Dans la Fin de l’histoire et le dernier homme publié en 1992, Francis Fukuyama nous explique que la fin de la guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie libérale. Pourtant cette prophétie n’a jamais semblé aussi naïve et éloignée de la réalité qu’en 2023, alors que nous avons vu une montée des autocraties et des régimes totalitaires couplée au retour de conflits globaux. Ce retour du tragique, que l’on pensait derrière nous avec la chute de l’Union Soviétique, ne peut que nous préoccuper alors que parallèlement le modèle de démocratie libérale n’a jamais été aussi remis en cause, avec une instabilité croissante. 2023 ressemble à une année de rupture, comme si nous nous réveillons après un doux rêve néolibéral, ramené à la dure réalité…
Les Guerres en Ukraine, entre Israël et le Hamas et la peur de tensions généralisées entre Chine et États-Unis
L’année 2023 fut marquée par deux conflits d’envergure, qui signifient le retour du tragique dans le monde et qui ont mis à mal nos certitudes.
La guerre en Ukraine, bien que débutée en 2022, n’a pas manqué d’énormément faire parler cette année et on retiendra surtout l’échec de la contre-offensive ukrainienne, qui n’a permis que de maigres gains à un coût élevé. Les espoirs occidentaux étaient grands et beaucoup voyaient Kiev prendre l’ascendant dans cette guerre, alors que l’Ukraine avait bien terminé 2022 sur le champ de bataille et pouvait compter sur une aide occidentale d’envergure. L’offensive ukrainienne, démarrée en juin, s’est heurtée aux défenses russes et à une armée mieux préparée. Finalement, l’armée ukrainienne se trouve dans une impasse et c’est bien la Russie qui a gagné plus de territoire en 2023. Les sanctions économiques prises contre la Russie se sont montrées inefficaces, alors que le Kremlin est parvenu à les contourner et à adopter une économie de guerre. Aujourd’hui nous pouvons ressentir une forme de fatigue occidentale, alors que Zelensky ne veut pas entendre parler de négociation ou d’un passage de l’armée sur la défensive. Ce phénomène est visible aux États-Unis, où les Républicains rechignent à voter l’aide, mais aussi en Europe avec les critiques d’Orban ou Fico.
Depuis près de deux décennies, le Moyen-Orient n’avait jamais semblé aussi calme qu’avant octobre 2023. Les liens entre Israël et ses voisins étaient plus forts que jamais, si bien que l’on parlait d’un probable accord d’envergure entre l’État hébreu et l’Arabie Saoudite. Tout cela n’a pas survécu à l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre dernier qui a fait 1200 victimes israéliennes, jour qui restera comme le plus meurtrier de l’histoire du pays. La réponse israélienne ne se fit pas attendre, avec des frappes aériennes meurtrières puis une invasion du Nord de Gaza pour tenter d’éradiquer l’organisation terroriste. Les Occidentaux, et Joe Biden en tête, ont rapidement soutenu Israël et son droit à se défendre et riposter. Pour autant, alors que la guerre dure et que les victimes gazaouies se multiplient, de nombreuses voix se font entendre pour demander un changement stratégique de l’armée israélienne afin de mieux protéger les civils. Les États-Unis ont même commencé à faire entendre leur désaccord, en demandant que l’on privilégie des actions ciblées et que l’aide soit acheminée vers la bande de terre pour éviter une catastrophe humanitaire.
L’année 2023 a aussi vu une augmentation des tensions entre Chine et États-Unis, faisant craindre le pire alors que l’élection taïwanaise approche. Les relations entre les deux géants semblaient s’être normalisées depuis la fin 2022 et la rencontre entre Xi et Biden à Bali. Mais l’affaire du ballon chinois abattu par les États-Unis, qui a conduit au report de la visite du Secrétaire d’état Anthony Blinken à Pékin en février dernier, a envenimé les relations. Les Américains ont imposé des restrictions commerciales additionnelles visant la Chine cette année et Pékin a intensifié ses tentatives d’intimidation de Taiwan ou des Philippines, au grand dam de l’armée américaine. Les présidents des deux pays se sont rencontrés à San Francisco, en marge du sommet de l’APEC, le mois dernier, et des annonces mineures ont découlé de cette entrevue, sans que de grandes avancées ne soient présentées. En définitive, malgré ce réchauffement de façade, les tensions entre les deux restent palpables.
