, au vu de leur poids limité, ils ont dû s’adoucir pour ne pas faire trop de bruit. J’ai l’impression que nous avons plus parlé de cette affaire en France que dans d’autres pays, à raison. En effet, les causes de cette simili révolte sont nationales, et Ciotti n’a pas supporté que VDL se rende à la rentrée politique de Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron. En adoubant Ursula Von Der Leyen sans broncher, il aurait  montré de la faiblesse et surtout de l’incohérence alors qu’il refuse de pactiser avec Emmanuel Macron…

On ne peut pas généraliser cela, car cette révolte est marginale, alors que le centre droit européen a montré son unité à Bucarest Ciotti est rentré dans le rang, faute de soutiens étrangers. 

Les sondages indiquent la probable première place du PPE lors des élections de juin, ce qui rend le centre-droit européen euphorique et facilite l’entente. Pourtant la rébellion avortée des Républicains pourrait mettre à mal cette entente, car malgré ce qu’on nous montre, des dissensions existent et l’avenir n’est pas dégagé. Le PPE ne sait pas de quoi sera fait l’après élection de juin, sachant qu’une montée de la droite extrême est acquise et qu’ils vont se retrouver avec près de 200 députés à leur droite. Les équilibres et rapports de force devraient être modifiés à Bruxelles, mais pour le moment le PPE se repose sur sa place de première force politique du Parlement, qui devrait être confirmée en juin. 

Pierre Clairé, Directeur adjoint des Études et spécialiste des questions internationales et européennes.

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Crédit photo : Members say solidarity within EU is key to helping Ukraine and ending the war sous license Attribution 2.0 Generic.

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