Le modèle de démocratie libérale mis à mal
Dans son rapport annuel, l’organisation américaine Freedom House a montré que la liberté et la démocratie dans le monde ont décliné pour la dix-septième année consécutive en 2023. La guerre en Ukraine a notamment été citée pour ses effets nocifs sur les droits humains mais de nombreux autres évènements sont à noter. Au Niger, le gouvernement démocratiquement élu a été renversé par une junte en juillet. Au mois d’août, c’est un autre coup d’État qui a renversé Ali Bongo après la proclamation des résultats de la dernière élection présidentielle. L’instabilité politique tunisienne et les manquements aux droits de l’homme ont également fait parler cette année. En Amérique latine les choses ne sont pas plus brillantes, avec un candidat à l’élection présidentielle équatorienne assassiné en pleine rue ou les tentatives du procureur général du Guatemala pour invalider l’élection démocratique du nouveau président.
La tendance actuelle est au retour des Empires et des régimes autocratiques, ce qui fait craindre la fin du modèle de démocratie libérale. Sous couvert d’action anti-corruption, Xi Jinping a accentué son emprise sur l’Empire du Soleil Levant et se rêve en Empereur Rouge. En octobre, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense ont été démis de leur poste, pour des raisons obscures. Xi insiste fortement sur la force armée chinoise et aurait même demandé à ce que l’Armée Populaire de Libération soit prête pour une invasion de Taiwan en 2027. En Turquie, Recep Tayyip Erdogan a été réélu cette année pour un nouveau mandat et ne cache plus ses ambitions néo-ottomanes. Le président turc rêve de faire d’Ankara une capitale qui compte dans le monde, en renouant avec le califat et en étant la voix des sunnites du monde entier par exemple. Même aux États-Unis, les possibles dérives autocratiques de Donald Trump font parler alors que la démocratie libérale pourrait être menacée là où elle devrait être la plus forte. Avec son projet 2025, Trump pourrait vouloir présidentialiser davantage le système et limiter le pouvoir des juges, ce qui fait craindre des manquements à l’état de droit et aux valeurs démocratiques.
L’occident, entre instabilité politique et nationalisme
La droitisation du paysage politique s’est vérifiée sondage après sondage dans de nombreux pays européens et on peut légitimement se demander si cela se traduira par une victoire conservatrice lors des prochaines élections européennes. Cette tendance, déjà visible l’année dernière avec les victoires des Démocrates de Suède ou des Frères d’Italie, se vérifie depuis de longs mois et inquiète car beaucoup de ces partis s’opposent à la démocratie libérale. Cette année, Sanna Marin, ancienne égérie de la gauche européenne, a été délogée de son poste de première ministre finlandaise par une union des droites avec une extrême droite forte. En Slovaquie, le nationaliste Robert Fico est revenu au pouvoir, au grand désespoir du parti socialiste européen qui a exclu son parti de ses rangs. Aux Pays-Bas, l’extrême-droite de Geert Wilders, un nationaliste bien connu pour ses positions anti islam, est arrivée largement en tête des élections de novembre. En Allemagne, l’AfD est devenu le deuxième parti du pays selon de nombreux sondages, ce qui interpelle alors que l’extrême droite n’a jamais été aussi en vogue dans le pays depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
L’instabilité politique a été la norme en occident cette année et on peut se demander si nous ne sommes pas entrés dans une crise institutionnelle occidentale. En Espagne, Pedro Sánchez a réussi à se maintenir au pouvoir en pactisant avec les séparatistes catalans ce qui a provoqué d’importantes manifestations d’Espagnols se sentant lésés et voyant la démocratie s’éteindre sous leurs yeux. En Allemagne, la coalition en feu tricolore au pouvoir depuis 2021 est au bord de l’implosion, alors que les différents partis n’arrivent pas à s’entendre et que la question budgétaire constitue une bombe à retardement. Aux États-Unis enfin, l’instabilité est de mise depuis l’entrée en fonction de la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des représentants. De nombreux scrutins ont été nécessaires pour qu’un Speaker soit nommé, en la personne de Kevin McCarthy, mais celui-ci a été déposé par des membres de son propre parti et remplacé par Mike Johnson quelques mois plus tard.
Pierre Clairé, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire
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Crédit photo : Ukraine Presidency/Ukrainian Pre/Planet Pix , via ZUMA Press.
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